6 août
Fête de la Transfiguration du Seigneur (C)
Luc 9,28-36

La Transfiguration de Jésus (Giovanni Bellini, Naples)
En ce temps-là,
Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean,
et les emmena, eux seuls, à l’écart sur une haute montagne.
Et il fut transfiguré devant eux.
Ses vêtements devinrent resplendissants,
d’une blancheur telle
que personne sur terre ne peut obtenir une blancheur pareille.
Élie leur apparut avec Moïse,
et tous deux s’entretenaient avec Jésus.
Pierre alors prend la parole
et dit à Jésus :
« Rabbi, il est bon que nous soyons ici !
Dressons donc trois tentes :
une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. »
De fait, Pierre ne savait que dire,
tant leur frayeur était grande.
Survint une nuée qui les couvrit de son ombre,
et de la nuée une voix se fit entendre :
« Celui-ci est mon Fils bien-aimé :
écoutez-le ! »
Soudain, regardant tout autour,
ils ne virent plus que Jésus seul avec eux.
Ils descendirent de la montagne,
et Jésus leur ordonna de ne raconter à personne ce qu’ils avaient vu,
avant que le Fils de l’homme
soit ressuscité d’entre les morts.
Et ils restèrent fermement attachés à cette parole,
tout en se demandant entre eux ce que voulait dire :
« ressusciter d’entre les morts ».
Commentaire de Jacques Founier
LA TRANSFIGURATION
Une semaine avant la Transfiguration, selon saint Luc, Pierre avait confessé sa foi en la divinité de Jésus : »Tu es le Messie de Dieu. » (Luc 9. 20) Jésus leur parla, à ce même moment, de sa passion, de sa mort et de sa résurrection.
Il invite Jacques, Pierre et Jean à prier, c’est-à-dire, à partager avec lui ces moments d’intense intimité avec son Père, ce dialogue qu’ils n’auront pas le courage de partager au Jardin des Oliviers au moment de l’agonie. Jacques sera le premier à mourir pour le Christ. Pierre vient de confesser sa foi en la divinité et Jean sera le témoin de la gloire divine et de la lumière de Dieu : »Nous avons vu le Verbe venu dans la chair, la Parole, le Logos de Dieu. » Le premier chapitre de l’évangile de saint Jean est à relire dans ce contexte de la Transfiguration.
Jésus, lumière de Dieu.
Le visage du Christ leur manifeste la splendeur naturelle de la gloire divine, qu’il possède en lui-même et qu’il garde en son incarnation, même si cette gloire divine est cachée sous le voile de la chair. En Lui, la divinité s’est unie sans confusion avec la nature humaine. Il leur manifeste ainsi, au sommet de la montagne, non pas un spectacle nouveau le concernant, mais la manifestation, éclatante en Lui à ce moment, de la divinisation de la nature humaine, (y compris le corps, « le visage ») et de son union avec la splendeur divine.
Totalement homme, pleinement Dieu.
Quand resplendit une gloire sur le visage de Moïse au Sinaï, elle venait de l’extérieur (Livre de l’Exode 34. 29) Au Thabor, c’est le visage du Christ qui est source de lumière, source de la vie divine rendue accessible à l’homme et qui se répand aussi sur ses vêtements, c’est-à-dire sur le monde extérieur à lui-même et sur les produits de l’activité et de la civilisation humaines.
Saint Jean l’exprime dans les premiers versets de son évangile : » La Parole de Dieu était la lumière véritable qui illumine tout homme venant dans le monde… nous avons contemplé sa gloire comme étant celle du fils unique d’auprès du Père, pleine de grâce et de vérité. » (Jean 1. 9 et 14)
Vers la Terre Promise.
Aux côtés du Seigneur se trouvent Moïse et Elie, la Loi et le Prophètes, les deux sommets de l’Ancien Testament. Il nous faut lire le texte de saint Luc dans le grec lui-même, il est d’une toute autre signification. Ils sont dans la lumière. « Etant apparus en gloire, ils s’entretiennent avec lui de son exode (« exodos » chez saint Luc) qui allait s’accomplir à Jérusalem. » (Luc 9. 31) c’est-à-dire sa Passion, sa mort et sa résurrection, comme il s’en était entretenue, une semaine auparavant avec ses disciples, en même temps qu’il leur avait parlé de sa gloire (Luc 9. 26).
