1er novembre
Fête de tous les Saints
Mt. 5,1-12


Tutti i santi

Comme son nom l’indique, la Toussaint est la fête de tous les saints. Chaque 1er novembre, l’Église honore ainsi la foule innombrable de ceux et celles qui ont été de vivants et lumineux témoins du Christ.
Si un certain nombre d’entre eux ont été officiellement reconnus, à l’issue d’une procédure dite de « canonisation », et nous sont donnés en modèles, l’Eglise sait bien que beaucoup d’autres ont également vécu dans la fidélité à l’Evangile et au service de tous. C’est bien pourquoi, en ce jour de la Toussaint, les chrétiens célèbrent tous les saints, connus ou inconnus.
Cette fête est donc aussi l’occasion de rappeler que tous les hommes sont appelés à la sainteté, par des chemins différents, parfois surprenants ou inattendus, mais tous accessibles.

La sainteté n’est pas une voie réservée à une élite : elle concerne tous ceux et celles qui choisissent de mettre leurs pas dans ceux du Christ. Le pape Jean-Paul II nous l’a fait comprendre en béatifiant et canonisant un grand nombre de personnes, parmi lesquelles des figures aussi différentes que le Père Maximilien Kolbe, Edith Stein, Padre Pio ou Mère Térésa…

La vie de ces saints constitue une véritable catéchèse, vivante et proche de nous. Elle nous montre l’actualité de la Bonne nouvelle et la présence agissante de l’Esprit Saint parmi les hommes. Témoins de l’amour de Dieu, ces hommes et ces femmes nous sont proches aussi par leur cheminement – ils ne sont pas devenus saints du jour au lendemain -, par leurs doutes, leurs questionnements…en un mot : leur humanité.
La Toussaint a été longtemps célébrée à proximité des fêtes de Pâques et de la Pentecôte. Ce lien avec ces deux grandes fêtes donne le sens originel de la fête de la Toussaint : goûter déjà à la joie de ceux qui ont mis le Christ au centre de leur vie et vivre dans l’espérance de la Résurrection.

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Nous voici invités à nous réjouir de la multitude des humains assumés et accueillis par Dieu. La première lecture (Apocalypse) insiste sur des nombres symboliques pour nous faire comprendre que “l’on ne peut compter cette foule immense”. Avec hésitation il est vrai, beaucoup pensent qu’il faut traduire ici “multitude” par “totalité”. L’Église n’a-t-elle pas refusé l’affirmation, tenue par certains, que Judas était “damné” ? La Toussaint est donc la célébration de la réussite de Dieu et de l’humanité entière. Une fête de joie, même si la proximité de la fête des défunts, d’ailleurs en général mal interprétée, et la météorologie souvent maussade d’un 1er novembre, ont fini par grever cette fête d’un certain poids de mélancolie. Ajoutons la chaleur de la solidarité à la joie de la prise de conscience de la surabondance de l’amour qui nous fait être : avec tous ces “saints” nous ne faisons qu’un seul corps.

Communauté des biens

Pas de limite à l’amour de Dieu, pas de limite à Dieu qui est amour. Pas de limite aux dimensions de ce corps que le Christ se donne en rassemblant les hommes de toute race, de toute langue, de tout niveau culturel. Et même de toute religion. Pour être moi, j’ai besoin de tous les autres. Comme le dit Paul en 1 Corinthiens 12 : “Il y a plusieurs membres et cependant un seul corps. L’œil ne peut donc dire à la main “je n’ai pas besoin de toi”, ni la tête dire aux pieds “je n’ai pas besoin de vous”.” Jetons donc un regard nouveau sur cette multitude d’inconnus qui nous ont précédés : ce ne sont pas des étrangers mais en quelque sorte une part de nous-mêmes. C’est avec eux et par eux que nous sommes membres de l’unique corps du Christ. Je deviens héritier de la pauvreté vécue par François d’Assise et tant d’autres, crédité de toute la douceur de ceux qui ont passé leur vie à aider leur prochain, consolé pour toutes les larmes que d’autres ont versées. Bien sûr je ne peux pas, à moi seul, vivre toutes les béatitudes : être persécuté pour la justice ne dépend pas d’une décision de ma part. Autre le sort de Thérèse de Lisieux, autre le sort de François Xavier ou de saint Laurent brûlé vif, mais tout cela m’appartient. La communauté des biens pratiquée, semble-t-il, par l’Église primitive signifie le partage de toutes les valeurs spirituelles et humaines des membres du Corps. C’est pour cela que l’on parle de la “communion des saints”.

