CÉLÉBRATION DU DIMANCHE DES RAMEAUX
ET DE LA PASSION DU SEIGNEUR  – C
Luc 19,28-40

Luc 22,14-23,56


Mosaico di Teodora, Basilica di San Vitale a Ravenna

Références bibliques :  

  • La bénédiction des Rameaux :
    Evangile selon saint Luc : 19. 28 à 40 : “Ils se mirent à louer Dieu à pleine voix.”

Liturgie de la Parole :

  • Livre d’Isaïe : 50. 4 à 7 : “Je sais que je ne serai pas confondu.”
  • Psaume 21: “Tu m’as répondu. Je proclame ton nom devant mes frères.”
  • Lettre de saint Paul aux Philippiens : 2. 6 à 11 : “Jésus-Christ est le Seigneur pour la gloire de Dieu le Père.”
  • Passion selon saint Luc : 22. 14 à 23. 56 :” Que ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la tienne.”

Cette semaine commence par la procession festive avec les rameaux d’olivier : tout le peuple accueille Jésus. Les enfants, les jeunes gens chantent, louent Jésus.

Mais cette semaine avance dans le mystère de la mort de Jésus et de sa résurrection. Nous avons écouté la Passion du Seigneur. Il sera bon de nous poser seulement une question : qui suis-je ? Qui suis-je, devant mon Seigneur ? Qui suis-je, devant Jésus qui entre en fête à Jérusalem ? Suis-je capable d’exprimer ma joie, de le louer ? Ou est-ce que je prends de la distance ? Qui suis-je, devant Jésus qui souffre ?

Nous avons entendu beaucoup de noms, beaucoup de noms. Le groupe des dirigeants, quelques prêtres, quelques pharisiens, quelques maîtres de la loi, qui avaient décidé de le tuer. Ils attendaient l’opportunité de le prendre. Suis-je comme l’un d’eux ?

Nous avons entendu aussi un autre nom : Judas. Trente pièces de monnaie. Suis-je comme Judas ? Nous avons entendu d’autres noms : les disciples qui ne comprenaient rien, qui s’endormaient alors que le Seigneur souffrait. Ma vie est-elle endormie ? Ou suis-je comme les disciples, qui ne comprenaient pas ce qu’était trahir Jésus ? Comme cet autre disciple qui voulait tout résoudre par l’épée : suis-je comme eux ? Suis-je comme Judas, qui fait semblant d’aimer et embrasse le Maître pour le livrer, pour le trahir. Suis-je un traître ? Suis-je comme ces dirigeants qui en hâte font un tribunal et cherchent de faux témoins : suis-je comme eux ? Et quand je fais ces choses, si je les fais, est-ce que je crois que par là je sauve le peuple ?

Suis-je comme Pilate ? Est-ce que quand je vois que la situation est difficile, je me lave les mains et je ne sais pas assumer ma responsabilité et je laisse condamner – ou je condamne – les personnes ?

Suis-je comme cette foule qui ne savait pas bien si elle était dans une réunion religieuse, dans un jugement ou dans un cirque, et choisit Barrabas ? Pour eux c’est la même chose : c’était plus divertissant, pour humilier Jésus.

Suis-je comme les soldats qui frappent le Seigneur, lui enlèvent ses vêtements, l’insultent, se divertissent par l’humiliation du Seigneur ?

Suis-je comme le Cyrénéen qui revenait du travail, fatigué, mais qui a eu la bonne volonté d’aider le Seigneur à porter la croix ?

Suis-je comme ceux qui passaient devant la croix et se moquaient de Jésus : « Il était si courageux ! Qu’il descende de la croix et nous croirons en lui ! » Se moquer de Jésus…

Suis-je comme ces femmes courageuses, et comme la Maman de Jésus, qui étaient là et souffraient en silence ?

Suis-je comme Joseph, le disciple caché, qui porte le corps de Jésus avec amour, pour lui donner une sépulture ?

Suis-je comme les deux Marie qui demeurent devant le sépulcre pleurant, priant ?

