7ème Dimanche du Temps Ordinaire – Année A
Matthieu 5,38-48
Commentaires sur l’évangile
et approfondissement
avec Maurice Zundel
Références bibliques
- Lecture du Livre du Lévitique : 19. 1 à 18 : « Soyez saints, car moi, le Seigneur, je suis saint. »
- Psaume 102 : « N’oublie aucun de ses bienfaits. »
- Lettre de saint Paul aux Corinthiens : 1 Cor. 3. 16 à 23 : « L’Esprit de Dieu habite en vous. »
- Évangile selon saint Matthieu : 5. 38 à 48 : « Afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est dans les cieux. »

En ce temps- là, Jésus disait à ses disciples : « Vous avez appris qu’il a été dit : ‘Œil pour œil, et dent pour dent’.
Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre.
Et si quelqu’un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau.
Et si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui.
À qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos ! »
Vous avez appris qu’il a été dit : ‘Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi.’
Eh bien ! moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent,
afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes.
En effet, si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ?
Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ?
Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. »
La folie de Dieu,
par Marcel Domergue
Certes, ce que Jésus nous dit dans cet évangile est pour nous un programme ou, si l’on veut, un idéal à ne pas perdre de vue. Une conception du monde et de la vie en contradiction avec le comportement habituel de la plupart des hommes. Jésus nous demande de sortir de l’esprit du monde : vous êtes dans le monde mais vous n’êtes pas du monde, nous dit-il en saint Jean. Certes, ses prescriptions, largement au-delà de la Loi ici résumée sous la forme du talion, ne sont pas à prendre au pied de la lettre : en Jean 18,22-23, quand un garde le gifle au cours du procès, il ne tend pas l’autre joue mais il lui demande : « Pourquoi me frappes-tu? » Remarquons qu’il ne se met pas en colère et ne cherche pas à se venger, il renvoie le garde à lui-même, l’invitant à s’interroger sur son comportement. Jésus ne le juge pas mais le charge de se juger lui-même. Dans notre évangile, il va plus loin : il nous demande de nous soumettre à la volonté de l’autre, même si cette volonté est mauvaise. Lui-même acceptera de donner sa chair et son sang, et nous demandera de faire la même chose en mémoire de lui. Ne pensons pas tout de suite au martyre : combien de parents sont amenés à se soumettre à aux choix imprévus de leurs enfants devenant adultes ? Et les époux entre eux ?
À chaque instant nous sommes invités, d’une façon ou d’une autre, à donner notre vie, en attendant le don ultime et définitif. La perspective de la Passion est déjà présente dans le discours sur la montagne, le premier de Jésus chez saint Matthieu. Ainsi la fin est là dès le commencement. La suite ne fera que jalonner cette marche vers le don de soi absolu. Sagesse de Dieu qui est folie pour les hommes, comme le dit Paul.
Comment est Dieu ?
Nos manières de nous représenter Dieu sont anthropomorphiques, c’est-à-dire empruntées à ce que nous voyons en nous les hommes. C’est que le Tout Autre nous échappe. Pourtant, attribuer à Dieu ce que nous voyons chez les hommes n’est pas tout à fait absurde, puisque l’homme est créé à l’image et ressemblance de Dieu. Oui, mais nous sommes en route vers notre création achevée et, en fin de compte, la seule image authentique que nous ayons est le Christ « image du Dieu invisible » (Colossiens 1,15). Il est l’homme accompli. C’est lui qui est « parfait comme notre Père céleste est parfait » (derniers mots de notre évangile). Et voici qu’il nous demande de le rejoindre là, dans cette perfection de la ressemblance. C’est alors que Dieu sera vraiment notre père, puisque ce qui caractérise la paternité ou la maternité, c’est la ressemblance (Genèse 5,3). Ainsi, quand Jésus nous demande d’être parfaits comme notre Père est parfait, il nous demande d’aller jusqu’au bout de notre humanité. Nous pouvons reprendre les consignes qu’il nous donne (ne pas riposter face au méchant, donner plus que ce que l’on veut nous prendre, aimer nos ennemis…) sans perdre de vue qu’elles nous décrivent la « conduite » de Dieu envers nous. Voilà qui peut et doit nous réconforter. Ce réconfort précède et entraîne l’imitation. Nous avons à être comme Dieu. C’était le projet d’Adam et d’Ève, de cet « homme ancien » qui se tient au fond de nous. À cela près que ce vieil homme se trompe sur Dieu. Écoutons ce que nous dit de lui l’Homme Nouveau, le Christ.
