3e Dimanche
Temps Ordinaire – Année C
Luc 18,9-14

Références bibliques
- Lecture du Livre de Ben Sirac le Sage. 35. 12 à 18 : Le Seigneur est un juge qui ne fait pas de différence entre les hommes.”
- Psaume 33 : “Le Seigneur entend ceux qui l’appellent. »
- Lecture de la seconde lettre à Timothée : 4. 6 à 18 : “Il m’a rempli de force pour que je puisse jusqu’au bout annoncer l’Evangile. »
- Evangile selon saint Luc : 18. 9 à 14 : Mon Dieu, prend pitié du pécheur que je suis.”
En ce temps-là, à l’adresse de certains qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient les autres, Jésus dit la parabole que voici :
« Deux hommes montèrent au Temple pour prier. L’un était pharisien, et l’autre, publicain (c’est-à-dire un collecteur d’impôts).
Le pharisien se tenait debout et priait en lui-même : ‘Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes – ils sont voleurs, injustes, adultères –, ou encore comme ce publicain. Je jeûne deux fois par semaine et je verse le dixième de tout ce que je gagne.’
Le publicain, lui, se tenait à distance et n’osait même pas lever les yeux vers le ciel ; mais il se frappait la poitrine, en disant : ‘Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis !’
Je vous le déclare : quand ce dernier redescendit dans sa maison, c’est lui qui était devenu un homme juste, plutôt que l’autre. Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. »
Seul Dieu est « juste »
Marcel Domergue, sj
Rien ne dit que le pharisien de la parabole mente ou se trompe quand il énumère ses actes de justice. De même pour le publicain, collecteur d’impôts pour Rome. Devant prélever une somme forfaitaire, beaucoup de publicains n’hésitaient pas à exiger davantage, à leur profit. Même si notre publicain s’abstient de ce genre de pratique, il se reconnaît « pécheur ». Comment pouvons-nous imaginer avoir un titre à l’amour de Dieu, alors que c’est lui qui est à la source de tout ce qu’il peut y avoir de bon en nous ? À première vue, le pharisien ne se met pas dans son tort, puisqu’il remercie Dieu du bien qu’il fait. Cependant, il s’en considère l’auteur, ce qui revient à prendre la place de Dieu, et s’estime supérieur aux «autres hommes», en particulier au publicain. Il fait l’inventaire de son observation de la Loi et de ses pratiques de piété. Du coup, sa justice devient injustice ; injustice vis-à-vis de Dieu. Il a certes raison de le remercier, mais il se met dans son tort quand il se compare aux autres : c’est comme s’il accusait Dieu de les créer moins bien que lui. Reconnaissons au passage que ce que nous sommes est pour une part le résultat du milieu où nous sommes nés et des circonstances dans lesquelles nous avons vécu, c’est-à-dire de cet univers qui, confié à l’homme, est oeuvre de l’homme. Le pharisien devrait se dire : «Je ne serais pas ce que je suis, comme je suis, si j’étais né ailleurs.» Il est un privilégié et s’en attribue le mérite.
Le publicain
Voici donc un homme qui n’a rien pour plaire. Au fond, il a de la chance car la vie qu’il mène le conduit à reconnaître que si « salut » il y a pour lui, ce salut vient de Dieu. Comme il se reconnaît vide de toute valeur, il rejoint le vide initial, l’espace où Dieu peut créer. Pure aspiration à être. Le péché est en effet refus d’être image et ressemblance de Dieu, donc choix d’inexistence. Nous reconnaître pécheurs ne va pas de soi : il y faut, déjà, une grande « grâce », une révélation ; mais cette révélation ne devient opératoire que dans la mesure où nous acceptons de l’accueillir. Alors, à partir de ce « rien » que nous sommes, Dieu met au monde un être nouveau, « justifié », juste comme Dieu est « juste ». Le publicain de la parabole ne rend pas grâce comme le pharisien, parce qu’il ne trouve en lui rien de bon, et qu’il est conscient de ne pas avoir accueilli le don que Dieu lui faisait de lui-même. Le voici déjà sur la route de la justice. Méfions-nous, car nous avons tendance à expliquer, à justifier, tout ce que nous faisons. Les vraies raisons peuvent souvent nous rester cachées, surtout si nous ne voulons pas les voir. Nous avons tendance à vivre sous le régime des prétextes. En prendre conscience nous situe dans la situation du publicain : remettons cela à Dieu et nous en sortirons justifiés. Bien entendu, cette justification comporte pour nous un changement de programme. La parabole n’en dit rien à propos du publicain, peut-être parce que la « conversion » est la conséquence, non la cause, d’une justice qui ne vient que de Dieu.