Suis-je comme ces chefs qui le lendemain sont allés chez Pilate pour dire : « Regarde ce que celui-ci disait, qu’il ressusciterait. Qu’il n’y ait pas une autre tromperie ! », et ils bloquent la vie, ils bloquent le sépulcre pour défendre la doctrine, pour que la vie ne sorte pas ?

Où est mon cœur ? A laquelle de ces personnes je ressemble ? Que cette question nous accompagne durant toute la semaine.

Rameaux 2014

Ce ne sont que quelques suggestions plutôt que de commenter longuement ce mystère de la Passion qui, durant une semaine, va marquer la liturgie quotidienne jusqu’au jour de joie de la Résurrection de notre Sauveur et Seigneur Dieu, Jésus-Christ. Chacune de ces suggestions sont déjà, à elle seule, une homélie ou un temps de méditation.

L’ENTREE DANS JERUSALEM

Jésus la veut toute simple, tout en lui donnant toute sa signification messianique. Par contre, la foule qui vient de Galilée et de plus loin sans doute pour la fête de la Pâque, se réjouit avec exubérance. C’est bien une entrée messianique qui reprend les paroles du psaume qu’avaient entonné les anges dans la nuit de la Nativité : “Gloire à Dieu dans les cieux et paix sur terre aux hommes de bonne volonté.” (Luc 2. 14)

Les pharisiens, quelques-uns précise saint Luc, peuvent critiquer l’enthousiasme de la foule. Jésus, lui, accepte cet enthousiasme qui vient du coeur, même s’il est éphémère.

UN LANGAGE D’HOMME

Le passage d’Isaïe est le résumé de toute mission : écouter pour s’instruire, s’instruire pour annoncer : “La Parole me réveille pour que j’écoute, comme celui qui se laisse instruire … Il m’a donné un langage d’homme afin que je sache à mon tour réconforter celui qui n’en peut plus.”

C’est facile à dire, « Je ne suis pas atteint par les outrages. » Ce n’est facile à vivre ni pour le Christ ni pour nous-mêmes. Des oppositions parfois douloureuses arrêtent notre élan. Et pourtant je dois ne pas cesser d’écouter Dieu et les hommes, de m’instruire par Dieu et par les hommes, d’annoncer Dieu aux hommes mes frères.

IL N’A PAS REVENDIQUE

Puisqu’il était devenu « semblable aux homme et reconnu comme tel dans son comportement », Jésus en accepte toute la réalité. Celle d’être traité par le vie, les événements et les hommes, comme tout homme est bousculé et meurtri. Celle de subir la souffrance inhérente à la condition humaine qui est une créature limitée dans le temps, limitée dans son bonheur.

Assumant toute l’humanité, “obéissant jusqu’à la mort”, sauf le péché, il en assume aussi toute la gloire qui est de rejoindre Dieu. Et comme il est de la condition même de Dieu, il partage toute la gloire de l’homme et toute la gloire de Dieu.

AU DEPART DU CHEMIN DE CROIX

Il est caractéristique que, pour cette lecture de la Passion selon saint Luc, l’Eglise place l’Eucharistie du Jeudi-Saint comme point de départ de ce chemin de croix, et non pas le jardin des Oliviers. Car ce chemin est celui-là même du Royaume.

Jésus le précise à ses disciples : “Jusqu’à ce que vienne le règne de Dieu, le royaume de Dieu.” Et pour le condamné sur la croix proche du Christ, l’avènement du Royaume est immédiat : “Quand tu viendras inaugurer ton Règne,” dira le larron à qui Jésus répond : “Aujourd’hui même…”

L’Eucharistie réalise le sacrifice du Seigneur et nous en offre immédiatement les fruits. Nous le disons en chaque célébration “Regarde le sacrifice de ton Eglise et daigne y reconnaître le sacrifice de ton Fils qui nous as rétablis dans ton Alliance”. (Prière eucharistique III) “Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang” dit le Seigneur à ses apôtres.