Aimer comme il nous aime
Le Seigneur nous en demande beaucoup. Cela paraît même une mission impossible que d’accomplir tout ce qu’il nous demande aujourd’hui. C’est déjà difficile d’aimer son prochain, d’aimer ceux mêmes qui nous aiment, ou ceux qui peut-être nous sont indifférents. Alors nos ennemis : ceux qui nous font peur, ceux qui nous font mal, ceux qui nous font trembler et perdre nos moyens, comment arriverons-nous à les aimer comme le Seigneur souhaite que nous les aimions ? Comment les respecter alors qu’ils ne nous respectent pas ? Comment les honorer de notre amitié, quand ils nous détestent ?
Mais justement le Seigneur ne nous demande pas de faire de nos ennemis nos amis. Il se peut même que ces gens là demeurent nos ennemis sans jamais s’ouvrir à quelque amour pour nous. Là n’est pas la question. Ce qui compte, ce dont il s’agit, c’est que nous soyons ouverts intimement à du changement dans nos relations avec eux. Que nous apprenions à les voir différemment. Que nous soyons capables de dépasser le mur de haine qui nous sépare d’eux. Que, s’il n’en tenait qu’à nous, nous soyons capables d’être bienveillants à leur endroit, employés à leur faire du bien, à leur exprimer quelque chose de la tendresse de Dieu, de son amour, de son appel.
C’est dans ce sens que nous pouvons tendre l’autre joue à celui qui nous a frappé. Non pas pour qu’il nous frappe encore, non pas par bonasserie, par faiblesse, mais pour l’embrasser, lui témoigner confiance et amour. « Si quelqu’un te gifle sur la joie droite, tends-lui encore l’autre ». Une réaction plutôt courageuse, il y faut beaucoup de force et de liberté.
Accepter de faire deux mille pas avec celui qui m’en demande mille, n’est-ce pas l’occasion de faire du chemin avec cet autre, nous donner l’opportunité d’un changement intérieur bénéfique, salutaire pour les deux.
Nous manquons de confiance et d’assurance en nous-même, et c’est ce qui explique que nous sommes sévères, exigeants et intolérants pour les autres.
Ce que nous apprenons aujourd’hui, c’est d’abord que Dieu est saint et plein d’amour. Qu’il est notre Père. Que nous devons avoir à cœur de lui ressembler, même s’il est le Dieu trois fois saint. Nous apprenons que la façon correcte et parfaite d’honorer Dieu c’est d’aimer nous aussi, d’aimer tous ceux qu’il aime. Dieu est amour, écrit S. Jean. Celui qui aime est né de Dieu. Quelque chose du sang divin coule dans nos veines, une part de son Esprit Saint nous anime. Nous sommes capables d’aimer, de transcender les souffrances et les murs de l’inimitié entre nous pour accéder à la rencontre profonde de l’autre, qui est lui aussi, elle aussi, en capacité surnaturelle d’aimer comme fils ou fille de Dieu.
C’est notre regard sur l’autre qui doit changer. C’est notre appréciation de nous-mêmes qui doit changer. L’autre quel qu’il soit a besoin de notre amour. Moi-même, tout pauvre et pécheur que je suis, je suis capable d’aimer, avec l’élan, la grâce et la puissance de Dieu lui-même, puisque je suis son fils, sa fille, et qu’il est mon Père, et qu’il m’a restauré à l’image du bien-aimé, le Christ Jésus lui-même.
