3ème Dimanche de Pâques (C)
Jean 21, 1-19

Références bibliques :
- Lecture du Livre des Actes des Apôtres 5,27-41: “C’est lui que Dieu, par sa puissance, a élevé en faisant de lui l’initiateur et le Sauveur.”
- Psaume 29 : “Que mon coeur ne se taise pas ! qu’il soit en fête pour toi !”
- Lecture de l’Apocalypse de saint Jean 5,11-14 : “Il est digne de recevoir puissance et richesse, sagesse et force, honneur, gloire et bénédiction !”
- Evangile de Jésus-Christ selon saint Jean 21,1-19 :”C’est le Seigneur !”
Il faut du temps pour prendre la route du disciple
Marcel Domergue sj
« Jésus se manifesta » : il rend sensible sa présence déjà là, permanente, mais dans un univers inaccessible aux sens. Il va en quelque sorte faire revivre à ses disciples les grandes étapes de leur existence avec lui. L’équipe de la première rencontre (Jean 1) se retrouve à la case départ, à la pêche, comme en Luc 4 par exemple. Même pêche “miraculeuse”, annonce de la fécondité apostolique à venir. Pourtant, à côté des ressemblances et des reprises, des différences significatives: maintenant les filets ne se déchirent plus, Pierre ne se préoccupe plus de sauver la pêche mais se jette à l’eau à la rencontre du Christ. Tout recommence, mais autrement: on est passé dans la lumière pascale, cette lumière qui, symboliquement, se révèle sur le rivage en même temps que Jésus: “au lever du jour”, dit le texte. Nous sommes passés aux temps de la grâce et tout devient lumineux. On le verra, ce temps n’est pas encore “dernier temps” mais oriente notre marche vers “le Jour du Seigneur”, jusqu’à ce qu’il vienne (v. 23) pour une présence sans éclipse dans la clarté de Dieu (Apocalypse 21,23). En attendant, le jour se lève, mais ce n’est pas encore l’éblouissement du plein midi. C’est pourquoi notre texte accumule, à côté des traits de lumière, des détails négatifs: l’ennui des disciples, désormais, et provisoirement, oisifs; la nuit, où la pêche est nulle; la nudité de Simon.
À partir du dénuement
Cette nudité de Simon fait évidemment penser à celle d’Adam, en Genèse 3,7-11. Elle exprime le dénuement, la pauvreté de l’homme qui a sacrifié nu néant. Or, qui a vêtu l’homme après sa faute et sa vaine tentative pour se couvrir? Dieu lui-même (Genèse 3,21). On peut en déduire que cet “autre” qui mettra à Pierre sa ceinture quand il aura vieilli est Dieu également (v. 18). Et cela pour conduire l’apôtre vers cette traversée de la mort dont il ne voulait pas entendre parler en Matthieu 16,22. Pierre devra revêtir la mort du Christ pour finalement revêtir l’homme nouveau et ainsi “glorifier Dieu”. A l’heure de la Passion, tous se sont enfuis et Pierre a renié. C’était la nuit “où nul ne peut rien faire” (Jean 9,4), la nuit de pêche nulle. Notons la mention de la nourriture: Jésus demande: “Auriez-vous quelque chose à manger?” (et non “un peu de poisson”). Quand nos textes parlent de nourriture, il y a dans le filigrane la question de la faim au désert, de la manne et, en fin de compte, le don de la chair pour la vie du monde. D’ailleurs, le geste de Jésus au verset 13 est décrit selon un “moule”, une formule stéréotypée, eucharistique. Quant au pain et au poisson, ils sont restés symboles du Christ dans les premiers temps de l’Église. Après leur pêche nocturne, les disciples n’ont rien à donner et rien à manger. Ce dénuement est leur point de départ, et aussi le nôtre.
La vie devant soi
Quand Jésus demande à Pierre sa triple affirmation d’amour c’est un peu comme si l’on effaçait l’ardoise sur laquelle sont inscrits les trois reniements. On repart à zéro. En apparence seulement, car si Jésus reste pour toujours celui qui a été crucifié, Pierre reste celui qui a renié, ce qui le rend triste (v. 17). Mais, a dit Jésus, votre tristesse se transformera en joie (Jean 16,20-22). Remarquons que le coup d’éponge sur l’ardoise ne ramène pas au point de départ: il y a un plus dans la qualification de Simon comme “pasteur”. Jusqu’ici, il s’était entendu nommer “pêcheur d’hommes”, puis “Pierre”, rocher sur lequel on bâtit. C’était là, d’ailleurs un des anciens titres du Messie attendu. Jamais encore Jésus ne l’avait appelé “pasteur”, titre messianique par excellence venu de David. Jésus, en Jean 10 s’était réservé ce titre pour lui-même. Pierre ne pouvait pas encore le porter parce qu’il refusait ce qui fait le vrai pasteur: “donner sa vie pour ses brebis”. Maintenant, l’épreuve de la Passion traversée, les larmes versées, Jésus retrouvé vivant, il est prêt à suivre Jésus sur la route qu’il a prise, là où lui, Simon, ne voulait pas aller Pesons les mots: “Jésus dit cela pour signifier le genre de mort par lequel Pierre glorifierait Dieu”. Puis il lui dit: “Suis-moi”. L’ensemble des quatre évangiles se termine par cette image de Pierre marchant avec Jésus vers un avenir dont le livre n’est pas encore écrit.