GETHSEMANI

“Je suis venu pour faire Ta volonté” lui fait dire la lettre aux Hébreux (Héb. 10. 9 et 10) reprenant les paroles des psaumes. Mais elle poursuit et nous inclut dans cette offrande du Christ :”C’est dans cette volonté, c’est dans cette offrande du corps de Jésus, que nous avons été sauvés définitivement.”

Il y a des moments où nos pas dérapent, où nos mains nues lâchent prise, s’écartent ou se referment. Il y a des moments où nos cœurs s’affolent dans les remous d’une vie qui a perdu son sens et des moments où notre esprit s’égare et divague désorienté, quand l’amour se désagrège. Le Christ connaît cela à Gethsémani. Quand il rejoint ses apôtres, il ne peut que constater sa propre solitude :”Pourquoi dormez-vous ? ”

Mais cette solitude ne l’enferme pas sur lui-même. Elle le conduit à une offrande universelle. “Afin que toute langue proclame”, écrit saint Paul aux Philippiens. Parce que vivre est plus fort, je dois sortir de moi et du filet qui m’enserre. Je dois jaillir hors de mes nuits et me tendre vers Dieu pour retrouver, malgré tout, sa lumière.

LE RENIEMENT

Pierre s’était cru fort avec son épée, avec ses propres forces et dans l’enthousiasme de son adhésion au Christ qu’il croyait totale. Et voilà qu’il se retrouve lui-même avec lui-même :“Je ne le connais pas, je ne vois pas ce que tu veux dire.” Il sait très bien ce que veut dire son interlocuteur.

Et c’est un coq, petite bestiole qui ignore le rôle qu’il tient à ce moment, qui retourne Pierre vers Jésus, ce Pierre qui pendant plus d’une heure était resté avec son premier reniement et sa peur.

Le maître n’était plus là pour lui tendre la main comme au jour où il s’enfonçait dans la tempête en marchant sur le lac. Et voilà que le Christ se rappelle à lui, quand il passe, se retourne et pose son regard sur lui, non pas un regard furtif, mais « posé ». “Pierre se rappela la parole que Jésus lui avait dite.

Laissons le Christ poser son regard sur nous, dans l’authenticité de son amour miséricordieux qui dépasse toutes nos faiblesses.

C’EST TOI QUI LE DIS

Les chefs juifs interrogent Jésus qui les renvoie à leur propre responsabilité et à leur propre décision :”Si je vous le dis, vous ne me croirez pas. Si j’interroge, vous ne me répondrez pas.” Il oblige Caïphe à poser lui-même l’affirmation sans qu’il puisse se dérober : “Tu es donc le Fils de Dieu ?” – Jésus n’a qu’à souligner “C’est toi qui le dis”.

Saint Jean fait remarquer que c’est en tant que grand prêtre de l’année qu’il prononce cette affirmation. Selon la loi, une déclaration solennelle du grand-prêtre en exercice donnait valeur décisive à une affirmation religieuse.

Avec Pilate, nous quittons le registre religieux du « Fils de Dieu », pour nous situer dans celui de la politique :”Es-tu le roi des Juifs ?” Mais Jésus reprend la même attitude et le même comportement :” C’est toi qui le dis.” Les deux gouvernants de la région vont s’entendre : Pilate le gouverneur romain de la Judée et Hérode le roi de Galilée.

Il nous demande de répondre à la même question, celle-là même qu’il a posée à ses disciples : « Et pour vous qui suis-je ? »

IL N’A PAS REVENDIQUE

Désormais, Jésus assume son identité avec tant et tant d’hommes rejetés et méprisés. Il est livré au bon plaisir de ses ennemis, mis en marchandage avec un assassin, chargé de la croix douloureuse et infamante de l’esclave, homme humilié au point de n’être plus respecté, homme au corps dégradé, titubant, écrasé et sans force pour porter cette croix.

Il ne revendique rien pour lui, ni devant la brutalité des gardes, ni devant les pleureuses aux larmes inutiles, ni même devant Simon de Cyrène contraint de partager, sans en savoir le sens, ce portement de croix, ni envers ceux qui ricanent, ni en réponse aux soldats qui lui tendent l’éponge vinaigrée. D’ailleurs pourraient-ils comprendre ? Trois années de prédications, de miracles et de proximité avec les malades et les pauvres ne leur ont pas fait découvrir la personnalité de ce Jésus.