Au Thabor, saint Pierre, ravi de la contemplation de la lumière divine, voudrait se contenter de la jouissance terrestre de la lumière. Jésus le détourne de ce désir trop humain. Saint Luc dira de Pierre : »Il ne savait pas ce qu’il disait. » Il est « à côté de la plaque » pour utiliser une expression courante. Nous dirons en mieux, il est à côté de la réalité essentielle qu’ils vivent en cet instant.
« Tu nous as dit, Seigneur, d’écouter ton Fils bien-aimé. Fais-nous trouver dans ta Parole les vivres dont notre foi a besoin et nous aurons le regard assez pur pour discerner ta gloire. » (Prière d’ouverture de la messe)
« Pour avoir communié, Seigneur, aux mystères de la gloire, nous voulons Te remercier, Toi qui nous donnes déjà, en cette vie, d’avoir part aux biens de ton Royaume. » (Prière après la communion)
C’est cela la quête de la lumière.
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Commentaire de Marcel Domergue
Mystérieuse, la prière de Jésus ! Il ne fait qu’un avec le Père, il est lui-même personne divine. Mais en lui Dieu est passé dans la nature et la condition d’un être humain semblable à chacun d’entre nous. En lui, c’est notre liberté d’êtres créés qui doit choisir de faire un avec la liberté divine. C’est pour cela qu’il a un chemin à parcourir pour rejoindre la gloire d’où il vient. Les disciples, intrigués par ces temps de prière, lui demandent de leur apprendre à prier (Luc 11).
Il répondra en leur donnant le Notre Père. Ces quelques phrases résument-elles les longues prières de Jésus ? Je serais tenté de le croire, mais encore faut-il saisir toute la signification de ces brèves formules. Elles visent à l’aboutissement bienheureux de nos existences ; elles nous projettent à l’issue glorieuse de nos cheminements laborieux et déconcertants. Et voici que cette gloire terminale s’inscrit fugitivement sur le visage de Jésus et sur ses vêtements, sur ce corps humain en lequel il vit pour toujours. Union achevée de l’homme et de Dieu. Les trois disciples l’entrevoient dans une sorte d’extase, dont ils ne saisissent pas pour l’instant la signification, mais qui les réveille et les éblouit. Pierre, oubliant le chemin qui reste à parcourir, veut s’installer, planter la tente, dans le resplendissement de la lumière divine. C’est le sombre nuage qui accompagnait les Hébreux pendant leur longue et dure marche de l’Exode qui va lui répondre. Au bonheur du verset 33 succède la terreur du verset 34. De cette nuée dont les ténèbres contrastent avec la gloire de la transfiguration, la voix de Dieu se fait entendre pour glorifier Jésus, qui tout de suite redevient le Jésus de tous les jours.
À l’horizon, la Pâque
Moïse était redescendu de la montagne le visage rayonnant de lumière. Pas Jésus : la lumière de la transfiguration s’est perdue dans la nuée et n’est désormais visible que pour la foi en cette Parole qui vient de le désigner comme Fils. C’est fugitivement qu’il vient d’être révélé lumière du monde, lumière qui luit dans les ténèbres de nos vies mais que ces ténèbres ne peuvent arrêter (voir Jean 1,1-14). Nous venons de faire allusion à Moïse. Justement le voici sur la montagne avec Élie. Ces deux hommes représentent la Loi (Moïse) et les Prophètes (Élie), tout ce qui, dans la Bible, commande l’histoire. Ils parlent avec Jésus de « l’Exode qu’il doit accomplir à Jérusalem ». L’Écriture entière est, de diverses façons, préparation et figure de la Pâque du Christ. C’est que toute l’histoire humaine chemine vers ce dénouement, dont nous attendons encore l’ultime révélation exprimée dans le Bible par le thème du retour du Christ. N’oublions pas que le récit de la transfiguration est encadré par les deux premières annonces de la Passion et que le départ pour Jérusalem et la Pâque est mentionné aux premières lignes du chapitre suivant. La lumière qui inonde Jésus sur la montagne est prophétique de sa résurrection.
C’est sans doute pour cela que dans la version de Matthieu (17,9), Jésus dit aux trois disciples :
« Ne parlez à personne de cette vision, jusqu’à ce que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. » Dans sa seconde lettre (1,16-21), Pierre parlera de la transfiguration comme du fondement de sa foi. C’est que le Christ ressuscité n’émettait aucune lumière et restait difficilement identifiable : on ne le reconnaissait pas du premier coup.
