Deuxième dimanche de l’Avent (A)
Matthieu 3,1-12
Références bibliques :
- Lecture du prophète Isaïe : 11. 1 à 10 : « Sur lui reposera l’esprit du Seigneur. »
- Psaume 71 : « Qu’en lui soient bénies toutes les familles de la terre. »
- Lettre de saint Paul aux Romains : 15. 4 à 9 : « Etre d’accord entre vous, selon l’esprit du Seigneur. »
- Evangile selon saint Matthieu : 3. 1 à 12 : « Lui vous baptisera dans l’Esprit-Saint et le feu. »
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 3,1-12.
En ces jours-là, paraît Jean le Baptiste, qui proclame dans le désert de Judée :
« Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche. »
Jean est celui que désignait la parole prononcée par le prophète Isaïe : ‘Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers.’
Lui, Jean, portait un vêtement de poils de chameau, et une ceinture de cuir autour des reins ; il avait pour nourriture des sauterelles et du miel sauvage.
Alors Jérusalem, toute la Judée et toute la région du Jourdain se rendaient auprès de lui, et ils étaient baptisés par lui dans le Jourdain en reconnaissant leurs péchés.
Voyant beaucoup de pharisiens et de sadducéens se présenter à son baptême, il leur dit : « Engeance de vipères ! Qui vous a appris à fuir la colère qui vient ?
Produisez donc un fruit digne de la conversion.
N’allez pas dire en vous-mêmes : “Nous avons Abraham pour père” ; car, je vous le dis : des pierres que voici, Dieu peut faire surgir des enfants à Abraham.
Déjà la cognée se trouve à la racine des arbres : tout arbre qui ne produit pas de bons fruits va être coupé et jeté au feu.
Moi, je vous baptise dans l’eau, en vue de la conversion. Mais celui qui vient derrière moi est plus fort que moi, et je ne suis pas digne de lui retirer ses sandales. Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu.
Il tient dans sa main la pelle à vanner, il va nettoyer son aire à battre le blé, et il amassera son grain dans le grenier ; quant à la paille, il la brûlera au feu qui ne s’éteint pas. »
Avent : La vie devant soi
Marcel Domergue
Quand on prend de l’âge (jeunes, ce commentaire vous concerne aussi), il arrive que l’on se dise : « ma vie est derrière moi ». À cette constatation, on peut ajouter un survol qui, si l’on est lucide, ne donne pas envie de pavoiser. Il y a d’ailleurs des moments où le regard porté sur le passé ne voit que du bien, d’autres moments où nous ne percevons que les échecs ou les insuffisances. Au fond, peu importe car, quel que soit notre âge ou notre état de santé, notre vie n’est pas derrière nous mais devant nous. Nous allons vers la vie et ce n’est pas toujours facile à croire. Nous voici, ici et maintenant, en un point précis de notre existence. Le passé est inscrit dans notre corps et dans notre esprit, comme des couches géologiques, mais actives pour le meilleur et pour le pire. Grande est la tentation d’imaginer que notre passé nous enferme dans une sorte de destin. Il n’en est rien car, où que nous en soyons, nous sommes sous l’emprise d’un appel qui nous vient d’ailleurs, du « pas-encore-là ». En voie de création, nous sommes encore à venir. C’est pourquoi, chacune à sa manière, nos trois lectures nous mettent en posture d’attente, c’est-à-dire d’espérance (mot tiré de la seconde lecture, où il est donné comme synonyme de persévérance et de courage). La plénitude de la vie est devant nous, au bout de la route.
Qu’attendons-nous ?
La première lecture répond : le rejeton qui jaillira de la souche rasée de Jessé. Le Nouveau Testament voit cette promesse accomplie dans le Christ. Est-ce pour autant la fin de l’attente ? Non, car l’image du rejeton, ou du surgeon, suggère une croissance. Notre connaissance du Christ est pour l’instant imparfaite, dit Paul. De plus il y a une croissance de ce corps du Christ qui est notre communion dans l’unité ; donc, en un sens, une croissance du Christ lui-même, qui n’atteindra toute sa taille qu’à l’heure de cette venue en gloire, qui demeure pour nous un mystère. En 1 Jean 3,1-2, nous apprenons que notre propre croissance, l’achèvement de notre création, coïncidera avec la révélation du Christ tel qu’il est. Alors nous serons « participants de la nature divine » (2 Pierre 1,4.) Quant à l’évangile du jour, récit de la prédication de Jean Baptiste, il est tout entier tourné vers « Celui qui vient. » Cependant, gardons-nous de situer la venue du Christ dans un futur indéterminé : « il viendra » prend forme en permanence dans un « il vient ». L’Écriture porte témoignage à ce double aspect : le Royaume de Dieu est pour la fin des temps, et pourtant « il est tout proche », « déjà là, au milieu de vous » (ou : « entre vous », ce qui assimile le Royaume de Dieu à l’amour). En effet l’espérance est déjà, en nous, présence et possession de ce que l’on espère (traduction large d’Hébreux 11,1).
