Marie dans la foi des chrétiens
Michel Rondet, sj

Les titres glorieux, dont la dévotion des fidèles a honoré Marie, risquent bien de masquer un aspect essentiel de son rôle dans l’Incarnation: elle a partagé profondément l’abaissement de son Fils « lui qui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu, mais s’abaissa prenant condition d’homme » (Épître aux Philippiens 2,6-7). Certes, Marie n’a pas eu à revêtir une condition qu’elle partage avec chacun d’entre nous, mais rien dans la mission unique qui fut la sienne n’est venu la soustraire à l’humilité de sa naissance et de son environnement. « Une femme dont on n’a rien dit… » a chanté Didier Rimaud et c’est bien vrai. Rien de ce qu’on peut dire d’elle ne lui donne une place dans les gloires mondaines ou même parmi les héroïnes religieuses de son peuple: Judith, Esther…
Elle est la mère de Jésus, c’est vrai, mais elle l’est avec une discrétion que Jésus consacrera : « Qui sont ma mère, qui sont mes frères ?… Ceux qui font la volonté de mon Père » (Matthieu 12,48-49). Et aux deux moments où elle intervient personnellement dans l’Évangile, à Cana et au pied de la croix, Jésus lui donne ce nom qui la remet dans notre commune humanité : « Femme » ! Nous sommes loin des titres des litanies: « reine des patriarches, reine des prophètes ».

Et pourtant, c’est bien dans la discrétion des Écritures que nous trouvons la vraie gloire de Marie.

  • – Le message de l’Ange révèle dans l’inconnue de Nazareth la fille de Sion, celle qu’avaient évoquée les prophètes, celle qui accueillerait au nom de son peuple le don de Dieu et qui présiderait dans le silence de son cœur au renouvellement de l’Alliance : « Fille de Sion, réjouis-toi car le Seigneur est en toi en vaillant Sauveur ».
  • – Élisabeth saluera en elle « celle qui est heureuse d’avoir cru » (Luc 1,47), exprimant dans l’allégresse de l’Esprit ce qui restera le grand titre de gloire de Marie, sa foi en la parole de Dieu, aussi étonnante et bouleversante qu’elle puisse paraître. Saint Augustin n’hésitera pas à dire de Marie qu’elle est plus grande d’avoir cru la parole qui lui était dite que d’avoir enfanté le Sauveur. C’est bien la foi en effet qui permet à sa maternité de devenir divine dans l’action de l’Esprit. Et nous pouvons contempler dans l’accueil et la réponse de Marie au message de l’ange « ces noces de la Parole et de la foi » (Roland de Pury) où notre humanité renaît.
  • – Face au message divin qui la proclame « comblée de grâces », Marie ne revendique qu’un titre : « Je suis la servante du Seigneur ». Elle rejoint ainsi son Fils qui n’est pas venu pour être servi mais pour servir et qui revendiquera, dans l’initiative qu’il prend de laver les pieds de ses disciples, la place du serviteur. Ainsi Marie choisit spontanément un rôle et une place que l’Évangile ne cessera d’exalter.
  • – Au pied de la croix, elle témoigne par son attitude et sa présence qu’elle a compris le sens que Jésus veut donner à sa mort : aller jusqu’au bout de l’amour des siens pour leur révéler l’amour du Père. Elle est là, non pas effondrée dans sa douleur de mère, mais debout dans la foi qui l’associe à l’offrande de son Fils. Elle est l’Église au pied de la croix, célébrant dans la foi le mémorial de la Pâque du Fils unique. Là encore, elle se livre totalement à l’amour de son Fils, accueillant dans sa maternité le disciple qu’il aimait et à travers lui tous ceux qu’élevé de terre il attirerait à lui.
  • – Enfin, présente à l’Église en prière, elle témoignera déjà au milieu des disciples du don de l’Esprit qu’ils vont recevoir de la mort et de la résurrection de Jésus. Pour elle, la Pentecôte a déjà eu lieu dans le silence de Nazareth ; sa prière guide les disciples dans l’attente et l’accueil du Souffle qui va lancer leur groupe sur les routes de la Bonne Nouvelle. Là encore son rôle est discret, quelques mots, au début des Actes des Apôtres, suffisent à l’évoquer et c’est à peine si elle émerge du groupe des femmes présentes : « quelques femmes dont Marie, mère de Jésus… » Il y a, c’est vrai, dans le livre de l’Apocalypse la femme couronnée d’étoiles, mais c’est l’Église dont Marie est la figure. Une figure dont l’Assomption laisse espérer pour l’Église la victoire sur le mal. Victoire qui est celle du Christ dont Marie est la première bénéficiaire dans l’Église. Dans l’action de grâces et la reconnaissance qui viennent du fond de son cœur.

Ne nous y trompons pas, le premier rôle de Marie dans l’Église est d’ouvrir nos cœurs à la reconnaissance et à l’action de grâces et de nous guider sur les chemins du service et de l’accueil. Dans la mission unique qui fut la sienne, elle n’a pas eu un instant de regard sur elle-même. Son Cantique, le Magnificat, qui n’oublie rien de la grandeur de ce qui lui a été donné de vivre, ne contient pas le moindre sentiment d’autosatisfaction, mais seule la joyeuse offrande de sa pauvreté. Dans sa vie, nous pouvons reconnaître la grandeur de notre vocation sans que rien ne vienne nous excuser de ne pas la suivre. Fille de notre race, elle est, au cœur de l’Église, le visage de notre espérance.

Michel Rondet, sj
Publié le 16 février 2007 par Garrigues et Sentiers
http://www.garriguesetsentiers.org