Comme à Gethsémani, il est seul avec son Père et ne revendique qu’une chose : que soit accordé le pardon à tous ceux qui l’entourent parce qu’il vient l’apporter à tous les hommes :”Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font.”

UN DIALOGUE INATTENDU

A côté de lui, ils sont deux, crucifiés dans la même honte, dans la même souffrance. Il entend leur dialogue où l’un d’eux ricane et l’autre reconnaît sa faute : “Nous avons ce que nous méritons”, comme nous le disons au seuil de chaque Eucharistie :” Je reconnais devant mes frères que j’ai péché.” – “Souviens-toi de moi… “ dit le bon larron; et nous, nous demandons à nos frères “de prier pour moi, le Seigneur notre Dieu.”

La réponse de Jésus est immédiate :“Tu seras avec moi dans le Paradis.” Dans un moment où les mots sont difficiles à dire parce qu’il est brisé lui aussi par la torture, le bon larron avait proclamé à sa manière que Jésus était le Seigneur. “Afin que toute langue proclame que Jésus-Christ est le Seigneur”, dit saint Paul dans la lettre aux Philippiens.

OBSCURITE ET DECHIRURE

“L’obscurité se fit jusqu’à trois heures… Le voile du Temple se déchira”. Le Christ a remis son esprit entre les mains de son Père et chacun désormais, sans se douter qu’il est acteur dans l’attente de la Résurrection, accomplit ce qu’il est en mesure de donner en réponse à tant d’amour.

Le centurion rend gloire à Dieu. La foule sent le besoin de se faire pardonner et se frappe la poitrine en rentrant célébrer la Pâque. Joseph d’Arimathie décide de lui-même d’aller trouver Pilate et ensevelit le corps de celui dont il est le disciple. Les saintes femmes s’en retournent chez elles préparer les aromates pour le lendemain de la Pâque.

Les lumières de ce sabbat de Pâque commencent à briller. Mais c’est encore l’obscurité.

La gloire de Dieu sera lumière au matin de la Résurrection quand la pierre du tombeau s’écarte comme s’est déchiré le voile du Temple.

Au soir de la résurrection, il viendra parmi eux, partager le pain sur la route d’Emmaüs, partager un morceau de poisson grillé (Luc 24. 42). Il leur avait dit au soir du Jeudi-Saint :” J’ai ardemment désiré manger cette Pâque avec vous avant de souffrir. Jamais plus je ne la mangerai jusqu’à ce qu’elle soit pleinement réalisée dans le Royaume de Dieu.” Le Royaume est commencé.

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Il nous faut être bref… Nous avons mis beaucoup de temps sur la Parole jusqu’ici.

La liturgie nous a fait vivre les choses en contraste depuis le début, avec ce passage abrupt du triomphe de Jésus, entrant à Jérusalem acclamé par les foules, à la plus désolante situation où il est arrêté, mis en prison, conduit, au terme d’un procès dérisoire et par des atrocités innommables, jusqu’à la crucifixion qui le fait mourir.

C’est un peu comme lorsqu’au milieu d’un grand succès, ou d’une belle fête, nous sommes rejoints par l’annonce d’un grand malheur, frappés d’une immense tristesse. Nous connaissons bien ces deux excès : quand l’expérience d’un parfait bonheur fait place soudainement au plus grand malheur, une chose qui arrive chez nous parfois, ou bien autour de nous, ou ailleurs dans le monde.