Qu’en cette eucharistie nous nous laissions configurer davantage à celui qui nous a aimés jusqu’à donner sa vie. Que nous apprenions à nous aimer les uns les autres comme lui nous a aimés le premier.
Par Jacques Marcotte, o.p.
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« Donne ce que tu commandes,
et alors commande ce que tu veux »
Les paroles de Jésus dans cet évangile sont d’une exigence telle qu’elles peuvent nous paraître irréalisable. Comment peux-tu nous demander autant, serions-nous tentés de répondre à Jésus ? Ces prescriptions de vont tellement à l’encontre de nos inclinations naturelles qu’elles nous frappent en plein cœur. Mais Jésus nous oblige quand même à nous interroger et nous demander si nous sommes vraiment capables de vivre de telles exigences ? Pouvons-nous vraiment tendre l’autre joue, donner beaucoup plus que l’on nous demande, pardonner à nos ennemis, les aimer même ? N’est-ce pas insensé ?
Pourtant les prescriptions de Jésus se rattachent à l’enjeu de notre salut. Jésus parle de récompense pour ceux et celles qui agissent ainsi, de la nécessité pour ses disciples de poser des gestes qui relèvent de l’extraordinaire dans leurs vies s’ils veulent vraiment être les fils et les filles de leur Père qui est aux cieux.
En méditant les paroles de Jésus, il m’est venu à l’esprit cette analogie. Imaginons nos vies comme une grande et belle maison. Cette maison est le lieu de ce qui nous tient le plus à cœur, de ce qui fait la richesse de nos existences. Quand on y entre, la première pièce que l’on traverse est celle de la famille, la pièce de l’amour des proches, père, mère, frères et sœurs. Succède à cette pièce, celle de nos amours, de nos conjoints, de nos enfants, qui deviennent tout aussi importants que les membres de notre famille. Suivent d’autres pièces où se vivent les grandes amitiés, les rencontres avec des personnes marquantes, des maîtres à penser, des éducateurs, des témoins. Vient ensuite la pièce de notre vie de tous les jours, avec les collègues de travail, les voisins, les membres de nos communautés d’appartenance.
Enfin, tout au fond de notre maison, il y a une pièce qui ressemble à une chambre à débarras où se retrouvent pêle-mêle les personnes que l’on ignore, celles qui nous déplaisent et celles que l’on déteste, les personnes qui nous veulent du mal, les personnes qui nous ont blessés, celles qui se dressent en ennemis sur notre route, bref tous ceux et celles que l’on exclue de nos vies.
Cette pièce nous aimons bien la garder fermée à clé, ne pas y penser. Mais voilà que Jésus nous invite à ouvrir bien grand la porte, à faire la lumière, à faire nôtre son regard, et à voir avec son cœur les personnes qui s’y trouvent. Il nous invite même à en faire des prochains, des touts proches. C’est comme si Jésus nous disait qu’il y a en nous un lieu secret où le souci de l’autre, du proche comme du lointain, doit l’emporter sur nos préjugés, nos peurs, nos haines et nos rancœurs. C’est comme s’il nous disait : « Vous savez, vous êtes capables de beaucoup plus d’amour que vous ne le croyez ! »
Une première question qui se pose à nous en écoutant cet évangile, c’est de nous demander si nous croyons que Jésus dit vrai. Et si c’est le cas, si nous faisons confiance à sa parole, pourquoi devons-nous alors agir ainsi ? Et Jésus de nous répondre : « Il vous suffit de scruter les Écritures pour comprendre. » Écoutons à nouveau l’invitation que Dieu fait au peuple d’Israël dans notre première lecture. Il lui est dit : « Soyez saints, car moi, le SEIGNEUR votre Dieu, je suis saint. »
Cette demande s’adresse aussi à nous. Ce qui nous est demandé, c’est ni plus ni moins être comme Dieu, de vivre nos vies à sa ressemblance. Est-ce possible ? Pourtant il est bien écrit au livre de la Genèse que « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa ; mâle et femelle il les créa » (Gn 1, 27). Donc, si Dieu est saint, nous sommes appelés à le devenir nous aussi. Bien sûr, nous le savons trop bien, on ne naît pas saint, on le devient. Nous sommes des êtres en devenir, nos vies sont comme des chefs-d’œuvre en voie d’achèvement, une toile vivante sur laquelle Dieu inscrit son amour au fil des jours, avec des touches légères et délicates tel un peintre impressionniste.