La fin de l’avenir
Nous voici donc en train de vivre une histoire où chaque instant est lourd de la présence de l’avenir. Présence active, créatrice, puisqu’il s’agit de la présence divine. Si nous étions conditionnés par notre passé seulement, nous serions, répétons-le, enfermés dans la prison d’un destin. En fait, notre passé est assumé et reconstruit dans le déploiement d’une alliance avec Dieu qui génère du nouveau, parce que Dieu est toujours nouveau. Pensons à l’enfant à sa naissance : tout un passé est là, avec l’ADN, de son héritage, et pourtant il est neuf, imprévisible, unique. Être fils d’Abraham, c’est un bon héritage, mais parce que Dieu est libre, c’est-à-dire détenteur du pouvoir de faire advenir du nouveau (les enfants nés « des pierres que voici »), alliés à lui nous devenons participants de son absolue liberté. Mais Jean Baptiste nous annonce la fin de ce parcours et l’heure du bilan. Il voit en perspective la venue du Christ, déjà venu à Bethléem mais maintenant à la veille de naître à l’accomplissement de sa mission, avec son ultime venue, parole tranchante qui opère le tri entre le bon et le mauvais, entre ce qui vaut et ce qui ne vaut rien. Effrayant ? Non car nous sommes tous porteurs de paille et de bon grain : le tri terminal libérera chacun de nous de « l’homme de fraude et d’iniquité » (Psaume 43) qui parasite en nous l’image de Dieu. Tout viendra à la lumière, mais tout ce qui vient à la lumière, même nos ténèbres, devient lumière (Éphésiens 5,13 et Psaume 139,12).
Qui donc est cet homme ?
Jacques Sylvestre, o.p.
Telle pourrait et devrait être notre réflexion en ce deuxième dimanche de l’Avent : qui est cet homme d’autrefois pour nous apprendre quelque chose en ce troisième millénaire ?
Jean Baptiste, grande figure de l’Avent, hier, aujourd’hui et demain, l’homme d’une bonne nouvelle, hier, aujourd’hui et demain. A man for all season! comme on identifiait Thomas Moore. Le message de cet évangile peut quelque peu nous dérouter, mais, une fois compris, il apparaît d’une brûlante actualité. Le secret n’est pas d’actualiser le message dans la perspective d’un lendemain imprévisible, la fin des temps, mais de la fin d’un temps : celui d’aujourd’hui.
HIER
Hier, Jean, l’essénien, fils de Élisabeth et de Zacharie au sujet duquel tous demandaient au lendemain de sa naissance : Que sera donc cet enfant? (Lc.1 : 66) Quelle furent ses relations avec Jésus, à la suite de quelle expérience mystique a-t-il pu deviner en lui l’Agneau de Dieu et mesurer sa grandeur : Il vient après moi celui qui est plus fort que moi et dont je ne suis pas digne de délier les lanières de ses sandales. (Lc. 3 : 16) Jean, écrit Luc (3 :3-4), vint dans la région du Jourdain, proclamant un baptême de conversion, en vue du pardon des péchés, comme il est écrit au livre d’Isaïe : Une voix crie dans le désert : préparez le chemin du Seigneur, rendez droit ses sentiers ; tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées ; les passages tortueux redressés, les chemins rocailleux aplanis et tous verront le salut de Dieu. (Is. 40 : 3-5) Matthieu décrit Jean Baptiste comme témoin d’une grande austérité : Jean avait un vêtement de poil de chameau et une ceinture de cuir autour des reins ; il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage. (Mt.3 : 4) Cependant, on venait à lui de toute part pour se faire baptiser en confessant ses péchés. S’adressant aux pharisiens, les séparés, et aux sadducéens, caste sacerdotale, Jean leur criait : Engeance de vipères, qui vous a enseigné le moyen d’échapper à la colère qui vient ? Produisez donc du fruit qui témoigne de votre conversion. Changez, criait-il convertissez-vous, la colère gronde, la cognée est à la racine de l’arbre, et l’arbre qui ne porte pas de bons fruits sera abattu. Jésus lui-même reprendra à son compte les thèmes du Baptiste (Mt.23 : 33)
Le discours de Jean Baptiste, adressé à tous (Lc.3 : 10-14), mais davantage à la classe dirigeante juive, est dominé par l’idée de l’imminence du jugement. Il n’est pas uniquement un encouragement au repentir, une exhortation susceptible de produire la conversion, mais un discours sur le jugement que viendra couronner le jugement du Christ.