Pour un monde nouveau, la mission
Daniel Duigon
Le texte qui combine à la fois une apparition du Ressuscité, un repas eucharistique et un envoi en mission n’est-il pas à lire comme un appel à une nouvelle pastorale ?
Premier fait : c’est la nuit. Pierre (le premier évêque) prend l’initiative de la pêche (la pastorale). Il se conduit en « chef », mais, avec les disciples, c’est l’échec. Premier enseignement : pas de possibilité d’avancer en Église dans le monde sans faire retour au Ressuscité. C’est le matin. Chaque jour est un commencement, le Vivant invite les disciples à prendre une nouvelle direction. Le monde a changé. N’est-ce pas dans des outres neuves que l’on met le vin nouveau (la Bonne Nouvelle) ?
Deuxième fait : c’est après avoir suivi le conseil de l’inconnu au bord de la mer de Tibériade que « le disciple que Jésus aimait » reconnaît le Christ ressuscité. Deuxième enseignement : tout « chef » qu’il est, Pierre a besoin des autres, et en particulier ici, du « disciple que Jésus aimait », pour comprendre les événements. Pour « voir » dans les événements, dans un acte interprétatif qui passe par un acte de foi, la présence du Vivant. D’ailleurs, le lecteur peut sentir entre les mots la tension persistante entre Pierre et le « disciple que Jésus aimait », comme une compétition entre les deux rôles ou les deux magistères qu’incarnent les deux hommes. Un appel au dialogue et à la complémentarité des ministères entre prêtres et laïcs, à la collégialité à inventer entre les baptisés, peuple de Dieu, pour exercer le « sacerdoce commun » (Vatican II) ? Au passage, le lecteur peut remarquer que, contrairement au récit de l’arrivée de Pierre et du « disciple que Jésus aimait » au tombeau (20, 1 à 10), Pierre prend très nettement la première place avec ce dialogue très émouvant avec Jésus : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? ».
Troisième fait : la pêche rassemble une impressionnante diversité de poissons. Cent cinquante-trois et des gros, précise le texte. Troisième enseignement : c’est bien l’universalité de l’Homme qui est visée dans la pastorale, au-delà des différences entre les hommes et les femmes selon la couleur de leur culture, de leur peau ou de leur sexualité. La Parole de Dieu s’adresse à tous les hommes et à toutes les femmes sur la terre, sans exception.
Quatrième fait : Pierre tire le filet de pêche à terre, un filet qui ne se déchire pas. Quatrième enseignement : compte tenu de la variété des situations possibles et des directions à prendre, il y a une nécessité d’avancer ensemble, ce qui n’exclut pas de lancer différentes expériences de pastorales, au contraire. Pierre assure l’unité.
Enfin, cinquième fait : le Ressuscité invite les disciples à partager un repas. Le pain donné est le don de Jésus sur la croix, cette parole qui libère. Cinquième enseignement, à moins qu’il soit en fait le premier : ce qui permet de reconnaître le Vivant, c’est le partage entre tous. D’où le feu de braise pour le repas ; pas celui de la trahison (18, 18), mais le feu de la fraternité. Chez l’évangéliste Jean, le repas eucharistique s’ancre dans l’action au service des autres, de tous les autres. À ce stade, tout commence ou tout fini. Chez l’individu, les résistances psychologiques ne peuvent qu’être extrêmes, à l’image de la croix : rien n’est plus psychiquement redoutable que la confrontation à l’autre, à l’étranger, à celui qui pourrait menacer son intégrité. Mais n’est-ce pas là, à cette frontière entre la « vie » et la « mort » de l’être en tant qu’Homme, entre « éros » et « thanatos », au seuil du vrai grand défi de son existence, que s’entend l’appel du Vivant à naître à soi-même, à naître à « l’humain » dans l’accueil en soi de l’universel qui passe par la reconnaissance de l’altérité de l’autre, et que commence la mission de l’Église pour un monde nouveau ? Là où, par peur, face à l’inconnu, l’on ne voudrait peut-être pas aller…
P. Daniel Duigou, prêtre et journaliste
https://croire.la-croix.com
Sur le rivage…
Jean-Christian Lévêque
Aux heures d’incertitude et de désarroi, dans la vie personnelle, familiale ou communautaire, il est souvent sage et sain de continuer à marcher sur la route toute simple du quotidien et à partir des éléments habituels de notre fidélité.