Ce qui me touche et m’impressionne dans le récit de saint Luc, c’est cette attitude et cette manière étonnante que Jésus nous révèle quand il est aux prises avec toutes les menaces et tous les sévices qui pèsent sur lui. Sans que rien ne soit caché ou diminué de la cruelle réalité de ses souffrances, il se tient en contrôle de lui-même, en sérénité profonde et grande charité. Il n’est pas dominé ou vaincu par le mal qui s’acharne contre lui. Il démontre au contraire plein d’amour, de tendresse même en ces circonstances extrêmes et tellement pénibles. Ses paroles sont comme autant de baumes ou de beauté qu’il apporte sur un parcours effrayant. Comme des étoiles qui brillent dans une nuit obscure…

C’est que déjà la lueur de Pâques apparaît dans le récit de Luc, l’amour du Père dans le cœur de Jésus. Nous vivons ensemble une relecture des actes qui nous sauvent. C’est ainsi que l’espérance nous est donnée avec la charité du Christ au cœur même de ses souffrances et de sa détresse.

Jésus nous apprend à composer nous aussi avec les contrariétés et la souffrance, et à les faire servir, à les tourner en un chemin de paix et d’amitié, d’humilité et de pardon. Voilà une leçon bien audacieuse peut-être pour nos vies tourmentées, plus souvent portées à la révolte.

Mais si nous allions notre passion avec le Christ, lui confiant dans la foi nos malheurs et notre peine, marchant avec lui, pour déjà avoir part à la puissance de sa résurrection, qui vient après, bien sûr, mais qui déjà porte ses fruits en nous de liberté, de paix et d’amour… à toute épreuve!

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Toute cette semaine, nous sommes invités à revivre la Passion du Christ et à nous demander quelle signification ces événements peuvent avoir pour nos vies. Dans quel état d’esprit devons-nous lire ou écouter le récit de la Passion ? À chacun de répondre à cette question, selon ce que la vie lui donne à vivre en ce moment. Laissons ces paroles pénétrer en nous. Nous sommes là au sommet de la Révélation. C’est là en effet que nous apprenons l’ultime vérité sur Dieu, et donc sur l’homme, qui ne peut exister pour de bon qu’en étant son image. Cette vérité couronne tout le message évangélique, tout ce que Jésus a fait et enseigné mais que la plupart des témoins, aveugles et sourds, ont refusé de voir et d’entendre. Cette vérité de Dieu et de l’homme, nous la trouvons énoncée aux versets 24-27 de ce chapitre 22 de saint Luc : Jésus se tient au milieu de ses disciples comme celui qui sert à table. Que va-t-il donner à manger et à boire ? Sa chair et son sang, comme il vient de le signifier en leur donnant le pain et la coupe de vin. La nourriture qui les maintiendra en vie, c’est lui-même. Pour nous, ce don est devenu un « sacrement ». Pour Jésus, il va passer par une série d’événements dont la cruauté nous échappe, peut-être en raison de l’habitude, sûrement parce que nous avons du mal à regarder en face le dévoilement de notre vérité et de la vérité de Dieu. De la Croix, nous avons fait un bijou.

Les deux lignes

S’appuyant sur des promesses « divines » et des prophéties exprimées dans le langage des symboles et des paraboles, la plupart des contemporains de Jésus, y compris les disciples, attendaient l’avènement d’un royaume indépendant, pourvoyeur de prospérité et de richesses. Cet espoir parcourt toute la Bible et exprime la nostalgie de la période, idéalisée, des règnes de David et de Salomon. Or on n’est parvenu qu’à la déportation et à l’occupation étrangère. Beaucoup sont alors passés à une autre conception du Royaume attendu, comme présence intérieure de Dieu. La foule qui accueille Jésus aux portes de Jérusalem en est certainement restée à la première forme d’espérance. Les apôtres eux-mêmes ne demanderont-ils pas à Jésus, après la Résurrection, si c’est en ces temps-ci qu’il va rétablir la Royauté en Israël ? Il faudra la venue de l’Esprit pour qu’ils entrent dans la perspective du Royaume non plus de la terre mais des cieux. Chaque fois que nous attendons de Dieu des avantages matériels, nous retombons dans la première attente, que la Croix vient démentir et remplacer. C’est en effet à la Pâque du Christ que nous apprenons ce que nous sommes et jusqu’où va l’amour de Dieu pour nous. La Croix est révélation de l’amour sans limite et la Résurrection nous dit que la mort n’a pas le dernier mot. Entrer dans le Royaume, est entrer dans l’aire de la vie, et seule se sauve la vie qui se donne.