AUJOURD’HUI
Aujourd’hui, et aux premiers temps de l’église, l’idée de jugement semble être devenue, avec Matthieu, l’enseignement donné aux disciples de Jésus et membres de la hiérarchie : tous doivent s’attendre à un jugement rigoureux si leur vie n’a pas porté les fruits attendus : 7 : 21-23; 21 : 43; 22 : 11-14; 25 : 24-30 et 31-45. Mais la menace du Baptiste prend avec la première génération chrétienne une valeur générale. Elle vise, surtout chez Matthieu, ceux et celles qui se disent chrétiens par le baptême, mais ne le sont pas dans la pratique, dans leur vie quotidienne. Cette prédication vaut toujours pour l’Église actuelle, elle demeure parole vivante pour la communauté que nous formons, même si, à cause d’un certain laisser-aller habituelle, elle peut nous paraître anachronique.
Deux idées se détachent clairement de la prédication du Baptiste : la nécessaire conversion et l’incertitude du salut, textes on ne peut plus valables pour l’Avent. Nul ne peut désormais se targuer de privilèges spéciaux d’exemption, comme les Juifs qui se prévalaient d’une certaine immunité en en raison de leur filiation avec Abraham. Si le salut semble assuré au début de la vie chrétienne par l’enseignement et le Baptême, (28 : 18) il n’est pas à tout jamais assuré. Vaincu par le sang du Christ, le péché n’est pas définitivement vaincu en nous. L’appartenance actuelle à l’Église ne garantit pas encore l’entrée dans le Royaume de Dieu. En chaque baptisé, l’ivraie pousse toujours au milieu de bon grain. Et la conversion s’avère chaque jour nécessaire, elle ne sera authentique que si elle produit de bons fruits. L’arbre sans fruit est le fait d’une foi qui ne passe pas dans la vie, dans le quotidien ; le vrai fruit consiste dans les œuvres de charité. La conversion presse, le jugement est imminent.
Quel est donc l’homme qui oserait tenir pareil discours aujourd’hui : Jean d’hier et Jésus d’aujourd’hui à travers la catéchèse de Matthieu. (ch.23).
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« Pas de souci ! » ?
Guillaume Dehorter, ocd
« Pas de souci ! » On connaît l’expression qui s’est imposée dans le langage courant depuis une quinzaine d’années. Dans les relations entre amis, dans les relations professionnelles, l’expression retentit comme une antienne : « pas de souci ! » Certes, c’est une des vertus du langage que de rendre, dans nos relations, toute chose agréable. Mais l’expression, bien de notre époque qui se veut toujours positive et politiquement correcte, est très illusoire. Des soucis, nous en avons tous. Dame liturgie le sait bien, qui nous fait demander en ce jour : « Seigneur, ne laisse pas le souci de nos tâches présentes entraver notre marche à la rencontre de ton Fils ». Elle attire notre attention sur ce que nous en faisons et la place qu’ils occupent dans notre vie, notre vie de foi en particulier.
C’est dans ce contexte, qu’en ce deuxième dimanche de l’Avent, retentit une autre expression : « convertissez-vous ! » Le violet, couleur liturgique de la conversion et de la pénitence, ne se porte jamais aussi bien qu’en ce jour, alors que l’Avent se parerait également des autres couleurs liturgiques : le vert, couleur de l’espérance à laquelle invite tout particulièrement, dans son appel à la vigilance, le premier dimanche de l’Avent ; le blanc, couleur de la joie qui sera la marque de dimanche prochain ; et le rouge, couleur de l’Esprit-Saint, qui recouvrira la Vierge Marie, dans cette imminence de la Nativité qui caractérise le quatrième dimanche de l’Avent.