C’est bien ainsi que Pierre a réagi en Galilée. Il sentait un certain flottement dans l’esprit des disciples. Tous étaient encore sous le choc des évènements, et leur foi dans le Ressuscité demeurait encore bien timide. De plus Pierre percevait bien que l’inaction pouvait désagréger les personnes. Et nous le voyons prendre une décision inattendue, qui révèle à la fois son tempérament de chef et sa santé spirituelle : « Je vais à la pêche ! ». Les autres n’attendaient que cela : « Nous allons aussi avec toi ! »
Il fallait prendre cette initiative. En attendant des directives précises de Jésus, en attendant sa présence plus sensible, Pierre propose de retrouver dans un travail d’équipe les automatismes d’autrefois. C’est vigoureux. C’est dynamisant … Et pourtant ils vont peiner toute une nuit sans rien prendre. Mais Jésus les rejoint tous ensemble au moment de l’effort infructueux, et il se fait reconnaître par des signes qu’il donne au niveau de l’action entreprise : – d’abord l’abondance de la pêche, la surabondance annoncée par les prophètes pour les jours du Messie et que les disciples ont connue déjà à Cana et lors de la multiplication des pains, – et surtout la disproportion de ce que Jésus donne en quelques instants avec les échecs répétés tout au long de la nuit. Quand Jésus exauce, c’est toujours royal.
Tous voient la pêche, tous mesurent la réussite, mais un seul devine, un seul a immédiatement l’éclair de la foi, celui qui depuis toujours s’efforçait d’entrer dans le style de Jésus, celui qui était suffisamment pauvre de lui-même pour percevoir les signes de Jésus au ras des événements, au creux du quotidien ; « C’est le Seigneur ! ». Immédiatement on entend un plongeon, puis l’on voit des gerbes d’eau qui foncent vers le rivage. Le disciple que Jésus aimait a été le premier à voir et à dire ; mais Pierre a été le seul à se jeter à l’eau, comme pour s’y laver de ses reniements avant de rencontrer le regard de Jésus. Il avait péché plus lourdement : il serait le premier à revenir ; et il allait faire ce jour-là, au petit matin, l’expérience merveilleuse du pardon de Jésus.
Dans le court dialogue qu’ils auront après le repas, Jésus ne lui fait aucun reproche. Le passé n’est même pas évoqué … cette fameuse nuit où par trois fois Pierre avait déclaré : « Je ne connais pas cet homme ! » Le mot pardon n’est même pas prononcé, et c’est en redisant trois fois son amour pour le Christ que Pierre se découvre pardonné, transfiguré, recréé par un amour plus puissant que toutes les morts spirituelles.
Il ne pourra pas effacer sa chute, oublier son heure de faiblesse ni la faiblesse qui l’habite à toute heure ; mais désormais sa trahison ne reviendra plus à sa mémoire que sertie dans le pardon, reprise et lavée dans la miséricorde de Jésus. « Simon, Simon, j’ai prié pour toi, disait Jésus quelque heures avant de mourir, afin que ta foi ne défaille pas. Toi donc, quand tu seras revenu (converti), affermis tes frères » (Lc 22,31s). C’est un homme tombé qui va devenir la pierre de fondation de l’Église. C’est un homme capable de lâcheté que le Ressuscité va établir pasteur de son propre troupeau. Pierre sera berger pour le compte du « chef des bergers », au service du Berger modèle, et il ira, lui aussi, jusqu’à donner sa vie pour le troupeau de Jésus. C’est ainsi, à l’imitation du Seigneur, que dans sa mort il va « glorifier Dieu » (v.19).
