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Elles étaient trois nous rapporte l’évangéliste Luc. Trois femmes dont l’histoire a retenu le nom : Marie de Magdala, Jeanne, et Marie, la mère de l’apôtre Jacques. Elles étaient trois à l’aube de ce matin qui ressemblait à tous les autres matins, dans la ville sainte ensommeillée. Trois ombres craintives, accablées par la mort de celui qu’elles avaient suivi jusqu’au Calvaire. Mais surtout trois femmes déconcertées par la disparition du corps de celui qu’elles venaient voir une dernière fois afin de l’embaumer.

En soumettant ces faits au jugement de l’histoire ou à l’enquête judiciaire, une conclusion s’impose d’elle-même : le corps ne fut jamais retrouvé, il fut sans doute enlevé par ses partisans. Le dossier est clos ! Pourtant, la suite de l’histoire a de quoi étonner et c’est sans doute ce qui permet d’affirmer que nous sommes devant la disparition la plus spectaculaire de tous les temps.

Alors que Jérusalem cherchait à oublier les événements de la veille, et qui pourtant marqueront à jamais sa destinée; alors que les Apôtres eux-mêmes croyaient que ces femmes radotaient, un constat s’impose : la nouvelle incroyable se répandra avec la vitesse de l’éclair et, bientôt, elle embrasera tout le bassin de la Méditerranée. Il n’y a plus place ici pour l’observateur impartial, le journaliste ou l’historien. De ce matin semblable à tous les autres matins, jaillit l’extraordinaire nouvelle du matin de Pâques.

Pourtant, l’expérience du tombeau vide n’explique en rien la foi des disciples du Christ. Ce serait là un bien faible appui sur lequel miser sa vie. L’événement est d’un autre ordre. Le tombeau vide n’est qu’un signe avant-coureur qui prépare les Apôtres à une rencontre avec le Ressuscité où la foi seule est sollicitée. La résurrection du Seigneur Jésus, qu’annoncent les anges, est la réalisation d’une promesse longtemps attendue, où Dieu affirme que la vie est plus forte que la mort, que le vivant, en commençant par le Christ, n’a pas sa place dans les tombeaux de ce monde, dans le tombeau de la mort.

Chacun et chacune de nous, nous sommes venus au Christ par des chemins tout aussi différents que nous le sommes les uns des autres. C’est une recherche commune qui nous unit et parce que nous croyons ensemble en Église, nous ne cessons d’approfondir le don que Dieu nous fait en Jésus Christ et nous ne cessons de nous en émerveiller. C’est tout le sens de cette grande veillée pascale.

Mais il y a bien des manières de s’attacher au Christ et si chacun et chacune de nous pouvait prendre la parole ce soir, nous serions émerveillés par la diversité de nos cheminements et de nos raisons de croire. Écoutons quelques témoignages .

« Si je suis ici ce soir, c’est que j’ai trouvé en Jésus un homme qui a vécu et parlé de la vie comme nul autre. Il se dégage une telle force dans sa manière de me montrer le chemin qui mène à Dieu, que je crois en sa parole. »

« Si je crois au Christ, c’est que le témoignage de sa vie s’est imposé à moi. Si la vie a un sens, si elle vaut la peine d’être vécue, c’est de donner sa vie comme Jésus l’a fait. Voilà ce qui me fait vivre, et, pour moi, il n’y a pas de plus grand maître sur cette route que le Seigneur Jésus. »

« Si je suis ici ce soir, c’est peut-être parce qu’à force de méditer les évangiles, et de tenter de les vivre dans mon quotidien, je me suis attaché à cet homme Jésus. Comme si tout à coup, cet inconnu de la Galilée, m’était devenu proche. À travers son message d’amour et de pardon, la vie de cet homme s’est mise à compter pour moi. Je me suis surprise à l’aimer, à être touchée par son combat, comme si sa lutte était devenue la mienne. »