Mais en ce jour, par la bouche de Jean-Baptiste, l’appel à la conversion retentit dans le désert. Laissons-le retentir à nouveau dans nos cœurs ! Que signifie-t-il durant ce temps de l’Avent ? D’abord, les mots (« préparer », « aplanir », « nettoyer ») et les gestes de l’évangile (la vie au désert de Jean-Baptiste, sa vêture et sa nourriture) le disent avec force, la conversion de l’Avent est un retour à l’essentiel, ou plus précisément une recherche de l’essentiel. L’image du tri entre le grain et la paille peut nous aider. Qu’est-ce qui dans nos vies mérite d’être brûlé ou tout au moins laissé de côté et qu’est-ce qui mérite d’être recueilli et cultivé ?
Croire en Dieu nous guide dans cette appréciation et donne de la profondeur à nos vies tout en relativisant certaines choses, certains soucis aussi. La conversion de l’Avent comporte ensuite un appel à écouter plus attentivement l’Ecriture : « prêtez l’oreille ! » Saint Paul le disait : les livres saints ont été écrits « pour nous instruire afin que nous possédions l’espérance grâce à la persévérance et au courage (on pourrait traduire aussi la consolation) que donne l’Ecriture ». Lire l’Ecriture, ce n’est pas ressasser toujours les mêmes histoires mais retourner à la source (il s’agit bien d’une conversion) pour se laisser transformer et aller plus loin.
Dans notre évangile, Isaïe donne à Jean-Baptiste de discerner le moment unique de l’histoire qui se vit, les mots pour dire ce qu’il convient de faire et aux lecteurs de comprendre le geste de Jean-Baptiste (« Jean est celui que désignait la parole transmise par le prophète Isaïe »). L’Avent nous est donné pour relire l’Ecriture. L’huile de notre vigilance est la lecture, patiente, fervente et qui façonne « l’intelligence du cœur » que nous demandions dans la prière d’ouverture de notre messe. Cette intelligence nous donne d’apprécier à leur juste place les soucis qui peuvent assaillir notre cœur.
Troisièmement, l’invective de Jean-Baptiste « engeance de vipère » – lui, ne fait pas dans le politiquement correct – nous invite à vérifier nos points d’appui. En quoi, en qui, dans nos choix, dans nos attitudes, dans notre vie intérieure, faisons-nous confiance ? Jean-Baptiste fustige les pharisiens dont l’assurance est d’être fils d’Abraham. La cognée à la racine de nos arbres nous permet de repérer et de vérifier nos racines. Il y a dans certains de nos soucis des appuis mal établis, quand nous attendons parfois trop des autres ou parfois trop de soi, souvent pas assez de Dieu.
Quatrièmement, Jean-Baptiste nous interroge sur les fruits de notre conversion. Certes, la conversion n’est pas la récompense de ces fruits, certes ces fruits ne sont pas nécessairement abondants ni beaux à voir (il faut l’œil de Jésus regardant l’obole de la veuve pour les apprécier en vérité), mais se convertir c’est accueillir effectivement et donc efficacement la grâce, dans l’action de grâce. C’est le sens de se reconnaître pécheur, pas simplement pour fuir une menace (la colère de Dieu), se réfugier en Dieu pour en obtenir quelque chose, mais reconnaître les errances, les incohérences, les offenses de notre vie et tout attendre de Dieu.
Enfin, cinquièmement, Jean le Baptiste annonce le Royaume tout proche et la venue de Celui qui vient. Quel est le désir profond de notre cœur ? Celui de mieux connaître Dieu comme l’exprime Isaïe : « la connaissance du Seigneur remplira le pays comme les eaux recouvrent le fond de la mer » ? Celui d’éprouver la paix exprimée en terme d’harmonie cosmique (« le loup avec l’agneau ») dans la première lecture ou fraternelle (les « mêmes cœurs et mêmes voix ») de la seconde ? Ces horizons rencontrent-ils en nous un cœur blasé ou un cœur assoiffé, réaliste mais plein d’espérance ? L’épreuve de nos soucis peut nous faire accéder à ces désirs plus ou moins profonds qui habitent notre cœur.