La plénitude de l’amour

D’un côté, l’ambition de décider ce qui est bon et ce qui est mauvais, pour soi-même et pour les autres, la recherche de notoriété, la volonté de puissance, le culte de l’argent, l’ambition de la première place. À l’opposé, le choix de se faire « serviteur » jusqu’à donner sa vie. Telle est la différence entre la « folie » et la « Sagesse » au sens biblique. Pour les « insensés », donner sa vie est folie. Paul dira que la Croix est folie pour les païens et scandale pour les juifs (1 Corinthiens 1,23). C’est « par envie » que les responsables de Jérusalem ont envoyé Jésus à la mort (Matthieu 27,18). L’envie-jalousie est meurtrière. Cette mort que l’on décide de lui donner, Jésus, en fin de compte, la choisit librement : « Ma vie, personne ne peut me la prendre, je la livre de moi-même » (Jean 10,18). Il rejoint toutes les victimes de nos convoitises meurtrières. Ainsi se manifeste la toute-puissance de Dieu, capable d’aborder de front notre mal, de le prendre sur lui et de le surmonter. Nos méfaits n’ont pu provoquer de sa part qu’un surcroît d’amour. La réflexion sur la logique divine de l’amour ne doit pas nous empêcher de regarder ce que les évangiles nous donnent à voir, d’écouter les paroles prononcées, de soupeser les silences. Certes les évangélistes sont très sobres dans leurs descriptions, ils ne s’attardent pas sur ce que Jésus ressent. Nous savons qu’à Gethsémani il a eu un mouvement de recul. À Gethsémani seulement ? La crucifixion est quelque chose d’horrible. Jésus est passé par là. L’amour n’a pas de limite.

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Cette année c’est le récit de la passion et de la mort du Seigneur par l’évangéliste Luc (Évangile), qui marque notre entrée dans la Semaine Sainte. La grande semaine de l’Amour qui atteint ses extrêmes limites (Jn 13,1). Cette passion ne se limite pas à des événements du passé: ceux-ci étant à l’ordre du jour encore aujourd’hui. Les personnages de l’époque (Caïphe, Hérode, Pilate, les pharisiens, les prêtres, Pierre, Judas, le Cyrénéen, les femmes de Jérusalem, les soldats, le centurion, Joseph d’Arimathie…) ne sont que des exemples de tout ce qui se passe aujourd’hui à l’égard de Jésus Christ et de tous ceux qui souffrent, puisque Jésus s’identifie à eux (Mt 25,35ss). Toute personne humaine peut se trouver aujourd’hui, en bien ou en mal, à occuper la place de l’un ou l’autre des personnages de la passion de Jésus. On peut reproduire, par exemple, le rôle des femmes de Jérusalem, qui accompagnent Jésus dans la souffrance et le deuil. On peut suivre l’exemple du Cyrénéen, qui se charge du poids des autres. Ou encore être avec Marie aux pieds de la croix.

Trois témoins du monde missionnaire moderne peuvent nous aider à comprendre et à célébrer le Mystère pascal de cette Semaine Sainte. Leur parole est le fruit de leur expérience personnelle d’identification avec le Christ mort et ressuscité. C’est aussi la raison qui fait que ces témoignages jouissent d’une résonance universelle: ils nous aident à vivre Pâques dans la plénitude et dans la profondeur du cœur du Christ.

Les yeux toujours fixés sur Jésus Christ”

St. Daniel Comboni (1831-1881), missionnaire passionné pour le salut de l’Afrique, dans les constitutions de son Institut recommandait vivement aux futurs Missionnaires de se former à «l’esprit de sacrifice», si essentiel à leur vie, en contemplant dans l’amour le Christ crucifié:
«La pensée constamment orientée vers le grand but de leur vocation apostolique doit engendrer chez les élèves de l’Institut l’esprit de sacrifice. Ils acquerront cette disposition plus qu’essentielle en tenant toujours les yeux fixés sur Jésus Christ, en l’aimant tendrement et en s’efforçant de comprendre toujours mieux ce que signifie un Dieu mort en croix pour le salut des âmes. S’ils contemplent avec une foi vive, et s’ils goûtent le mystère d’un si grand amour, ils seront heureux de tout perdre et de mourir pour Lui et avec Lui».
(Des Écrits de D. Comboni, n. 2720-2722).