Un nouveau regard sur les autres

Ce qui vient d’être dit ne concerne pas seulement notre lien avec les hommes du passé. Apprenons à porter aussi un regard nouveau sur tous ceux et toutes celles qui nous entourent, de loin ou de près. Mais peut-on les considérer tous comme des “saints” ? C’est là que nous devons bien nous entendre sur le sens du mot “sainteté”. Si nous le prenons au sens de perfection morale, d’excellence en toutes vertus, il est évident que personne ne peut s’en prévaloir. Mais le mot a un autre sens : est saint ce qui appartient à Dieu. Nous sommes saints parce qu’assumés par Dieu et personne ne peut être exclu de sa miséricorde, d’un amour qui ne connaît pas de limite. Dieu voit l’homme le plus pervers à travers le visage de son Fils. Porter un jugement, quel qu’il soit, est en dehors de nos compétences. Peut-être découvrirons-nous un jour que ceux que nous prenions pour des méchants étaient en fait des malheureux, frustrés en quelque domaine, grevés d’un héritage familial désastreux. Peut-être constaterons-nous aussi que, privilégiés, nous n’avons guère profité des cartes que nous avions en mains. Heureusement, tous nous émargeons au trésor commun de la sainteté de Dieu. Les portes du Royaume s’ouvrent toutes grandes au tout-venant quand s’ouvre le tombeau du Christ. Plutôt que de parler de tous saints, il vaudrait mieux dire : tous sanctifiés.

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Fête de famille, fête de fraternité solidaire! La fête de tous les saints et le souvenir de tous les fidèles défunts sont de nature à nous faire vivre la joie de la grande famille, élargie jusqu’aux limites du monde. Deux jours (le premier et le 2 novembre) qui nous ramènent à notre célébration de famille. Notre, parce que les saints, aussi bien que les défunts, sont membres de la seule famille qui appartient à la fois à Dieu et aux hommes. C’est la famille de tous les saints: pas uniquement du petit nombre de ceux que l’Église a reconnus officiellement, mais de tout homme de bonne volonté. Donc de tous ceux qui ont cherché Dieu en pureté de cœur, et dans le respect de leur prochain. Elle est en même temps la famille de tous les défunts, et donc pas seulement de nos proches et amis. Nous demeurons en communion d’amitié avec eux, grâce à de nombreux événements vécus ensemble, faits de joies partagées et de raisons d’espérer, mais aussi de souffrances diverses, fragilités et fatigues de la vie humaine… Jusqu’au goulot incontournable qui est pour nous tous la mort, dans un chemin qui nous concerne tous: les saints autant que les pécheurs, les riches comme les miséreux, les croyants au même titre que ceux que la foi n’a pas convaincus… Tous, nous appartenons à la famille innombrable de femmes et d’hommes de toute langue, couleur, race, religion, culture, condition sociale…

C’est la fête de la famille élargie aux dimensions de l’univers, sans limites. Là où personne ne se sentira inconnu ou étranger aux yeux de Dieu, ni aux yeux de ceux qui vivent de la vie de Dieu. Là Dieu connaît tout visage et appelle chacun par son nom. Une famille où la fraternité se structure dans la solidarité de tous envers tous, en sens circulaire: les saints du ciel intercèdent auprès de Dieu pour nous, qui vivons encore notre pèlerinage sur terre. Tandis que nous, pèlerins, nous rendons grâce et gloire à Dieu pour sa miséricorde et pour les merveilles qu’il a accomplies dans ses saints. Nous et les saints offrons à Dieu des supplications pour les défunts qui vivent dans l’attente du jour où ils contempleront pleinement le visage de Dieu. Les défunts aussi, par de voies que nous ignorons, vivent dans une particulière communion avec Dieu, ce qui retombe sur nous en bénéfice… Finalement, il s’agit de la fête de l’intercession des uns pour les autres, en sens circulaire: du Christ et des saints pour nous-mêmes, de nous-mêmes pour les défunts; des défunts qui, connaissant déjà le salut, intercèdent pour leurs proches et pour toute la famille humaine.

La circonstance s’impose comme l’une des plus propices pour réfléchir et vivre des valeurs familiales, de fraternité, d’universalité, dans une communion tout à fait spéciale avec nos ancêtres: à la fois les ancêtres du clan, reconnus dans la culture populaire, et les ancêtres dans l’ordre de la foi chrétienne, c’est à dire les saints. Ces derniers sont pour nous ceux qui ont mieux réalisé, et souvent dans une mesure héroïque, l’idéal et les valeurs de l’Évangile et des cultures des peuples. Des géants spirituels, devenus des modèles réussis de l’humanité renouvelée en Jésus Christ, l’homme nouveau, l’homme parfait. Thème, comme on voit, qui est de résonance particulière pour les missionnaires.