On le voit à travers ce quintette d’orientations ouvertes par notre liturgie de la Parole, l’appel à la conversion durant ce temps de l’Avent nous fait cheminer à la rencontre de celui qui est la lumière et qui a demeuré parmi nous. Lui seul peut nous donner la véritable « intelligence du cœur » de ce que nous vivons, le désir de l’accueillir et de lui faire la place avec les détachements que cela implique, le courage pour le combat et l’espérance…
Et nos soucis dans tout cela ? Nous avons vu en passant que ce chemin de conversion de l’Avent pourra en relativiser certains en les situant à leur juste place et en trouvant les moyens pour y faire face. « Nettoyer, amasser et brûler » dit l’évangile. D’autres au contraire ne disparaîtront pas. Ils sont la trace de souffrances, de combats, de désirs qui nous taraudent en profondeur. Nous en repérons alors les vrais enjeux. Notre foi, mise à l’épreuve, est en même temps le grand appui. L’expérience de ces soucis peut ainsi devenir un lieu pour mieux connaître et mieux compter sur le Seigneur, fidèle et miséricordieux, comme le dit saint Paul. Sa fidélité est là quand nous nous décourageons, sa miséricorde et sa douceur sont plus fortes que nos duretés, nos refus et nos impatiences, son exigence nous retient des capitulations et des compromissions. Que l’appel à la conversion retentissant en ce jour nous encourage, nous réjouisse et nous donne déjà de rencontrer Celui qui vient.
Mission veut dire relancer l’espérance
Romeo Ballan, mccj
Trois personnages bibliques, dans ce temps de l’Avent, nous préparent à la rencontre avec le Christ: le prophète Isaïe, Jean le Baptiste et la Vierge Marie. Chacun des trois ayant une relation missionnaire spécifique avec le Messie-Sauveur qui vient: Isaïe annonce sa venue future, Jean en indique la présence, Marie le porte en elle et nous le donne. Il faut dire aussi que d’autres ‘pauvres de Yahvé’ du Premier Testament vivaient dans l’attente du Messie, malgré certaines ambiguïtés, l’attente étant souvent vécue selon l’imaginaire des hommes.
Aujourd’hui aussi! L’espérance est une valeur qui a perdu en partie ses contenus. Nombreux sont les hommes qui ne connaissent plus très bien les valeurs, les plus nécessaires au meilleur épanouissement de leur vie. Dans une œuvre de théâtre qui est toute une image de notre réalité, l’écrivain irlandais Samuel Beckett, prix Nobel de littérature (1969), dénonce toute l’absurdité de notre condition humaine. Cette œuvre, intitulée En attendant Godot, est construite entièrement sur l’attente d’un personnage très important mais inconnu. Il est annoncé sous un profil qui sombre dans le brouillard total, ainsi que ses caractéristiques. Quand à la fin l’arrivée de ce personnage est effectivement annoncée, l’œuvre se termine sur une invitation aux acteurs, manifestement peu convaincus: “allons-y!”. Sur la scénographie il est indiqué: “personne ne bouge”. Ils ne s’ouvrent pas à la rencontre. En réalité, rien ne s’est passé. La longue attente est tombée dans le vide. Tout n’a été qu’illusion!
Il n’en est assurément pas de même de l’espérance chrétienne, qui est toute une dynamique d’ouverture et de communion avec une Personne bien connue et dont on sait bien qu’Elle nous aime profondément. Il s’agit en effet de notre Sauveur à tous, qui porte un nom et un visage bien définis. Il s’appelle Jésus, le Christ. Il est le centre de toute l’annonce missionnaire de l’Église. Le Pape Benoît XVI a traité ce thème de “l’espérance chrétienne” dans sa seconde encyclique Spe Salvi (Nous avons été sauvés dans l’espérance (Rm 8,24). Si la charité est bien le cœur de la foi chrétienne –parce que Dieu est amour!- l’espérance en est la dynamique! Parce qu’elle permet à la foi de rester vivante dans le temps et l’espace. Elle soutient la fidélité de l’Église, appelée à l’annonce de l’Évangile dans le temps, dans l’histoire des hommes et dans les lieux qui sont les différentes cultures des peuples. Le Pape en donne la preuve en s’appuyant sur l’histoire emblématique de Sainte Joséphine Bakhita (1869-1947). Cette humble esclave du Darfour, “enlevée, battue jusqu’au sang, et cinq fois vendue sur les marchés d’esclaves du Soudan”, est devenue une âme pleinement libre et sauvée: d’abord dans la récupération de son intégrité physique et de sa dignité humaine, mais aussi, plus tard, parce que baptisée et devenue religieuse. Elle se sentait ainsi reconnue, définitivement aimée et attendue par le Seigneur même, qu’elle aimait appeler son divin Maître. Cette expérience était en elle source d’ardeur missionnaire: elle était en effet persuadée que “l’espérance qui était née en elle et l’avait ‘sauvée’, ne pouvait pas rester enfermée en elle même, mais était destinée à beaucoup d’autres, voire à toute l’humanité” (Spe Salvi, n. 3). (La soudanaise Bakhita est à juste titre une contemporaine de Saint Daniel Comboni, issue des territoires soumis à sa juridiction épiscopale, même s’ils ne se sont jamais rencontrés).