« Si je crois au Christ, c’est qu’en cheminant avec des chrétiennes et des chrétiens, en approfondissant ma vie de prière, en me nourrissant des sacrements, Jésus est devenu une présence vivante en moi, dont je ne pourrais plus me passer. Comme si la foi en Jésus et en sa parole, me faisait vivre à mon tour ce qu’ont vécu tous ceux et celles qui l’ont suivi avant moi : ce sentiment d’être aimé par lui, accueilli avec mes rêves et le poids de mes faiblesses. »

« Si je suis ici ce soir, c’est qu’au cœur de l’épreuve et de la maladie, il était le seul en dernier lieu, vers qui je pouvais me tourner dans mon impuissance; et je n’ai pas été déçu. Mystérieusement, le Dieu de Jésus-Christ était au rendez-vous et dans ma prière j’ai trouvé la paix. En dépit de ma souffrance, j’ai trouvé le courage de porter ma croix avec lui. C’est pourquoi je crois en lui. »

Un philosophe grec (Héraclite) disait, il y a déjà 2, 500 ans : « Si tu ne sais pas espérer, tu ne pourras jamais accueillir l’inespéré. » En cette Sainte Vigile, qui est la mère de toutes les vigiles, de toutes les attentes au cœur de la vie des hommes, nous proclamons que l’inespéré s’est fait chair, que le Fils du Père a habité parmi nous et qu’il a vaincu la mort. La pierre qui retenait la vie a été roulée sur le côté. La vie qui était captive de la mort a été libérée de ses entraves. Et Jésus Christ est devenu notre éternel printemps.

Voilà la foi qui nous rassemble en cette nuit. À la suite de tous ceux et celles qui nous ont précédés dans la foi, nous faisons mémoire de ces trois femmes, à l’aube de ce matin de ce matin de Pâques à Jérusalem, où chantaient tous les matins du monde :

« Pourquoi cherchez vous le vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici, il est ressuscité ! »

La Vie a pris la clé des champs ! Elle va d’ici, de là, se donnant à quiconque veut marcher librement à la suite de cet homme de Galilée, Jésus, Christ et Seigneur, le premier des vivants !

Réjouissons-nous frères et sœurs ! Célébrons ! Rendons grâce à Dieu en cette nuit sainte! Christ est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité ! Amen !

Yves Bériault, o.p.
https://moineruminant.com

Références bibliques :

  • Première lecture « Nous avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts » Ac 10, 34a.37-43
  • Psaume Voici le jour que fit le Seigneur, qu’il soit pour nous jour de fête et de joie ! Ps 117 (118), 16-17, 22-23)
  • Deuxième lecture « Recherchez les réalités d’en haut, là où est le Christ » Col 3, 1-4
  • Deuxième lecture « Purifiez-vous des vieux ferments, et vous serez une Pâque nouvelle » 1 Co 5, 6b-8
  • Évangile « Il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts » Jn 20, 1-9
  • Évangile « Reste avec nous car le soir approche » Lc 24, 13-35

Nous sommes aujourd’hui au cœur même du mystère chrétien : « Vous êtes ressuscités avec le Christ. » (Colossiens 3.1)

Deux lectures évangéliques nous sont proposées par l’Eglise. L’une pour la liturgie du matin, la deuxième pour la liturgie en fin de ce dimanche. Au matin, la lecture nous emmène avec Marie-Madeleine : « Il fait encore sombre. » (Jean 20.1) En fin de journée, les disciples d’Emmaüs voient clair : « Leurs yeux s’ouvrirent ». L’Eglise qui se retrouve dans la chambre haute, celle partie sur le chemin, et celle restée à Jérusalem, toutes deux, réunies dans la foi et la lumière parle à l’unisson de sa joie : « C’est vrai ! Le Seigneur est ressuscité ! »

Leurs yeux et leur cœur se sont ouverts. Le mystère chrétien est essentiellement un mystère de lumière. Cette lumière, dont l’étoile de Bethléem indiquait la naissance, a brillé parmi nous avec une clarté croissante. Les ténèbres du Golgotha n’ont pu l’éteindre. Elle reparaît maintenant parmi nous. Tous les cierges de la nuit pascale allumés durant la liturgie romaine en ont proclamé ce triomphe.