L’appel à la sainteté peut nous paraître inatteignable, mais il est bon de savoir que dans la grande tradition d’Israël, quand il est question de la « sainteté » de Dieu, ce mot est synonyme avec le mot « amour ». Ce qui amènera l’apôtre Jean à affirmer dans une formule inoubliable que « Dieu est amour ! » Et c’est parce que Dieu est amour qu’il nous appelle à notre tour à devenir amour ! Nous avons comme vocation d’être les porteurs de l’amour de Dieu.
« La promesse incomparable faite à ceux et celles qu’a atteints l’appel à suivre Jésus Christ, c’est qu’ils seront semblables au Christ… Celui qui se donne tout entier à Jésus Christ ne pourra que porter son image. Il devient fils, fille de Dieu, il se tient aux côtés du Christ, le frère invisible, dans une condition toute semblable à la sienne, comme l’image de Dieu (Dietrich Bonhoeffer).»
Il n’y a pas de recette magique afin de vivre ces exigences de l’évangile que nous propose Jésus aujourd’hui. Il faut simplement que notre désir de suivre le Christ l’emporte par-dessus tout ; que nos cœurs s’offrent sans cesse à Dieu et soient ouverts à sa grâce.
Au terme de cette réflexion, il faut donc nous poser les questions suivantes : Est-ce que je veux correspondre à ce que Dieu attend de moi dans ma vie ? Est-ce que je veux entrer dans ce bonheur qu’il me propose, même si cela semble parfois aller contre toute logique humaine ? Enfin, est-ce que je fais confiance à la parole de Jésus ? Oui ou non.
C’est ce oui, que Dieu attend de nous et qui nous ouvre le chemin du véritable amour, par lequel nous pouvons alors habiter peu à peu toutes les pièces de notre demeure intérieure, et ainsi porter le souci de tous, les proches comme les lointains, les amis comme les ennemis. “Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait !”, nous dit Jésus, car il n’y a pas de plus grand bonheur. Et pour y parvenir, nous ne pouvons que reprendre la prière que faisait saint Augustin quand il disait à Dieu : « Donne ce que tu commandes, et alors commande ce que tu veux. » Donne-moi la force de vivre tes exigences, et alors, demandes-moi tout ce que tu veux. Avec ton aide tout devient possible !
Que ce soit là notre prière en ce jour du Seigneur.
Par Yves Bériault, o.p.
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Notre Maître,
par Maurice Zundel
Non : Criton, il est défendu de rendre le mal pour le mal et il ne faut pas tant souhaiter de vivre que de bien vivre. C’est ainsi que Socrate répondait aux instances de son ami qui cherchait à le persuader de prendre la fuite pour éviter la mort prochaine. Non, je ne saurais commettre d’injustice et fouler aux pieds les lois saintes de la patrie ; tu t’affliges de ce que je meure innocent, aimerais tu mieux me voir coupable ? Restons en donc là, cher Criton, et suivons le chemin par où le Dieu nous conduit. Et là-dessus, le plus sage des hommes avale intrépidement le breuvage mortel auquel il est condamné et se recouche tranquillement en discutant avec ses amis sur l’immortalité de nos Ames.
Quel esprit Messieurs, élevé au-dessus du sensualisme qui consume notre temps, restera froid à ce tableau sublime ? Quel jeune homme épris d’idéal, ne sera pas saisi d’un enthousiasme sincère pour le philosophe athénien ? Et cependant qu’a t il fait, sinon que d’être fidèle à son principe : il ne faut pas commettre d’injustices ? Comment Socrate, dira t on, toi qui te vantais de voir venir la mort avec indifférence, mai tenant, sans respect pour ces belles paroles, sans respect pour les lois, puisque tu veux les renverser, tu fais ce que ferait le plus vil esclave, en tâchant de te sauver contre les conditions du traité qui t’oblige à vivre selon les règles.