Le prophète Isaïe (I lecture), huit siècles avant la naissance du Christ et malgré une époque de violence et de désolation, a su chanter l’espérance dans un avenir de vie, de réconciliation et de prospérité pour son peuple. Un autre jeune prophète a vécu des conditions tout à fait analogues de souffrance, mais a su également voir l’avenir dans l’image de l’amandier en fleurs (Jér 1,11). Là où tous sont pessimistes et ne voient que du négatif, les prophètes savent regarder autrement et plus loin, une histoire différente vécue dans l’espérance: c’est l’histoire du Dieu qui nous accompagne tous vers le salut. Isaïe voyait pousser un bourgeon et sa foi le voyait vite rempli de l’esprit du Seigneur, Esprit aux multiples charismes (v. 1-3). Ensuite il décrit l’admirable jardin d’une vie harmonieuse, tous les êtres vivants (animaux et personnes) évoluant dans la paix entre eux, et avec la création tout entière (v. 5-9). Uniquement dans ces conditions, c’est-à-dire, si un peuple vit dans la justice et en harmonie de relations avec les autres peuples, alors ce peuple aura du positif à dire aux autres peuples, et pourra devenir pour eux un symbole et un étendard (v. 10). Dans ces conditions il aura aussi du vrai et du beau à partager dans l’assemblée des nations. Et devenir ainsi une communauté missionnaire! Parmi les caractéristiques de ce peuple ainsi pacifié dans ses relations internes et dans ses rapports avec les autres, St. Paul ajoute (II lecture) l’attitude à “l’accueil des uns par les autres comme le Christ même vous a accueillis” (v. 7), fidèle à sa miséricorde (v. 9).
Jean le Baptiste (Évangile), prophète austère et intérieurement libre, a recours à des paroles de feu pour préparer la route au Seigneur qui va venir après lui. Il baptise ainsi “dans l’eau pour la conversion”, tout en annonçant la présence de quelqu’un qui est plus fort que lui, celui “qui baptisera dans l’Esprit Saint et le feu” (v. 11). C’est aussi la raison de son cri: “convertissez-vous” (v. 2). Il y a finalement une créature pleinement convertie, ouverte à Dieu, comblée de son Esprit: c’est Marie, celle qui est parfaitement pure, sans tache, l’Immaculée (8 décembre). Elle a accueilli son Seigneur et lui a donné un corps d’homme. Maintenant elle le donne à tous, même à tous ceux qui ne le connaissent pas. L’Avent est un temps privilégié pour vivre la mission: par ce temps de l’Avent et de Noël le Seigneur vient à nous. Il ne ratera pas son rendez-vous. Seulement il veut pouvoir se donner à d’autres, par notre intermédiaire.
La Parole du Pape
(*) “Selon la foi chrétienne, la «rédemption», le salut n’est pas un simple fait donné. La rédemption nous est offerte en ce sens que nous a été donnée l’espérance, une espérance fiable, en vertu de laquelle nous pouvons affronter notre présent: le présent, même si celui-ci est pénible, peut être vécu et accepté s’il conduit vers un terme et si nous pouvons en être sûrs, si celui-ci est si grand qu’il peut justifier les efforts du chemin… Ici aussi, apparaît comme élément caractéristique des chrétiens le fait qu’ils ont un avenir: ce n’est pas qu’ils sachent dans les détails ce qui les attend, mais ils savent de manière générale que leur vie ne finit pas dans le néant. C’est seulement lorsque l’avenir est assuré en tant que réalité positive que le présent devient aussi vivable”.