Fr. Jean-Christian Lévêque, o.c.d
.https://www.carmel.asso.fr
La rencontre avec le Ressuscité amène à la Mission
Romeo Ballan, mccj
On respire de l’air frais, dans un climat d’universalité, d’envoi missionnaire au monde. La troisième rencontre de Jésus avec le groupe de ses disciples (Évangile) n’a pas lieu dans le Cénacle, à Jérusalem, les portes fermées. Elle se produit à l’extérieur, sur les rives du lac de Galilée, un matin de printemps. L’événement de cette pêche miraculeuse, ainsi que la mission que Jésus confie à Pierre, sont racontés à l’aide d’un langage qui est typique de l’expérience mystique, avec abondance de symboles, et même un accent de profonde affection. De cette manière le message nous devient accessible dans sa totalité: le retour quotidien à la pêche, le nombre de sept pêcheurs, la mer, le fait même de pêcher, la nuit de travail sans résultat, l’aube, le Seigneur sur le rivage, la pêche abondante, le feu pour le déjeuner, le banquet. Ensuite la mission que le Seigneur confie à Pierre à l’aide d’une surprenante preuve d’amour, le troupeau qui lui est confié à trois reprises, et finalement la fidélité au Seigneur, exigée pour toute la vie, jusqu’à la mort…
Le symbolisme mystique s’ajoute à l’événement pour nous en proposer une compréhension plus complète et universelle. Par exemple, si la mer symbolise les forces ennemies de l’homme, pêcher et devenir pêcheurs d’hommes (Mc 1,17) veut dire libérer de toutes situations de mort. Ainsi la pêche devient symbole de la mission des apôtres. Le succès de cette mission, bien que à haut risque, est à la mesure des “153 gros poissons”, (v. 11). Ce nombre se prête à de nombreuses interprétations possibles. Mais il y en a deux qui méritent quand même d’être soulignées: en effet, à la précision mathématique du témoin oculaire s’ajoute le symbolisme du “50×3+3”, où le nombre de 50 est symbole de la totalité du peuple, et le 3 indique la perfection. Aucun poisson n’est donc oublié. Le banquet, qui voit Jésus inviter absolument tout le monde, montre l’histoire du salut dans sa conclusion. En même temps, le triple envoi missionnaire désigne Pierre comme berger de tout le troupeau.
On peut distinguer, dans les apparitions du Ressuscité, d’une part les apparitions de reconnaissance, où Jésus n’a d’autre but que celui de se faire reconnaître comme ‘le vivant’. Les autres sont les apparitions de l’envoi missionnaire, où Jésus envoie ses disciples mettre en exécution des ordres ponctuels (allez dire à…) ou bien des missions à long terme (allez dans le monde entier, de toutes les Nations faites des disciples…). C’est ainsi que, progressivement, l’événement ‘résurrection’ prend toute sa portée universelle aux yeux des disciples. Le Ressuscité (I lecture) est “chef et sauveur” de tous les peuples (v. 31), et cette Bonne Nouvelle doit être annoncée à tous, et partout! En effet on doit notre obéissance à Dieu plutôt qu’aux hommes (v. 29). C’est ainsi que les disciples commencent à l’expérimenter dès le début, en qualité de témoins oculaires (v. 32), avec courage et “joyeux d’avoir été trouvés dignes de subir des outrages pour le nom du Seigneur” (v. 41). (*) C’est à Lui, l’Agneau immolé (II lecture), que toutes les créatures du ciel et de la terre doivent rendre gloire et honneur pour l’éternité (v. 12-13).
L’expérience du Ressuscité dépasse le temps des premières apparitions (Évangile): il faut aussi savoir reconnaître la présence réelle et efficace du Seigneur dans le quotidien de la vie. “Jésus se fait reconnaître dans ses gestes, dont l’un est effectivement extraordinaire –la pêche miraculeuse- mais les autres sont très simples et familiers. Il a préparé du pain et du poisson et il les invite au repas, avec grande amitié. Il prend le pain et le leur donne, ainsi que le poisson, comme il avait fait si souvent auparavant. On dirait que Jésus, loin de vouloir manifester sa gloire, veuille plutôt préparer ses disciples à sa présence mystérieuse à venir. Une présence qui sera universelle après la résurrection: en effet maintenant Jésus est présent partout, d’une présence divine qui est en même temps sa présence humaine… Les chrétiens sont appelés à chercher une gloire divine qui n’est pas extérieure, parce qu’ils sont appelés à reconnaître Jésus dans les frères… le reconnaître présent dans les plus pauvres et les plus humbles ou les plus nécessiteux. Là les chrétiens sauront reconnaître sa gloire, la gloire mystérieuse de leur Seigneur et la puissance de son action divine, qui accomplit des prodiges à l’aide de moyens humbles et simples” (Albert Vanhoye).
Notre foi en Jésus Christ devient donc un défi: celui de mener dans notre quotidien une vie en tant que ressuscités, où l’amour est à la base de nos choix de tout moment. Une vie pleine, vécue en hommes responsables sur un double front: la reconnaissance envers Dieu et la responsabilité missionnaire à l’égard de nos frères. Pour semer partout la vie, l’espérance, la miséricorde, la réconciliation, la joie… dans toutes les situations, lieux, moments et expressions de l’existence humaine.