Ne pas juger
Le pharisien, lui, ne change pas : il ne pense pas en avoir besoin puisqu’il s’estime juste. La phrase importante est ici « Je ne suis pas comme les autres hommes ». Nous n’avons pas à douter de sa bonne conduite, que d’ailleurs il attribue à un don de Dieu, à qui il rend grâce. Tout a l’air parfait. À un détail près : il se permet de juger les autres. Ce faisant, il prend la place de Dieu, le seul juge. La place de Dieu ? En fait d’un faux Dieu car le jugement de Dieu n’est pas condamnation, mais justification par le pardon ; ce qui va se vérifier à propos du publicain. Le pharisien s’exclut de la ressemblance de Dieu et se soustrait à son amour parce qu’il s’estime juste et méprise tous les autres, dit le texte. Or Dieu ne méprise pas : il prend sur lui, dans le Christ, les fautes des hommes. Certes, il est des comportements que nous n’avons pas à approuver, comme ceux qu’énumère le pharisien et dont nous parle le décalogue. Mais c’est une chose de critiquer des comportements et une autre de porter un jugement sur ceux qui les pratiquent. Que savons-nous de leur vie ? Des milieux où ils ont grandi ? Nous ne savons pas ce que nous ferions si nous étions à leur place. Sans compter notre tendance à oublier facilement nos comportements défectueux, ou à leur trouver des excuses. N’introduisons pas le jugement dans notre monde, nous risquerions d’en être les premières victimes. Celui que nous avons abaissé à la Croix a été élevé au-dessus de tout. Tournons les yeux vers celui que nous avons transpercé ; et vers ceux que nous transperçons.
QUI SUIS-JE POUR JUGER?
José Antonio Pagola
La parabole du pharisien et du publicain éveille souvent chez de nombreux chrétiens un grand rejet envers le pharisien qui se présente devant Dieu arrogant et sûr de soi-même, et une sympathie spontanée envers le publicain qui reconnaît humblement son péché. Paradoxalement, le récit peut éveiller en nous ce sentiment: «Je te remercie, mon Dieu, car je ne suis pas comme ce pharisien».
Pour entendre correctement le message de la parabole, il faut tenir compte du fait que Jésus ne la raconte pas pour critiquer les secteurs pharisiens, mais pour secouer la conscience de «ceux qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient les autres». Nous sommes certainement nombreux, nous catholiques de notre époque, à nous trouver parmi eux.
La prière du pharisien révèle son attitude intérieure: «Oh mon Dieu! Je te remercie car je ne suis pas comme les autres hommes». Quel genre de prière est celle-ci où l’on se croit: meilleur que les autres? Même un pharisien, fidèle observant de la Loi, peut vivre dans une attitude pervertie. Cet homme se sent juste devant Dieu et, précisément à cause de cela, il devient un juge qui méprise et condamne ceux qui ne lui ressemblent pas. Le publicain, par contre, ne réussit qu’à dire: «Oh mon Dieu! Prends pitié du pauvre pécheur que je suis». Cet homme reconnaît humblement son péché. Il ne peut pas se vanter de sa vie. Il se confie à la compassion de Dieu. Il ne se compare à personne. Il ne juge pas les autres. Il vit dans la vérité devant lui-même et devant Dieu.
La parabole est une critique pénétrante qui démasque une attitude religieuse trompeuse, qui nous permet de vivre sûrs de notre innocence, tout en condamnant à partir de notre soit disant supériorité morale, tous ceux qui ne pensent pas ou n’agissent pas comme nous.
Des circonstances historiques et des courants triomphalistes éloignés de l’Évangile nous ont rendus, nous les catholiques, particulièrement enclins à cette tentation. C’est pourquoi, nous devons lire la parabole chacun dans une attitude d’autocritique: pourquoi pensons-nous être meilleurs que les agnostiques? Pourquoi nous sentons-nous plus proches de Dieu que les non-pratiquants? Quel est le fond de certaines prières pour la conversion des pécheurs? Comment réparer les péchés d’autrui en refusant de nous convertir nous-mêmes à Dieu?