« Jour unique et saint, roi et seigneur des jours, fête des fêtes, solennité des solennités ! » chante la liturgie de l’Eglise d’Orient. Quand le célébrant arrive, tenant un cierge allumé, le chœur chante ce mystère de la lumière divine : «Venez, prenez de la lumière à la lumière sans soir et glorifiez le Christ ressuscité des morts. » C’est pour la même raison qu’au baptême, dans la liturgie romaine, le cierge, remis au nouveau baptisé, est allumé au cierge pascal, qui est le Christ.

JUSQU’AU JOUR SANS DECLIN DE SON ROYAUME

La résurrection physique de Jésus serait pour nous sans valeur si la lumière divine ne resplendissait pas en même temps parmi nous et au-dedans de nous. Nous ne pouvons dignement célébrer la résurrection du Christ que si, dans notre âme, la lumière apportée par le Sauveur, a complètement vaincu les ténèbres de nos péchés.

« Recherchez donc les réalités d’en haut. C’est là qu’est le Christ, assis à la droite de Dieu. Tendez vers les réalités d’en haut, et non pas vers celles de la terre. » (Lecture de saint Paul aux Colossiens, dans la liturgie romaine).

L’Eglise en Orient fait entendre à ses fidèles le début de l’évangile selon saint Jean : « La lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas connue. » Elles ont été impuissantes à maîtriser et à éteindre cette lumière dont nous voyons aujourd’hui le triomphe : « Nous avons vu sa gloire. » (Jean 1.14)

« O Pâque grande et très sainte, ô Christ, Sagesse, Verbe et Puissance de Dieu, donne-nous de communier à toi avec plus de vérité au jour sans déclin de ton Royaume. » Ce canon de Pâques, attribué à saint Jean Damascène, est alors chanté et c’est alors que les fidèles, comme les apôtres au soir de Pâques, se saluent en disant et répétant : « Le Christ est ressuscité ! En vérité, il est ressuscité ! » (Luc 24. 34)

RESSUSCITES AVEC LE CHRIST

Au matin de Pâques, devant le tombeau vide, Pierre et Jean découvrent qu’il fallait que le Christ ressuscite d’entre les morts (Jean 20. 9). Au soir, à Emmaüs, les deux disciples désenchantés et lents à croire, entendent leur compagnon de route leur dire : « Ne fallait-il pas que le Messie souffrît tout cela pour entrer dans sa gloire ? » (Luc 24. 26)

Saint Jean Chrysostome dans son homélie de Pâques qui est lue à la fin de la liturgie de l’Eglise d’Orient rappelle que ceux-là seuls partagent la grâce de la Résurrection du Christ qui ont porté la croix et sont morts avec Lui. Sans la croix, la gloire du Ressuscité ne peut devenir notre part.

Dans le même temps, le Seigneur connaît notre lenteur et la faiblesse de notre foi. Pierre et les autres apôtres participeront à la Passion de leur maître, mais seulement après que la force de sa Résurrection leur aura été communiquée. Notre Seigneur agit de même avec nous. Malgré tout ce dont avons souffert et supporté, nous sommes loin d’avoir aidé Jésus à porter sa croix. Nous avons dormi durant son agonie, nous l’avons abandonné, nous l’avons renié par nos péchés multiples.

Et cependant, si peu préparés, si impurs que nous soyons, Jésus nous invite à entrer dans la joie pascale. Le pardon et la vie ont jailli du sépulcre vide. Et le Christ ressuscité surmonte tous les obstacles qui s’interposent entre lui et nous. Le soir de Pâques , il entre dans cette chambre haute dont les portes étaient fermées (Jean 20. 19). Il peut entrer dans les âmes qui jusqu’ici lui sont demeurées closes.