Toutes ces réflexions n’enlèvent quand même rien à la vérité rigoureuse et amère de notre mort, cet “amère sentier” dont nous parle Dante, et qui nous fait si peur, mais qui est aussi le passage obligé pour accéder à la plénitude de la vie. Passage que nous aimerions pouvoir contourner, et qui par contre est à affronter avec le plus grand réalisme: humain et chrétien! L’exemple nous vient du Card. Carlo Maria Martini, ancien archevêque de Milan, atteint de la maladie de parkinson. Dans le “contexte d’une fin imminente”, ayant la sensation de “se trouver déjà au niveau de la dernière salle d’attente, ou l’avant dernière en tout cas”, il avoue “s’être plaint plus d’une fois auprès du Seigneur” du fait qu’il ne pourra pas échapper à la mort. Le card. Martini ne cache pas son désarroi spirituel dans l’acceptation de ce sentier amère, sombre autant que douloureux. “Je ne me suis apaisé avec cette idée de mort nécessaire que le jour où j’ai compris que uniquement en passant par la mort nous arriverons à un acte de pleine confiance en Dieu. En effet, dans toute sorte de choix qui peut nous compromettre, nous avons toujours recours à une sortie d’émergence. Tandis que la mort nous force de toute façon à un abandon filial et total à Dieu”. (*) Devant ce mystère de la mort qui nous réclame “un abandon total”, le card.Martini en arrive à cette conclusion: “Nous aspirons à être avec Jésus, un désir que nous exprimons consciemment, les yeux fermés comme un aveugle, en nous mettant totalement dans ses mains”. Face à la mort, la religion chrétienne n’en paraît que davantage grandie, étant la seule en mesure de jeter une lumière neuve et définitive sur le sens de Dieu, sur la valeur de la vie, la souffrance, l’histoire… Une lumière qui fait toute la différence, parce que, encore une fois, c’est toute la nouveauté du message chrétien qui en ressort. Et donc toute l’urgence de la Mission.

Toussaint : naître de nouveau, à l’exemple des saints
Maurice Zundel

Une des paroles les plus vivantes de l’Évangile, c’est ce mot de Jésus à Nicodème : « Personne, s’il ne naît de nouveau, ne peut voir le Royaume de Dieu » (Jean 3:3).

L’Homme n’est pas encore né

Naître de nouveau ! C’est là un de ces mots connus qui est aujourd’hui d’une actualité particulièrement brûlante. L’Homme n’est pas tout formé, c’est une expérience constante, et il y a aujourd’hui, du côté des psychologues, des ethnologues, des biologistes… une espèce d’acharnement à bafouer l’Homme, à le ramener à ses glandes, à ses nerfs, à ses archétypes, à ses ancêtres, à l’animal ou plus simplement encore à un pur mécanisme : « Il n’y a personne, personne ne pense, ce sont des mécanismes qui pensent pour nous, personne ne veut, ce sont des engrammes, ce sont des impulsions biologiques qui décident de tout, il n’y a pas d’Homme. »

Il y a quelque chose de douloureux à constater ce nihilisme qui aboutit naturellement à un déboussolement complet d’une certaine jeunesse qui est absolument désabusée, où tout ce qui est valeur est sans cesse piétiné, et qui en effet, ne peut prendre conseil que de ses instincts.

L’Homme n’est pas encore né, et nous pouvons le concéder en vertu des expériences, à chaque fois confirmées. L’Homme, la plupart du temps, presque toujours, n’est que l’expression de ses automatismes, qu’ils viennent d’une lointaine enfance ou qu’ils viennent de ses origines animales, peu importe, l’Homme, presque toujours, est préfabriqué et agit conformément à ses préfabrications.

C’est pourquoi le mot de l’Évangile nous atteint en plein cœur : « Il faut naître de nouveau. » La naissance charnelle n’est rien, au point de vue humain, elle ne signifie de rien, la vraie naissance est à venir, la vraie naissance est en avant de nous.

Mais comment pourra-t-elle s’accomplir ? Qu’est-ce qui pourra la provoquer ?

Une nouvelle origine en avant de nous

Qu’est-ce qui peut la révéler dans une direction qui la suscite [où : suscite-t-elle] C’est justement tout le mystère, je veux dire toute la richesse de l’Évangile, de nous conduire à un dialogue d’Amour, où confrontés avec un visage infiniment intérieur à nous-même, jaillit du fond de nous-même, dans l’émerveillement d’une découverte incroyable, jaillit ce mouvement d’Amour qui descelle la pierre de nos cœurs et qui nous fait enfin surgir dans la liberté.