À une occasion, face à la question posée par un journaliste, le pape François a fait cette déclaration: «Qui suis-je pour juger une personne gay?». Ses paroles ont surpris presque tout le monde. Apparemment, personne ne s’attendait à une réponse aussi simple et évangélique d’un pape catholique. Cependant, c’est l’attitude de celui qui vit vraiment devant Dieu.
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Juste regard et bonne attitude
Jacques Marcotte, o.p.
Le Seigneur n’arrête pas de nous surprendre. La semaine dernière, nous avions deux deux figures bien contrastées par lesquelles Jésus nous faisait comprendre qu’il faut toujours prier sans jamais se lasser. Rappelons-nous le juge inique et la veuve; comment tout avait fini par s’arranger tellement la pauvre femme insistait, jusqu’à gagner finalement son point et obtenir justice. De même, et combien plus, nous gagnerons auprès de Dieu, notre Père, si nous persévérons dans la prière.
Aujourd’hui Jésus place encore deux personnages devant nos yeux, qui par leurs démarches contrastantes vont nous instruire sur l’attitude d’un vrai priant. Le meilleur n’est pas celui à qui on aurait pensé d’abord. Regardons nos deux hommes venus au temple pour prier.
Voici d’abord le pharisien : l’homme juste par excellence. Le parfait. Il a le sentiment d’être correct sur toute la ligne. Il a une réputation d’homme vertueux. Il est honoré, respecté par tout le monde dans la société.
Puis arrive ce publicain : celui à qui on reproche bien des choses; il a mauvaise réputation. On le dit voleur, malhonnête, pécheur. On le méprise volontiers. On s’en écarte pour ne pas être contaminé.
Les voilà donc tous les deux venus au temple pour prier Dieu. Regardons-les faire. Chacun y va d’une façon bien différente. Les deux hommes se montrent dans la prière comme ils sont dans le secret et l’intime de leur être, de leur cœur.
La prière du premier – le pharisien – n’est pas vraiment une prière. On peut même se demander s’il croit en ce Dieu qu’il est venu prier. En fait, il ne prie pas vraiment. Il s’étale et se congratule. Il se compare – avantageusement bien sûr – à ceux qu’il côtoie dans la vie. Il n’a besoin de rien ni de personne. Son attente est celle d’un salarier. Sans le dire, il exige. Comme s’il avait droit. Car il n’est pas conscient de sa dépendance et de son immense pauvreté. Le Seigneur ne peut rien faire pour cet homme qui n’arrive qu’à se complaire en lui-même devant Dieu. Sa prétention lui cache sa profonde misère. Il ne se voit pas tel qu’il est.
Mais le publicain, lui, se tient comme un pauvre devant Dieu. Il se sait pécheur. Il n’a pas de quoi se vanter, il le sait bien. Il reste en arrière comme un quêteux, comme un indigne, comme il est. Il ne vient pas faire parade de lui-même, de ses mérites; au contraire il se tient dans la position de celui qui s’offre à Dieu pour qu’il le prenne en pitié. Il ne demande rien de plus parce qu’il sait que Dieu seul peut guérir son cœur et en faire un vase d’élection, faire de lui un être neuf, qui puisse répondre dans la vie à l’amour de son Dieu et Père. Il ne sera plus ce pécheur, mais le gracié de ce Dieu qu’il venait prier dans le temple. Dieu lui-même va le justifier!
Comment prions-nous? Quels sentiments nous habitent devant Dieu? Sachons que notre prière finit par révéler qui nous sommes. Jésus lui-même dans sa prière comme dans sa relation avec nous a voulu se présenter humblement, sans prétention, comme un serviteur, solidaire de nos faiblesses, comme un fils devant son père. Nous donnant l’exemple de l’attitude qu’il faut avoir devant notre Dieu et Père. Nous ne pouvons vraiment prier que si nous sommes des pauvres devant Dieu. Le suffisant, le prétentieux, l’orgueilleux ne peut pas prier vraiment. C’est là un grand malheur! « Qui s’élève sera abaissé; qui s’abaisse sera élevé.
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Deux attitudes possibles
Jacques Fournier
Deux attitudes nous sont possibles en parcourant les textes de ce dimanche.
– Nous préoccuper de nous-mêmes, avec humilité, en observant ce que nous sommes et ce que nous faisons, et en rendant grâce à Dieu non de nos réalisations, mais de son attention à notre égard. En étant attentif au risque de ne plus contempler le Christ en plénitude, mais nous -mêmes.