Les trois disciples
Pierre, Jacques et Jean ont été appelés ensemble, alors qu’ils étaient encore pêcheurs de poissons. Ce furent les trois premiers disciples. Sans hésitation, ils ont quitté leur barques, leurs filets et leur père. On les retrouve ensemble à la transfiguration, on les retrouvera ensemble à Gethsémani. Leur appel, on l’a vu, les a trouvés occupés à autre chose, alors que toute la foule écoutait Jésus. À la transfiguration comme à Gethsémani, ils dorment, ce qui est une manière de s’absenter. Il est vrai que dans les deux cas, c’est la nuit, mais la nuit n’est pas seulement la conséquence de la rotation de la terre : dans la Bible, elle est allusion aux ténèbres qui couvraient l’abîme du néant avant que Dieu ne crée la lumière et ne la sépare des ténèbres pour donner lieu au premier jour. Le sommeil nocturne est une image de la mort : nuit des sens, nuit de l’intelligence, nuit de l’esprit. Les trois disciples se retirent de la marche de l’histoire et de l’itinéraire du salut de l’humanité. Au fond ils reviennent au néant originel. Mais c’est là que la lumière vient les visiter. En Luc 24,9-12, c’est le message des femmes qui ont eu le courage d’aller au tombeau, qu’elles ont trouvé ouvert et vide, qui les réveillera des ténèbres qui les emprisonnaient depuis Gethsémani. Ce qui est arrivé aux trois apôtres est typique de ce qui nous arrive à tous. Il y a des moments privilégiés où, le plus souvent sans préavis, nous voyons clair. Alors la lumière nous inonde mais l’instant d’après nous retombons dans les ténèbres de l’incompréhension. C’est alors que, les yeux clos, nous avons à choisir de croire aux paroles que nous avons entendues et qui nous ont désigné ce Jésus comme le Fils de Dieu.
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Quand le Père nous donne son Fils
Jacques Marcotte o.p.
Les disciples qui accompagnent le Seigneur sur la montagne, vivent un moment de pleine lumière, de ravissement. Nous vivons nous aussi parfois de ces moments précieux qui nous aident à tenir le fil d’un quotidien souvent lourd et menaçant. Nos expériences heureuses et significatives, ça peut être la présence de quelqu’un dans notre vie, le bonheur d’une amitié dont nous prenons plus vive conscience, la satisfaction d’une réussite, une parole d’estime, un mot d’encouragement.
Ici, dans l’évangile, Jésus apparaît transfiguré devant Pierre, Jacques et Jean. Tout lumineux, il est soudain en compagnie de personnages fameux d’autrefois : Moïse, le chef et le sauveur, aux origines du peuple juif; Élie, le prophète qui a tenu tête à des rois en Israël au temps d’Acab et de Jézabel. Les deux, Élie et Moïse, sont des hommes de la montagne. C’est là qu’ils ont rencontré le Seigneur, une rencontre déterminante pour chacun et pour le peuple qu’ils avaient mission de servir. Moïse et Élie s’entretiennent donc avec Jésus. Luc, lui, nous laissait entendre qu’ils parlaient du départ prochain de Jésus à Jérusalem.
Les disciples, eux, ils disent n’importe quoi. Leur frayeur était grande, précise S. Marc. Pierre propose de dresser trois tentes. Comme s’il voulait apprivoiser les trois figurants. Comme nous souhaitons éterniser certaines expériences de notre vie, tellement c’est beau et spécial.
Rappelons que cet évènement de la transfiguration du Seigneur survient peu de temps après la 1ère annonce de la passion par Jésus. Les disciples n’ont alors rien compris, ou peut-être qu’ils n’ont rien voulu comprendre. Comme on repousse une mauvaise nouvelle. Comme on dénie une maladie grave, un échec, un accident, un malheur.
Et si cet évènement sur la montagne avait quelque chose à voir avec ce qui va bientôt arriver à Jésus? Si c’était pour que les disciples comprennent mieux le sens de sa mort et en acceptent la nécessité? Pour qu’ils puissent un jour le dire à tous ceux qui voudront suivre Jésus.