On ne sait pas ce que c’est que l’Esprit. Et en effet, rien n’est plus simple, je veux dire, rien n’est plus à la portée d’une observation matérielle que de réduire l’homme à une sphère mécanique. On ne sait pas ce que c’est que l’Esprit, tant que on n’a pas vu, dans une nouvelle naissance, l’accomplissement de notre liberté. Libres à l’égard précisément de tout ce préfabriqué, libres jusqu’à la racine de l’être, dans le détour même où nous ne sommes plus qu’une relation vivante, un pur élan vers ce visage d’Amour que saint Augustin saluait avec enthousiasme comme « la Beauté, toujours ancienne et toujours nouvelle. »

Il n’y a donc aucun doute que toute notre espérance se situe dans cette nouvelle naissance, dans cette nouvelle origine qui est en avant de nous. Il y a là, évidemment, un risque à courir ; il faut le risquer soi-même, mais c’est relativement aisé, car il n’est arrivé à personne, je pense, de ne pas apercevoir un jour la Beauté « toujours ancienne et toujours nouvelle » ou la vérité qui est du même degré et du même ordre, et qui s’identifie finalement avec elle ou la bonté [beauté ?], à ce degré où elle manifeste une telle plénitude de désintéressement, qu’elle aboutit à la plus haute manifestation de la liberté.

Mais s’il en est ainsi, si l’Homme est en avant de nous, s’il s’agit de naître pour atteindre à nous-même, et si nous ne pouvons naître que dans une relation vivante avec un Dieu intérieur à nous, ce Dieu aussi change de visage ou plutôt, il prend son véritable visage, qui est d’être pure intériorité.

Un pur élan d’Amour

Pascal a connu son impatience, devant la chiquenaude de Descartes, ce Dieu qui donne à l’Univers une impulsion primitive et qui le laisse ensuite se débrouiller lui-même. Ce Dieu chiquenaude qui est le résidu du premier moteur, tristement célèbre, une philosophie qui ne remonte pas jusqu’à l’esprit. Ce Dieu chiquenaude, évidemment, est imbuvable et inacceptable, parce qu’il ne correspond en rien au niveau de la nouvelle naissance.

Le Dieu qui suscite en nous la vie, le Dieu qui nous appelle à être nous-même source et origine, à ne plus nous subir, à dépasser toutes nos préfabrications pour être un pur élan d’Amour, ce Dieu qui n’a pas de dehors, ce Dieu tout en dedans, ce Dieu qui est infinité pure, ce Dieu qui nous veut par notre liberté, c’est à notre libération qu’il se révèle (cad qu’il aspire) et nous le connaissons, justement, au moment où […?] nous devenons — fût-ce le temps d’un éclair — nous devenons un espace de lumière et d’Amour, où toute l’humanité et tout l’univers sont accueillis.

C’est là, le seul Dieu concevable, ce Dieu qui nous meut par notre liberté, ce Dieu qui nous entraîne à secouer le joug de toutes nos préfabrications, ce Dieu qui fait de nous, une source et une origine, qui nous communique une véritable aséité, « être par soi », oui ! Mais dans un soi tout neuf, dans un moi qui vient du dehors, dans un moi qui est suspendu à sa présence, dans un moi qui est relation pure, dans un moi oblatif, dans un moi justement où s’affirme notre nouvelle naissance.

Il s’agit de la renouveler à chaque battement de notre cœur — et qui est immédiatement intercepté dans une remontée dans toutes nos préfabrications, dès que nous cessons d’être en dialogue, en conversation silencieuse avec l’Hôte bien-aimé qui nous attend au plus intime de nous.

La vocation de la sainteté

Il y a dans la nouvelle naissance à la fois, une révélation de l’Homme : c’est la seule manière possible pour nous de ne pas être identifiés purement et simplement à l’aide d’une évolution biochimique où l’esprit n’a rien à voir et ne saurait trouver aucune place ; l’esprit c’est cette puissance en nous de remonter la pente, de retrouver, ou plutôt de trouver une nouvelle origine, la vraie, celle qui fera de nous des personnes, et qui rétablira — en face de l’éternelle Beauté — dans une relation nuptiale qui est une relation de réciprocité, où notre oui, comme seul celui de Dieu, est en quelque manière absolu.

