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Publié le 26 novembre 2025
Les médias parlent beaucoup, ces temps-ci, du « retour des cathos », plutôt sous le mode traditionaliste : messes en latin, pèlerinage de Pentecôte à Chartres, baptêmes en augmentation carême réinvesti, culte marial, dévotions envers les saints… Comment l’accueillir, l’analyser, et comment y répondre ?
Que le catholicisme s’exprime sur la scène publique est … plutôt un bien. Qu’il se donne à voir sur les réseaux sociaux, cela demande que nous y adaptions tous. L’important est de savoir si ce catholicisme est référé au Christ. Sans préjuger d’un discernement cas par cas, j’observe que la multiplication des dévotions, envers les saints ou envers Marie, revient à minorer la place du Christ, jugé trop radical et moins fréquentable. Et j’ai souvent constaté que l’objectif de ces initiatives est plus souvent de défendre l’Église (celle issue du concile de Trente), plutôt que d’annoncer le Christ.
Les analystes voient dans ce retour un besoin de cadres, de repères temporels et de rites qui consolident une identité fragilisée. Toutes les grandes religions en sont traversées, parce qu’il répond au recul des cadres familiaux et institutionnels et à un brassage culturel nouveau et déstabilisant. Le tout nourrit un sentiment diffus d’abandon qui invite à se tourner « vers le bon vieux temps ».
Le sociologue Yann Raison du Cleuziou, dans une interview à La Vie (1), va plus loin. Ce retour traditionaliste est, dit-il, la modalité par laquelle le catholicisme entre dans une « transition minoritaire ». Il rappelle d’abord que dans la tranche d’âge des plus de 60 ans, 45% des Français sont catholiques, alors qu’ils ne sont que 15% chez les 18-25 ans. Ces jeunes ont conscience d’être une minorité, et ils cherchent la forme qui l’exprimera.Revenant sur les soixante dernières années, il observe qu’elles ont été marquées dans l’Église par une « sécularisation interne » : dans sa pastorale, elle a adopté des valeurs séculières d’émancipation, d’autonomie, d’engagement social, de liberté, et elle a accueilli des laïcs.
Mais poursuit-il, ces pastorales n’ont pas empêché le déclin de la pratique. Tout s’est effondré : assistance à la messe, sacrements, visibilité institutionnelle…. Les générations nouvelles, appartenant souvent à des familles attachées aux pratiques sacramentelles, se sont donc construites en résistance.
Yann Raison du Cleuziou, rappelant alors qu’un groupe minoritaire, « s’il n’organise pas sa perpétuation se condamne à l’effacement », conclut que ce groupe ne peut être que clivant, qu’il doit militer contre les évolutions sociétales, remettre le culte au centre et « ré-enchanter » le monde par des dévotions puisées dans le fonds des traditions populaires.
Ces constats m’amènent à quatre remarques.
1. Les travaux de type sociologique (nombre de baptêmes, taux de fréquentation des cultes, etc…) estiment la performance de l’Église institutionnelle, mais disent-elles le christianisme ? Comment en établir l’inventaire immatériel, en particulier comment estimer la puissance du message évangélique et mesurer son impact dans les mentalités ? Les médias ne surinterprètent-elles pas les conclusions des sociologues ?
2. Yann Raison du Cleuziou n’omet pas de dire qu’il existe aussi une minorité écologique et sociale, avec le mouvement « Lutte et Contemplation », le « Festival des Poussières », le périodique « Le Cri », les cafés alternatifs comme le Dorothy et le Simone. Cela permet de penser qu’il n’existe pas une, ni seulement deux, formes de minorités.
3. Est-il certain que l’état minoritaire implique une opposition forte à la société ? Le christianisme des premiers siècles a, certes, appelé à une plus grande exigence éthique (condamnation du divorce, de l’avortement, et refus de combattre), mais il s’est d’abord investi dans l’annonce évangélique (foi en la résurrection, confiance en un Dieu qui aime et pardonne). L’ampleur des conversions des 3e et 4e siècles montre combien il a dynamisé la société romaine.
4. Enfin, je tempérerais volontiers l’analyse de Yann Raison du Cleuziou sur les pastorales de la « sécularisation interne », car elle ne tient pas compte de la résistance de l’institution au final à ce processus. Comme souvent, l’institution semble accueillir, mais au moment de se décider, elle se rétracte.
Peut-on dire qu’une Église qui ignore le sensus fidei, (expression de la foi des fidèles), qui refuse d’intégrer canoniquement les laïcs et les femmes, qui est hostile à la contraception, puis, plus récemment au mariage homosexuel, s’est « intérieurement sécularisée » ? Ces pastorales ont-elles échoué pour être allées trop loin, ou pas assez loin ? En conséquence, le recul de la pratique est-il dû l’excès de la sécularisation ou à son insuffisance ?
Pour y répondre, il faut, me semble-t-il, constamment revenir à la source évangélique. Certes, le christianisme actuel n’a plus rien à voir avec celui du temps de Jésus, où il n’y avait ni prêtres, ni évêques, ni pape, ni institution, ni bâtiments ecclésiaux, ni sacrements, sauf le baptême et, en germe, l’eucharistie. Il est légitime que, selon les contextes, il ait pris des orientations inédites. Et dans cette tâche, l’institution a toujours soutenu qu’elle restait fidèle à son fondateur.
Mais suffisamment d’études prouvent aujourd’hui le contraire. Le traitement fait aux femmes (Jésus ne leur a jamais assigné de critères de genre) en est une illustration exemplaire.
Aussi, monte aux lèvres une question impérieuse : ne doit-on pas, d’abord, revenir à l’attitude de Jésus pour la mettre en actes, pour faire du neuf avec ce qui a déjà été annoncé, par exemple l’égalité entre les hommes et les femmes et la communion interne du peuple de Dieu, en mettant fin à la division non évangélique entre les clercs et les laïcs ?
Il me semble, pour faire droit à la qualité des analyses de Yann Raison du Cleuziou, qu’elles pourraient être élargies. Il existe de multiples raisons au recul de l’Église catholique, et d’autres réponses que la réponse traditionaliste, qui n’est qu’un copié-collé du passé.
Plutôt que de reproduire « ce qui a marché », ne faut-il pas regarder le Christ « qui fait toutes choses nouvelles » – et qui, dans les évangiles, a dit tout ce dont nous avons besoin ? Á la simple condition de ne pas oublier sa parole. Pour cela, il suffit peut-être d’entendre, avec François Cassingena-Trévedy, que le « cœur du christianisme commence seulement de battre », et d’en témoigner avec la force et le courage dont nous sommes capables.
Anne Soupa