Il est vrai que tant de gens n’ont, des principes que pour ne pas les mettre en pratique, que la gloire de Socrate en a été démesurément grandie et qu’elle a souvent fait oublier une figure plus grande, plus sage, plus noble, plus sublime mille fois que lui : Jésus de Nazareth.
Le Christ, en effet, ne vécut pas pour prouver aux hommes qu’ils étaient de parfaits ignorants et il ne mourut pas pour affirmer un principe philosophique, il fit mieux. Vous le savez sans doute, Messieurs, et vous jugerez peut-être inutile d’insister sur cette affirmation et, cependant, si comme à Pierre on vous demandait : Et toi, que penses tu de Jésus Christ ? Sauriez vous que répondre ? Pour Socrate, cela vous serait aisé et vous déploieriez bien vite des trésors d’éloquence pour exalter le penseur antique et son sublime désintéressement ; mais pour Jésus Christ, quelle idée vous faites vous de lui et en quels rapports êtes vous avec lui ? C’est cela la question capitale dont dépendra l’orientation de votre vie.
Combien, dans toutes les classes de la société, ont sombré parce qu’ils n’avaient pas du Christ une idée arrêtée et parce qu’ils n’avaient jamais examiné le lien qui les unissait à lui ? Combien d’étudiants qui avaient reçu une formation chrétienne dans des écoles de couvent, ont ruiné leur foi et ont ruiné leurs corps et leurs âmes dans des plaisirs honteux ? C’est que la religion était restée chez eux à l’état de surface. Ils avaient connu les dogmes, mais ils ne connaissaient pas l’esprit qui les vivifie ; ils savaient des formules, mais ils en ignoraient les principes et c’est pourquoi à l’heure de la tempête, l’édifice s’est écroulé et leurs ruines ont été grandes.
Mais comment connaître le Christ ? Vous avez ouvert Platon pour connaître Socrate, l’Evangile vous révèlera au mieux Jésus Christ. Mat. 19, 36. Ouvrons le donc, considérons son héros sous un jour purement humain et dites moi si un enseignement présente un tel tissu de lumière et d’amour ? Socrate, le plus noble philosophe du paganisme avait dit déjà cette parole incompréhensible : il ne faut pas faire d’injustices, même à ceux qui nous en font. Mais Jésus, s’élevant mille fois plus haut qu le philosophe antique, s’écrie : ” Vous avez appris qu’il a été dit : oeil pour oeil, dent pour dent, et moi je vous dis de ne point résister au mal, mais si quelqu’un vous a frappé sur la joue droite, présentez lui encore l’autre, si quelqu’un veut plaider contre vous pour vous prendre votre robe, abandonnez lui encore votre manteau. Vous avez appris qu’il a été dit : vous aimerez votre prochain et vous haïrez votre ennemi, mais moi je vous dis : aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent et priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient. Aimez vous les un les autres. Pardonnez jusqu’à 70 fois 7 fois “. Matth.5,44 et 18,21. Plusieurs fois, sans doute, vous avez entendu ces paroles, mais en avez vous saisi la profondeur insondable ? Avez-vous compris combien elles témoignaient de la supériorité de ce génie dont les enseignements contredisaient à un tel degré les penchants mauvais de notre pauvre nature… Bienheureux les cœurs purs, bienheureux les pauvres, bienheureux les persécutés… Est ce là l’enseignement que l’on donne à la jeunesse ? Est-ce là celui qu’on accorde aux pauvres et aux persécutés ?
Niez maintenant que la doctrine du Maître fut la plus belle, la plus noble et la plus géniale de toutes les doctrines : mais sa vie, plus encore que son enseignement, abonde en contrastes merveilleux. Il s’affirmait roi et il naquit pauvre. Il voulait perpétuer sa doctrine et, à cet effet, quels disciples choisit il ? Des savants comme lui, Messieurs, des philosophes au courant de tous les systèmes, des orateurs pleins d’éloquence ?