Il nous y apporte son message de miséricorde : « Jésus vint, se tint au milieu d’eux et leur dit : La Paix soit avec vous. » (Jean 20. 19)

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Frères et sœurs, celui ou celle qui aime court. Il court sur les montagnes, il bondit sur les collines, comme le Bien-aimé du Cantique des Cantiques (2, 8). Ainsi court Marie Madeleine, qui « de grand matin, lorsque c’était encore les ténèbres », ne peut plus tenir à la maison, se lève et court au tombeau de Jésus. Elle cherche celui que son cœur aime, dit toujours le Cantique (3, 1). Mais une amère surprise l’attend : la pierre a été enlevée du tombeau. Aussitôt une peur, une angoisse étreignent son cœur. Mille questions, mille soupçons l’assaillent. Alors elle court de nouveau, chez les apôtres, avec cette nouvelle troublante : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé. »

Du coup, la course devient contagieuse. Car elle met en branle même l’Église officielle. Pierre et Jean, les colonnes de l’Église, se mettent à courir à leur tour. Mais c’est une femme qui a suscité leur course, une annonce d’amour angoissé, faite par celle que la tradition chrétienne a nommée « le treizième apôtre » : Marie Madeleine.

Et les voilà, Pierre et Jean, courant eux aussi, chacun à son rythme. Jean, le plus jeune, « courut plus vite ». Il arrive le premier, mais n’entre pas. Il attend avec respect Pierre, le chef de la communauté. Et Pierre scelle de son autorité ce qu’il a vu. Cependant, Pierre ne voit que des objets : les linges, posés à plat, ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus. C’est alors que Jean entre à son tour. Il ne voit rien d’autre que ce que Pierre a vu. Mais son regard est différent. Jean comprend tout de suite, avant même les apparitions du Ressuscité. Clairvoyance des yeux qui aiment : ils voient ce que les autres ne voient pas. Dans les objets muets qui s’offrent à son regard – le tombeau vide, les linges, le suaire – Jean sait reconnaître les signes de la résurrection : « Il vit, et il crut ». Ce n’est pas une  pieuse illusion de l’amour. C’est que l’Esprit saint a illuminé les yeux de son cœur. L’Esprit lui a donné ce regard de foi, ce regard contemplatif, éclairé par la sainte Écriture, qui sait pénétrer au-delà des apparences jusqu’au foyer lumineux du mystère.

Comme l’a écrit Saint-Exupéry dans son si beau conte, Le petit prince : « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. » Oui, ce sont les yeux du cœur qui fondent notre foi. A proprement parler, ce n’est pas un voir, mais un entrevu qui ouvre à la foi. Tout le monde voit. Mais peu savent entrevoir. Entrevoir : voilà le verbe de la foi. Il n’y a pas de preuves, mais seulement des signes, efficaces, fondateurs, sûrs. C’est cela, l’annonce qui fonde notre foi, et que nous avons entendue dans la première lecture, dans les paroles de Pierre au centurion romain : « Celui qu’ils ont supprimé en le suspendant au bois du supplice, Dieu l’a ressuscité le troisième jour…Nous en sommes les témoins que Dieu avait choisis d’avance, nous qui avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts. »

Frères et sœurs, interrogeons nous aussi Marie Madeleine, comme dans la merveilleuse séquence de Pâques Victimae paschali laudes, qui heureusement a été conservée dans le Missel romain. Je cite : « Dis-nous, Marie, qu’as-tu vu en chemin ? » En chemin, sur ce chemin où, comme dit toujours la séquence, « la vie et la mort se sont affrontées en un duel prodigieux ; le Maître de la vie, qui était mort, maintenant règne, vivant. » Et Marie Madeleine, qui a assisté à ce duel prodigieux, elle qui était aux pieds de la croix, Marie, qui a un cœur qui aime, proclame dans son chant les signes de la victoire : « J’ai vu le sépulcre du Christ vivant, / j’ai vu la gloire du Ressuscité. / J’ai vu les anges ses témoins, / le suaire et les vêtements. » Ce e sont les mêmes signes qu’a vus l’apôtre Jean, qui court et arrive le premier, parce que, lui aussi, il aime, et il est le disciple que Jésus aimait. C’est pourquoi il vit et il crut, comme Marie, qui conclut ainsi son poème : « Le Christ, mon espérance, est ressuscité ! Il vous précédera en Galilée. »

