Le Christ Rouge, de Guillaume Dezaunay, Éditions Salvator, 2023 : Voici un petit livre facile à lire, pas trop long, mais assez roboratif. Le texte qui suit a pour unique ambition de pousser le lecteur à se le procurer (et le lire !).
Publié le 9 juillet 2025 par Garrigues et Sentiers
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Ce livre propose une écoute attentive et ouverte de l’enseignement de Jésus, pour en tirer des conséquences dans nos vies. Il le fait sans concession. Il n’aborde pas les thèmes fondamentaux de l’Incarnation, de la Passion, de la Résurrection. Il essaie de prendre au sérieux tout l’enseignement de Jésus au fil de sa mission, cet enseignement qui nous appelle à fonder le Royaume, appel exprimé par des affirmations, des actions (miracles ou autres), des paraboles. Il part de l’idée que le ciel (le Royaume) n’est pas simplement un arrière-monde mais une réalité déjà là sur terre.
Pour bien montrer où on risque d’atterrir, dès le prologue l’auteur nous dit qu’« il est tout naturel de se demander si le Christ ne serait pas anarcho-communiste et révolutionnaire. En effet il critique l’appropriation pour exiger le partage (communisme) et met en question le pouvoir (anarchisme) puis veut le renversement des puissants pour élever les humbles (révolutionnnaire) ».
La première partie du livre traite de l’appropriation, celle des biens, l’avoir, celle des hommes, le pouvoir.
Pour ce qui est de l’avoir, il rappelle que la « voie de la vie » exige un usage des biens qui soit utile aux autres, la « voie de la mort », c’est entrer en compétition pour augmenter sa jouissance individuelle au détriment des autres. C’est autour du rôle de l’intendant, ou du serviteur, que s’articule cet enseignement. « Bon serviteur » que le maître trouve attentif, ou mauvais qui malmène les autres à son profit. Critique de la générosité sans justice (le don de deux pièces par la veuve et celui ostentatoire des riches – ça devrait nous rappeler quelque chose à propos de la restauration de Notre Dame). La parabole de l’intendant malhonnête appelle à mettre l’argent à sa place, il est fait pour satisfaire les biens sociaux et pour cela il doit circuler. Avec une critique des loups-entrepreneurs prêts à tout pour réduire leurs coûts et augmenter leurs rendements qui obligent les autres à jouer le jeu mortifère de la concurrence malhonnête. La parabole des vignerons homicides, elle, nous annonce les conséquences mortifères de l’appropriation.
« Gardez-vous de toute avidité » est-il encore écrit, l’homme qui a accumulé les biens peut mourir dans la nuit, le fils prodigue a dilapidé l’héritage à son seul service et son aîné l’a thésaurisé et en crève. L’expropriation peut être une solution, c’est le cas des mauvais intendants, ou de celui qui a refusé de faire circuler le talent confié, dans la parabole des mines, il lui sera enlevé pour le donner à celui qui en avait reçu dix !
Une seule fois Jésus use de violence, c’est contre les marchands du Temple, ils sont sacrilèges, il faut les chasser de la proximité des petits et des pauvres qu’ils sont prêts à tondre en s’abritant derrière le « sacré » du Temple. Cela amène à se demander quel est notre « sacré » : veau d’or au désert, détruit par Moïse, tables de la Loi, brisées aussi par Moïse, le Temple que Jésus appelle à démolir… pour en venir à son Corps, mais qu’est-ce que le Corps sacré de Jésus ? Le texte sur le Jugement dernier nous éclaire, c’est le lieu où Dieu se manifeste, c’est l’affamé, l’assoiffé, la prostituée, le prisonnier, et c’est en les servant que nous servons le Fils et donc adorons Dieu.
La critique du pouvoir peut commencer par le lavement des pieds avec le brouillage des distinctions entre maîtres et serviteurs. Le pouvoir de Jésus est paradoxal : roi prisonnier et condamné à mort, roi pauvre sur un âne, roi ridiculisé…
Le pouvoir refuse la contrainte, à chacun de juger. L’Évangile propose une subversion du pouvoir : le transformer en service et ne pas le garder pour soi. Le Règne est le déploiement de la justice miséricordieuse sans pouvoir. Dénoncer le pouvoir mène à la violence de ceux qui veulent le garder. La violence existe bien mais ne doit pas être du côté des disciples (avec la seule exception contre l’usage du Temple, le sacré de l’époque, pour faire des profits, dévoiement sacrilège).
Renonçons aux privilèges, à celui qui a beaucoup reçu il sera beaucoup demandé. Être intendant c’est reconnaître qu’on a tout reçu, rien n’est à nous. Le bon intendant n’est pas simplement un capitaliste, c’est un homme politique, au sens noble du terme, celui qui s’occupe du bien commun et participe à la juste organisation de la vie collective.
Répandons les dons, mais attention, pas n’importe comment. Ivan Illich nous met en garde :
« Dans leur bienveillance, les nations riches entendent passer aujourd’hui aux nations pauvres la camisole de force du développement, avec ses embouteillages et ses emprisonnements dans des hôpitaux ou des salles de classe… Au nom du développement, l’opinion internationale approuve cette action. Les riches, les scolarisés, les anciens de ce monde essaient de partager leurs douteux avantages en convainquant le Tiers-monde d’adopter leurs solutions préemballées ! ».
Ou encore cette sortie de V. Jankélévitch : « Telle est la tactique du faux cadeau : faisant d’une pierre deux coups, on obtient non seulement que le gueux reste gueux, mais que par-dessus le marché il rende grâce au prochain pour sa gueuserie ; le pauvre sera spolié, et en plus, comme on lui fait croire qu’il n’avait droit à rien, il remerciera le voleur… Détroussé et reconnaissant ! ».
On trouve même une ouverture sur l’altermondialisme avec cette citation de l’encyclique de François Fratelli tutti :« Nous pouvons alors affirmer que chaque pays est également celui de l’étranger, étant donné que les ressources d’un territoire ne doivent pas être niées à une personne dans le besoin provenant d’ailleurs. »
Ces deux chapitres sur l’avoir et le pouvoir sont sévères, ancrés solidement dans l’enseignement très concret de Jésus. Ils comportent une attaque en règle de nos habitudes, de « ce qui se fait » et des choix politiques, économiques ou sociaux que nous soutenons ou dont nous profitons… à notre corps défendant bien sûr !
Alors que faire ?Surtout ne pas se décourager, ni renoncer. Oui il y a de quoi faire, de quoi réformer, de quoi nous engager. Dans la même veine que ce qui précède l’auteur nous propose des pistes, comme celles de satisfaire les besoins, de sortir de la surproduction, de quitter l’anthropocentrisme déviant, de garder la fidélité dans la catastrophe qui nous atteint. Chacun, à sa place, peut trouver de quoi faire pour être fidèle à Jésus dans la venue du Royaume.
Enfin un dernier paragraphe est consacré à la place de la prière avec par exemple cette phrase à méditer : « La vie spirituelle consiste à porter des fruits de justice, et pour cela elle a besoin à la fois de la sève de la prière et de l’audace de l’action ».
Notes prises par Marc Durand