Non, des pécheurs ignorants et timides. Il était le Maître et il lavait les pieds de ses apôtres. Quand on lui amène la femme adultère, il ne peut que lui dire : ” Puisqu’ils ne vous ont pas condamnée, je ne vous condamnerai pas non plus allez en paix et ne péchez plus “. Et quand Marie Madeleine arrose ses «pieds de larmes, il lui pardonne parce qu’elle l’a beaucoup aimé. Et quand il a enduré toutes les souffrances du Calvaire et quand il a essuyé les outrages les plus ignobles, il n’a que des mots de pardon et d’amour : ” Mon Père, pardonnez leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font “. Je n’ai pas besoin de vous nommer son amour pour les pécheurs. C’est pour eux qu’il venait : ” Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs, je suis le Bon Pasteur et le Bon Pasteur donne sa vie pour ses brebis “.
Mais le mal du péché n’était pas seul à exciter pitié. Son cœur vibrait à toutes les souffrances humaines et il parcourait la Palestine, guérissant, exhortant, consolant, appelant à lui toutes les infortunes : ” Venez à moi vous tous qui êtes travaillés et chargés et je vous soulagerai, prenez mon joug sur vous et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, car mon joug est doux et mon fardeau est léger “.
Et lorsqu’il rencontrait une âme blessée et travaillée, il lui disait ces mots bénis : ” Je vous donne ma paix, mais non pas comme le monde la donne ; demeurez dans mon amour “. Et quand il rencontrait un jeune homme en proie à la tentation, il murmurait cette parole mystérieuse : ” Bienheureux les cœurs purs“.
N’avais je pas raison, Messieurs, d’affirmer que nulle vie ne présentait un tel tissu de lumière et d’amour Et si vous vous êtes enthousiasmés pour Socrate, que penserez-vous de Jésus Christ ? Et si vous avez beaucoup estimé Socrate, comment estimerez vous Jésus Christ ? Vous l’estimerez sans doute, par-dessus tout, comme le génie le plus pur qui soit jamais apparu et quand vous irez dans le monde et que vous entendrez prôner des maîtres et des systèmes nouveaux, vous répondrez avec honneur : “Mon Maître et sa doctrine sont plus grands que tout cela “.
Mais vous n’en resterez pas là. Examinant le lien miséricorde et d’amour qui vous unit à lui, vous ferez plus que de l’admirer, vous l’aimerez par-dessus tout. D’ailleurs, comment pourriez vous l’estimer à son prix sans, qu’aussitôt vos nobles cœurs ne soient épris de son amour ? Et cet amour planera sur votre vie, comme une étoile conductrice et mieux que toutes les considérations intéressées sur votre salut, préservera vos pas de la chute, vos cœurs de la corruption et transfigurera votre carrière, quelle qu’elle soit, comme un soleil printanier…
Et alors, le cœur rempli d’une douce paix, de cette paix que le monde ne donne pas, mais que le Christianisme accorde à tous ceux qui sont de bonne volonté, vous sentirez réaliser en vous la vérité ineffable de cette parole de Jésus : ” Celui qui me suit ne marche point dans les ténèbres “.
Maurice Zundel (1897-1975) est un des plus grands auteurs spirituels du XXème siècle
En 1914, à Neuchâtel.
Le Père Bernard de Boissière nous précise qu’à cette époque, Maurice Zundel avait 17 ans et qu’il vivait deux années fondamentales de sa vie, quant à son orientation future, à l’Abbaye de Einsiedeln où il apprenait l’allemand. Cette abbaye Bénédictine Suisse abritait de nombreux moines qui au moment de la guerre, en 1915, ont renvoyé leurs élèves de langue française préférant se rattacher à l’Allemagne. Maurice Zundel y a passé deux ans et le texte que nous publions a du être rédigé lors d’un passage dans sa famille puisqu’il est écrit en français. Plus tard Maurice Zundel a fondé une oblature à Genève en souvenir de ces oblats.