Et maintenant toute l’Église, chacun de nous, toute la création peut chanter, avec la dernière strophe de la séquence : Scimus Christum surrexisse / a mortuis vere : tu nobis, victor Rex, miserere ! « Nous le savons : le Christ / est vraiment ressuscité des morts. / Et toi, Roi victorieux, prends nous tous en pitié ! » Cette pitié, cette miséricorde implorée par le larron sur la croix, cette miséricorde reçue par le fils prodigue qui revient à la maison, cette miséricorde invoquée silencieusement par la femme adultère devant Jésus qui ne la condamne pas, cette miséricorde qui nous a accompagnés tout au long de ce Carême, maintenant devient victoire et certitude : « Christ est vraiment ressuscité ! ». Amen.

Père Patrick MUGISHO SJ
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J’avoue que je suis toujours un peu déçu le jour de Pâques… avec cette page de l’Évangile de Jean, qui a l’air de mener nulle part. Tellement je m’attendrais, en plein jour de Pâques, à ce que le récit d’évangile nous en mette plein les yeux de ce Ressuscité dont on parle tant ce jour-là. Heureusement, hier soir – dans la nuit – avec S. Luc, et d’autres années avec S. Matthieu ou S. Marc, l’histoire racontée nous en disait plus. Il y avait des anges, et même des fois le Seigneur se montre, il y a de l’action. Il y a ce rendez-vous annoncé en Galilée. Il se passe quelque chose, des émotions, de la peur, de la joie, des discours!

Mais ici ce matin c’est le calme plat. Et c’est toujours comme cela à la messe du jour de Pâques, avec S. Jean – il ne se passe rien. Une seule petite phrase de Marie Madeleine : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a mis. ». Puis c’est le silence.

Bien sûr, il y a la course inégale des deux disciples, Simon Pierre et l’autre – dont on ne nous dit pas le nom – et des constats sur l’état des choses dans le tombeau. Le vide. Les linges. Le silence toujours. Des détails sans importance apparente : un disciple qui court plus vite que l’autre, et qui laisse passer l’autre en premier. Les linges placés comme ceci, comme cela. Et ça semble même finir là. Avec le disciple qui voit et qui croit. Et l’autre – nul autre que Simon Pierre – qui a l’air de ne rien voir. Décevant, vous ne trouvez pas?

Mais c’est peut-être ça la foi de Pâques… Ne pas le voir. Le constater par la négative d’abord. Se trouver devant le vide, devant une énigme, un mystère. Ne pas aller trop vite. Ne pas sauter cette étape de la recherche, de l’exploration, creuser le vide et le silence. Nous préparer l’âme pour accueillir sa divine présence.

Se souvenir de lui, comme le rappelle la 1ère lecture « Qu’il est passé en faisant le bien ». Se dire que beaucoup de disciples l’ont connu en Galilée et en Judée, qu’il s’est, par la suite, manifesté à eux. Qu’ils l’ont vu ressuscité.

Puis se dire comme S. Paul que nous sommes quelque part en nous-mêmes déjà ressuscités avec lui et qu’il faut nous tourner vers cet ailleurs où il est, pour le trouver là, dans les réalités d’en-haut; ne pas nous contenter d’ici-bas; être comme morts avec lui, cachés en lui, avec lui, pour vivre de lui, déjà comme lui.

Il nous est bon de mettre de l’avant cette grande discrétion de Pâques, cette réalité humble et pauvre de notre foi, qui ressemble tellement à ce qu’a été Jésus au milieu de nous, et qui nous garde dans la simplicité, en pèlerinage, témoins de l’absolu de Dieu, du Mystère, d’une divine présence qui ne brise rien, ne casse rien, mais vient doucement, tendrement, puissamment remplir nos cœurs de paix, de lumière, de joie, fruits de notre foi, dons de l’Esprit envoyé vers nous, qui à travers les Écritures et l’impressionnant témoignage de la tradition ecclésiale nous rappelle sans cesse qu’il est vivant, qu’il est venu, qu’il vient, qu’il viendra. Il est là!