– Ou bien tourner nos regards vers le Christ, ce qui est plus encourageant que de se contempler avec notre péché d’une manière moralisante.
La réponse se trouve dans les lectures de ce jour :
– Ben Sirac : « Il écoute la prière de l’opprimé. »
– Le psaume 33 : “Le pauvre a crié, Dieu l’écoute et le sauve.”
– Saint Paul qui a une confiance totale en la justice de Celui qu’il a servi et dont il a témoigné devant le tribunal de Rome.
– La parabole du publicain qui, saisi par la sainteté de Dieu, en appelle à sa miséricorde et au salut.
SANS SE DECOURAGER
Ces quatre personnes, en qui nous pouvons nous identifier, sont mis devant nos yeux :
– Avec Ben Sirac, qui ne se sent écouté par personne.
– Le psalmiste qui a le cœur brisé et l’esprit abattu.
– Saint Paul, abandonné même par les siens,
– Le publicain, indigne de regarder vers le ciel.
Mais tous les quatre prient sans se décourager.
– Le pauvre inconsolable persévère dans sa supplication.
– Saint Paul garde une confiance sereine et paisible.
– Le publicain implore pitié.
Et tous quatre sont entendus de Dieu qui trouve chacun disposé “à le servir de tout son coeur” (Ben Sirac), « à le bénir » (psaume) “désirant avec amour la manifestation de sa gloire”. (Saint Paul) Car selon la parole de l’Ecriture que chante l’Alleluia :”L’homme regarde à l’apparence, mais Dieu regarde au coeur.” (1 Samuel 16. 7)
Nous sommes souvent déconcertés par le temps qui reste sans réponse en apparence. Nos frères aussi s’impatientent qui s’attendent à une prière exaucée sans délai. Il est alors difficile de leur en parler avec des mots humains comme il est tout autant difficile, pour nous, de nous laisser conduire par le Christ jusqu’à ce détachement que représente l’abandon total à la bonté de Dieu.
Non pas seulement l’abandon à sa volonté, mais l’abandon à sa bonté.
L’ESSENTIEL ET LA JUSTICE
Maintenant, si nous relisons et méditons la parabole du pharisien et du publicain à la lumière de Ben Sirac, nous percevrons quelle doit être la réalité de notre conversion. Ses exigences ne peuvent s’estimer quantitativement au terme d’une addition.
La justice, au sens biblique du terme, signifie en effet l’ajustement de nous-mêmes, de notre volonté et de notre comportement, à Dieu lui-même. Et cela ne peut se réaliser que dans le Christ-Jésus, qui unit notre humanité à sa divinité. C’est en cela qu’il pleinement le Juste.
Etre juste ne provient pas seulement du fait que soyons attentifs et « intègres » sur tous les commandements de Dieu, ni même du fait d’accumuler des pratiques morales et charitables.
Le pharisien s’en prévalait. Il croyait prier. En fait il ne célébrait que lui-même. Il ne célébrait pas les dons de Dieu. Trop satisfait de ses propres réussites. Ce subtil orgueil détruisait en lui toute justice alors qu’il s’estimait en relation avec la volonté de Dieu. Mais était-il en relation avec la bonté, avec l’amour de Dieu à son égard et à l’égard de ses frères ?
Le publicain, saisi par la sainteté de Dieu, aurait voulu disparaître comme saint Pierre après la pêche miraculeuse : « Eloigne-toi de moi, Seigneur, je ne suis qu’un pécheur. » (Luc. 5. 8) Il mesurait la distance entre lui et le Seigneur Trois-Fois-Saint. Il se croyait très éloigné de la justice de Dieu, et en restait à distance. En fait, c’est lui qui était le plus proche, car il implorait l’essentiel de Dieu, c’est-à-dire sa miséricorde et son amour infini.
”Le Seigneur me remettra sa récompense, disait saint Paul, comme à tous ceux qui auront désiré avec amour sa manifestation dans la gloire.” Le pharisien ne manifestait que sa gloriole personnelle, bien fragile et bien minime en regard de l’immensité de l’amour de Dieu…
Le pharisien ne pouvait entrer en possession du mystère puisqu’il se mettait au centre de sa prière. Le publicain s’est élevé jusqu’au mystère du salut parce qu’il ne pensait d’abord qu’à la gloire de Dieu.