Lisons la suite : « Survint une nuée qui les couvrit de son ombre, et de la nuée une voix se fit entendre : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez le! » C’est le Père qui s’exprime. Il révèle le destin de son fils Jésus qui, tout de suite après, retrouve ses humbles dimensions aux yeux des disciples. « Ils ne virent plus que Jésus seul avec eux. »
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Celui-ci est mon fils, celui que j’ai choisi, écoutez-le
Yvon-Michel Allard, s.v.d.
Dans le texte de la transfiguration, Luc est le seul des évangélistes à nous dire que Jésus était allé sur la montagne pour prier. C’est pendant sa prière qu’il est transfiguré. Quelques jours plus tôt, il avait révélé à ses disciples qu’il montait à Jérusalem pour y être rejeté par les autorités civiles et religieuses et être condamné à souffrir et à mourir. Aujourd’hui, en contact avec son Père, son chemin de ténèbres et de souffrances s’illumine et prend tout son sens. L’amour sera plus fort que la mort. Ce sera pour lui un chemin de libération, un «exode», qui le conduira à la résurrection.
La tradition disait qu’après sa rencontre avec Dieu sur la montagne, le visage de Moïse était resté si brillant qu’il devait porter un voile pour ne pas aveugler ses compatriotes. La gloire de Dieu se manifeste aujourd’hui sur le visage de Jésus. Au moment où la perspective de la souffrance et de la mort se confirme, nous avons ici une anticipation de la résurrection. Suite à la transfiguration, Jésus aura le courage de descendre dans la plaine, de se rendre à Jérusalem et de faire face à ses adversaires.
Ce qui est le plus important dans le texte de ce dimanche n’est pas le miracle du changement extérieur de Jésus mais bien la révélation de Dieu le Père : «Celui-ci est mon fils, celui que j’ai choisi : écoutez-le.»
Écouter les paroles de Jésus afin d’être transfigurés nous aussi, c’est là le but du carême. Être renouvelés grâce au contact que nous avons avec le Seigneur.
La transfiguration se produit à maintes reprises dans l’évangile : le Christ transfigure les blessés de la vie, les rejetés de la société, les pécheurs et les transgresseurs. Au contact avec le Seigneur, ces gens reprennent goût à la vie. C’est l’histoire du lépreux chassé hors de la ville, de la Samaritaine qui vit avec son sixième mari, de Zachée le publicain, de Marie Madeleine «la pécheresse», de la prostituée dans la maison de Simon le pharisien, de la femme adultère condamnée à être lapidée, de Pierre qui avait affirmé ne pas connaître Jésus, du voleur sur la croix, etc.
Et, à travers les siècles, des milliers de personnes, entrant en contact avec le Christ, apprendront à donner un sens nouveau à leur existence. Il s’agit de véritables renaissances, de vraies transfigurations.
Nous pouvons nous aussi vivre une transfiguration, une transformation, un changement qui nous aidera à reprendre goût à la vie, à mieux réussir notre pèlerinage sur la terre, et ce malgré nos maladies, nos faiblesses, nos échecs et nos défaites.
La transfiguration est une invitation à aller de l’avant. Elle nous sort de l’enlisement et nous empêche de nous installer définitivement. Pierre aurait bien voulu rester sur la montagne («Dressons trois tentes») mais le Christ l’invite à descendre dans la plaine.
Grâce à la foi nous évitons de nous replier sur notre passé ou de nous installer trop confortablement dans le présent. La foi combat l’immobilisme et la stagnation. C’est un itinéraire de liberté, qui nous pousse toujours vers l’avant.
Le disciple prend au sérieux le message du Seigneur et se laisse questionner par lui. C’est une personne d’écoute. La parole du Seigneur nous permet de trouver une direction et une perspective nouvelles. «Je suis le chemin, la vérité et la vie».
Jusque-là, on écoutait Moïse, interlocuteur de Dieu au Sinaï, porteur de la Loi, nimbé de lumière (Exode 34, 29). On écoutait aussi les prophètes, dont Elie est le représentant dans l’évangile d’aujourd’hui. Maintenant, il n’y a plus qu’une seule voix à écouter, la voix du Christ. «Celui-ci est mon fils, celui que j’ai choisi. Écoutez-le.»