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Dimanche de Pâques
Le mystère pascal révèle à l’homme la grandeur de sa vocation

Maurice Zundel

Homélie de Maurice Zundel à N.D. des anges à Beyrouth, le dimanche de Pâques 2 avril 1972

Supposons avec la physique contemporaine que le rayon de l’univers soit de dix milliards d’années-lumière. Supposons que la galaxie la plus lointaine nous envoie aujourd’hui un rayon qui chemine depuis dix milliards d’années-lumière. Cela peut nous donner une idée de l’immensité du monde dans lequel nous sommes un atome, un rien, un zéro, du moins en apparence. En apparence, mais, en réalité, cette immensité du monde, c’est nous qui la calculons, c’est nous qui la reconnaissons et, par-là, nous sommes plus grands que le monde.

Le ver de terre ne connaît que l’espace vital de son petit jardin. L’homme, lui, bien que matériellement il soit un rien dans l’immensité physique de l’univers, c’est pourtant lui qui connaît et qui calcule cette immensité.

C’est pourquoi Pascal a pu dire si profondément et si magnifiquement : « Par l’espace, l’univers me contient et m’engloutit comme un point. Par la pensée, je le contiens » (Br. n° 348). Cet univers qui devient un point dans ma pensée, car dix milliards d’années-lumière je peux les multiplier par mille : ce n’est rien pour mon intelligence que cette opération. Et, plus j’imagine le monde immense, plus ma pensée le domine, plus elle apparaît plus grande que lui, et c’est cela, justement, qui nous passionne, c’est cela qui provoque notre émerveillement, c’est qu’en nous il y a une grandeur telle que rien ne peut la satisfaire, une telle grandeur que tout objet dans le monde est trop petit auprès de l’espace illimité de notre intelligence. C’est de là que jaillit en nous ce désir, ce besoin impérieux d’infini qui nous rassemble aujourd’hui.

Car pourquoi sommes-nous ici ? Non pas pour ressasser de vieilles superstitions, non pas pour obéir à une tradition de tribu. Nous sommes ici pour apprendre notre vocation d’infini et pour l’accomplir. Car Jésus est venu précisément pour répondre à cette soif d’infini qui nous dévore, Jésus, c’est-à-dire Dieu parmi nous, Jésus, c’est-à-dire Dieu au cœur de notre Histoire, c’est-à-dire Jésus au centre de notre vie.

Que vient-Il faire, sinon nous apprendre, nous révéler que, en effet, pour Dieu, le poids de notre vie, c’est Dieu lui-même ? Or toute la Création que nous venons de vivre, tout ce mystère adorable exprimé dans des mots ineffables, toute cette Passion, qu’est-ce qu’elle veut dire ? Elle veut dire que l’homme aux yeux de Dieu égale Dieu, parce que, justement, Dieu nous aime au point de vouloir nous communiquer Sa Vie, au point de vouloir satisfaire en nous ce besoin d’infini en nous communiquant Sa Présence et Sa Vie.

C’est cela dont nous avons besoin de prendre conscience. Vous chantez le Seigneur, vous Le chantez avec allégresse, vous le chantez magnifiquement le dimanche soir. Mais votre vie est-elle une découverte et une création ? Votre vie a-t-elle pris conscience de son immensité ? Avez-vous retenu que vous êtes unique, chacun d’entre vous ? Et que chacun de vous est indispensable à l’équilibre du monde ? Car chacun de nous est irremplaçable.

Quand vous rentrez dans une chambre, votre présence n’est pas neutre, votre présence détermine un courant, un courant de vie ou un courant de mort, un courant de lumière ou un courant de ténèbres, mais votre présence change quelque chose à l’atmosphère, change quelque chose à l’univers et c’est parce que vous avez en vous cette capacité, c’est parce que vous avez en vous cette vocation de grandeur que le Christ est venu, qu’Il vient toujours, qu’Il vous aime d’un amour infini, qu’Il a jeté dans la balance Sa propre vie pour faire contrepoids à la nôtre.