Et c’est là, justement, que nous rencontrons la vocation de la sainteté dont l’Église a si justement apprécié la valeur irremplaçable. Nous devons nous garder de voir dans les Saints, des intercesseurs, des êtres qui nous aident sous tous les aspects, qui nous dispensent en somme de l’effort créateur, qui, à trop bon marché, couvrent nos iniquités, par la valeur exemplaire de leur vie. Ce n’est pas cela, la première fonction des Saints. Ce qui nous les rend si chers, ce qui nous les rend indispensables, dans le mystère ecclésial, c’est qu’ils actualisent la Présence de Dieu.

Rien n’est moins une religion du livre que le christianisme. L’Islam pouvait se prévaloir auprès de Psichari, d’être une religion du livre. Rien n’est moins une religion du livre que le christianisme. C’est la religion d’un Dieu vivant, d’un Dieu toujours fidèle, d’un Dieu qu’il faut rencontrer et redécouvrir aujourd’hui. Alors, comment le rencontrer ? Dans quelle direction se mettre en route pour le redécouvrir ?

Les Saints justement le mettent en quelque sorte au cœur de notre expérience, parce que, ils sont saints dans la mesure où ils sont libérés d’eux-mêmes. Et ils sont libérés d’eux-mêmes dans la mesure où ils sont dans cette relation nuptiale avec Dieu et où ils nous le rendent actuellement présent.

Un Saint, c’est quelqu’un dans la transparence duquel le visage de Dieu resplendit. Et rien n’est plus nécessaire à notre acheminement vers Dieu, rien n’est plus nécessaire aujourd’hui où l’on croit de moins en moins aux livres, où la critique a à peu près tout déjà vu, où ce n’est pas dans les textes que nous pouvons rejoindre Jésus-Christ, à moins que ces textes ne soient vivants, dans une tradition créatrice où les Saints jouent précisément le premier rôle.

Les Saints actualisent la Présence et donnent le goût de la liberté

Quelle merveille de voir à travers le visage d’un saint François, d’un saint François de Sales [?], d’un saint Philippe Néri, d’un saint Jean Bosco, d’une sainte Thérèse, de revoir ou plutôt de voir, ce visage de Dieu, de le sentir s’animer dans nos cœurs, d’expérimenter en nous cet appel à une libération où nous serons enfin nous-même.

Les Saints actualisent la Présence divine, les Saints achèvent l’incarnation de Dieu, qui ne peut en effet nous être une Présence réelle qu’en s’incarnant en nous. Certains [?] déjà avaient compris, — ou, certains [?] déjà, disons avant lui — Ils avaient compris, — ces grands contemplatifs de la philosophie hellénistique — ils avaient compris que notre connaissance de Dieu, notre science de Dieu, correspond avec notre union — ou plutôt correspond à notre union avec Dieu. Vision et union sont du même degré : on connaît Dieu autant qu’on l’aime.

Il s’agit donc de nous enraciner toujours plus profondément dans cette intimité de Dieu qui nous révèle la nôtre, et le vrai visage de Dieu se dégagera alors de toutes les limites, de toutes les fictions idolâtriques, de toutes les mythologies, parce que nous suivrons Dieu comme l’origine même de notre vie authentique.

Aujourd’hui, les Saints ne se trouvent pas sur notre route pour nous dispenser de l’effort, mais pour nous en indiquer le sens, pour en amorcer en nous l’expérience, pour nous donner le goût de la liberté en tant qu’elle signifie précisément notre libération de tout le préfabriqué, de tout ce qui nous empêche d’être authentiquement nous-même, et d’atteindre à la dignité de notre vocation d’Hommes.

C’est donc avec bonheur que nous rassemblons tous ces témoins, et les plus inconnus qui ne sont pas les moins grands, tous ces Saints qui n’ont pas laissé de nom dans l’Histoire, tous ces Saints qui ont été des humbles, qui, au jour le jour, dans le rayonnement de la Présence divine, ont accompli leur tâche, et à travers le silence d’une existence qui ne faisait aucun bruit, ont réveillé en nous, le sens de cette musique silencieuse qui est le Dieu vivant.

[…?] Et si nous voulons savoir actuellement ce que signifie la sainteté, il faut nous-même devenir des Saints. C’est là le sens de notre vocation chrétienne, elle ne signifie rien d’autre, finalement, qu’une libération authentique qui va jusqu’à la racine de l’être par ce dialogue nuptial avec un Dieu qui est plus intime à nous-même que le plus intime de nous-même.

(Homélie de Maurice Zundel dans la ville de Lausanne, à l’occasion de la fête de la Toussaint de 1967. Édité dans Ta parole comme une source )
« Ta parole comme une source, 85 sermons inédits »
Publié par Anne Sigier, Sillery, août 2001

Par Maurice Zundel
http://www.mauricezundel.com