Le visage du Transfiguré n’admet pas de visages défigurés
Romeo Ballan, mccj
Contempler le visage! Déjà l’antienne d’introduction nous offre une clé de lecture de cet Évangile de la Transfiguration et d’autres textes bibliques et liturgiques de ce dimanche: “Cherchez son visage. Je cherche ton visage, Seigneur. Ne me cache pas ton visage”. Et une réponse à cette supplication insistante nous vient d’une montagne, où Jésus s’est transfiguré devant trois disciples choisis: “son visage apparut tout autre, ses vêtements devinrent d’une blancheur éclatante” (v. 29). Les évangélistes insistent sur la splendeur éclatante qui montre extérieurement l’identité de Jésus. La lumière est en effet un signe du monde de Dieu, de la joie, de la fête. Ici la lumière ne vient pas de l’extérieur de Jésus, mais elle émane de lui, de sa propre personne. Luc souligne que Jésus “gravit la montagne pour prier, et pendant qu’il priait, son visage apparut tout autre” (v. 28-29). Jésus sort totalement transformé justement à partir de ce rapport avec le Père, ainsi cette pleine identification avec Lui resplendit maintenant sur son visage.
Le chemin de transformation intérieure est le même pour Jésus et pour l’apôtre: la prière peut transformer la vie du chrétien et du missionnaire, si elle est vécue comme écoute-dialogue, fruit de la foi et de l’humble abandon à la volonté de Dieu. En effet la prière, la contemplation, est l’expérience qui fonde l’appel missionnaire. Il en a été ainsi de Pierre, qui se déclare sûr de ne pas avoir couru “après des fables sophistiquées”, dans sa conscience d’avoir été l’un des trois “témoins oculaires… pendant que nous étions avec lui sur la sainte montagne” (2P 1,16.18). Entre la confusion et la peur (v. 33.34), Pierre aurait voulu éviter cet “exode” mystérieux, ce départ inquiétant qui allait se conclure à Jérusalem, dont Moïse et Élie discutaient avec Jésus (v. 31). Il aurait tant aimé arrêter dans le temps cette éblouissante vision du Royaume (v. 33), comme une “fête des tabernacles” destinée à durer pour toujours. (Zc 14,16-18). Plus tard, une fois surmontée la crise dramatique de la passion, l’événement prendra dans le cœur de Pierre et de ses compagnons le souvenir d’une expérience d’intimité avec leur Maître, quand ils ont vu en lui le Fils bien-aimé du Père (v. 35). Grâce à cette expérience les apôtres ont pu confirmer leur vocation, ainsi que leur engagement pour une courageuse mission d’annonce, jusqu’au martyre. “Écoutez-le” dit la voix venant de la nuée (v. 36). Le Pape Benoît XVI nous adresse un commentaire suggestif sur l’actualité du commandement invitant à écouter et faire confiance au Maître, à reconnaître et fixer le visage fascinant du Christ.
Le visage transfiguré, et donc attrayant, du Christ, annonce sa réalité post-pascale et définitive. La même qui est promise pour nous aussi. D’ailleurs, c’est bien dans cette vocation à la vie et à la gloire que la dignité de toute personne humaine trouve son fondement essentiel: aucune raison ne justifie que la personne humaine soit défigurée de quelque manière que ce soit. Pourtant, même aujourd’hui, hélas!, dans tous les pays, le visage de Jésus est souvent éclaboussé sur tant de visages d’hommes. C’est ce qu’affirme aussi le document des évêques d’Amérique Latine à Puebla (Mexique, 1979): “Cette situation de pauvreté extrême et généralisée revêt dans la vie réelle des aspects très concrets, qui devraient nous permettre d’y reconnaître l’image du Christ souffrant, du Seigneur qui nous interpelle” (n. 31). Juste après, toute une séquence de souillures nous est citée: visages d’enfants malades, abandonnés, exploités; visages de jeunes désorientés et exploités; visages d’ autochtones et d’afro-américains exclus de la société; visages de campesinos abandonnés et exploités; visages d’ouvriers mal payés, chômeurs, licenciés; visages de personnes âgées exclues de la société familiale et civile (cf Puebla 32-43). La liste pourrait bien s’allonger si on voulait dénoncer les situations dont nous sommes nous-mêmes témoins dans notre milieu. Autant d’appels insistants lancés à la conscience des responsables des nations ainsi qu’aux missionnaires de l’Évangile de Jésus. Mission veut donc dire rendre et garantir dignité et bonheur à tous les visages que la vie a salis et défigurés.