Il n’y a là aucun doute que l’aventure humaine, celle à laquelle vous croyez, celle dans laquelle vous espérez, celle à laquelle vous voulez vous consacrer avec toute la passion de votre jeunesse, il n’y a aucun doute que cette aventure, elle s’accomplit d’abord en vous. C’est dans le secret de votre vie, c’est dans l’intimité de vos choix, de vos décisions, de vos affections, que vous réalisez votre vocation d’homme, c’est-à-dire votre vocation de créateur et de fils de Dieu.

Rappelez-vous le grand mot de Saint Paul, si émouvant, si admirable de l’Epître aux Romains : « La Création toute entière gémit, elle est dans les douleurs de l’enfantement parce qu’elle a été soumise, malgré elle, par l’homme à la vanité et la Création toute entière attend la révélation de la gloire des fils de Dieu » (Rm 8:19-22) Cela veut dire que la Création toute entière vous attend, car c’est en vous que doit se manifester la gloire des fils de Dieu.

N’est-ce pas une aventure digne de solliciter votre enthousiasme, digne de mettre en mouvement tout votre esprit d’aventure, toute votre puissance d’aimer ? Le monde entier est remis entre vos mains, le monde entier vous attend, non pour une action extérieure, qui est sans doute nécessaire, mais toujours limitée, mais pour une action sans limite et proprement infinie, qui jaillit de notre pensée et qui est le don de notre cœur.

Nous ne serions là ni vous ni moi si nous ne croyions pas à cette immensité : comme notre foi en Dieu, c’est aussi au même degré une foi en l’homme, car où trouver Dieu dans une expérience humaine, sinon dans un homme transformé, dans un homme délivré de ses limites, dans un homme qui est devenu un espace illimité de lumière et d’amour.

Le Mystère Pascal, justement parce qu’il inspire nos vies, le temps du Christ parce qu’il résulte de cette équation sanglante inscrite dans l’Histoire par Jésus : aux yeux de Dieu, l’homme égale Dieu, le Mystère Pascal nous appelle à réaliser notre grandeur, Il nous appelle à être vrai, à ne pas tricher, car c’est cela qui est l’opposé même de la grandeur : tricher avec soi-même, tricher dans sa solitude, tricher dans sa pensée, tricher dans ses amours. Mais celui qui dit la vérité dans son cœur, celui-là gravit la Montagne de Dieu ou plutôt il devient lui-même la Montagne de Dieu, il devient le phare qui éclaire toute l’humanité.

Einstein, ce grand génie, qui a révolutionné la physique dans tant de domaines et qui avait un sentiment d’humilité si profond, a écrit : « Devant l’univers, celui à qui le sentiment religieux est inconnu et qui n’est pas frappé de respect, est comme s’il était mort. » Einstein disait cela devant l’univers, devant cet univers à travers lequel il atteignait cette Vérité Infinie qui nourrissait son génie. Que dire devant ce qui est infiniment plus grand que l’univers, c’est-à-dire devant notre vie elle-même ?

Oui, le grand sanctuaire de Dieu, c’est nous-mêmes parce que c’est de nous-mêmes que doit partir ce rayonnement qui va transfigurer tout l’univers. Il s’agit donc pour nous de prendre conscience de cette vocation, d’entrer dans notre grandeur et de donner comme un aimant et à notre vie, et à toute notre vie, et à toute la Création, cet infini qui est le Dieu Vivant caché au plus profond de notre cœur et qui nous attend et qui nous envoie pour rendre la vie plus belle et l’humanité plus heureuse.

Hâtons-nous dans l’allégresse à la rencontre du Seigneur Ressuscité en Lui rendant grâce de ce qu’Il nous ait révélé notre grandeur en nous communiquant la Sienne, en nous rappelant ce grand mot de Saint Jean de la Croix : « Une seule pensée de l’homme est plus grande que tout l’univers. Il n’y a que Dieu qui soit digne de la remplir. »

Edité dans Vie, mort, résurrection p. 143
Publié par les Editions Anne Sigier – Sillery

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