J’ai soif!”

Le dévouement total de la Bse. Mère Thérèse de Calcutta (1910-1997) à la cause missionnaire trouva son origine dans la contemplation des paroles de Jésus sur la croix: “j’ai soif!”. Son attention portée aux derniers dans l’échelle sociale trouvait son origine dans son désir d’éteindre la soif du Christ.
«‘J’ai soif!’ dit Jésus quand, sur la croix, il était privé de toute consolation. Renouvelez votre zèle pour éteindre sa soif dans la douleur des plus pauvres parmi les pauvres: ‘C’est à moi que vous l’avez fait’. Ne séparez jamais ces paroles de Jésus: ‘J’ai soif’ et ‘c’est à moi que vous l’avez fait’.
(Des écrits de Mère Thérèse de Calcutta).

Célébrer Pâques avec un “cœur grand aux dimensions du monde”

C’est l’enseignement de Mgr. Oscar Arnulfo Romero (1917-1980), archevêque de San Salvador, assassiné au moment même de célébrer l’Eucharistie: c’était dans l’après-midi du 24 mars 1980.
«Le seul à pouvoir célébrer la Pâques avec le Christ sera celui qui sait aimer, qui sait pardonner, et qui est donc en mesure de mettre en œuvre la plus sublime des forces que Dieu a su mettre dans le cœur de l’homme: la force de l’amour. L’Église sent que son cœur est comme celui de Marie, grand comme le monde, sans avoir d’ennemis, sans porter de rancune».
(De la catéchèse de Mgr. Oscar A. Romero, dans la Semaine Sainte 1978).

Les larmes de Jésus
Maurice Zundel

Homélie de Maurice Zundel à Lausanne le dimanche des Rameaux. Evangile : Luc 19 :41-44.

L’entrée messianique de Jésus à Jérusalem appelée communément le jour des Rameaux est au centre des Évangiles. Vous vous rappellerez cette scène : Jésus descend du Mont des Oliviers. Il a devant lui toute la ville de Jérusalem, il a devant lui le Temple dans sa toute splendeur qui éclate au soleil. Et il pleure sur cette ville dont il prévoit la ruine et l’entière destruction.

Ces larmes de Jésus nous touchent d’autant plus que nous sommes ici au jour des Rameaux, ce jour auquel nous associons une sorte de triomphe du Seigneur. Et nous voyons que Jésus n’en est pas dupe ; que, à quelques jours de sa Crucifixion qu’il envisage, car il porte toute l’humanité, toute l’Histoire, tout l’univers, à la lumière de cette Révélation formidable qui va faire de la mort de Dieu une affirmation de sa toute-puissance.

Saint Luc avait déjà rapporté cette immense douleur du Christ devant l’ingratitude de Jérusalem : « Toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés, que de fois j’ai voulu rassembler tes enfants à la manière dont une poule rassemble sa couvée sous ses ailes… et vous n’avez pas voulu ! » (Lc 13, 34). Jésus à pleuré sur Jérusalem dans l’Évangile de ce jour (Lc 19, 41) et ses larmes sont une profonde révélation sur: « Qui est Dieu ? » Jésus a pleuré sur Jérusalem !

Mais comment Dieu peut-il pleurer et qu’est-ce que cela veut dire ? Est-ce que l’on ne nous rabat pas les oreilles de la toute-puissance de Dieu ? Est-ce que Dieu ne pouvait pas transformer cette ville, est-ce qu’il ne pouvait pas l’obliger à le reconnaître ? Est-ce que sa toute-puissance n’était pas capable de faire un miracle, de ressusciter « les vivants et les morts » ?… j’entends : les précipices de l’ombre de la mort spirituelle dans laquelle tous étaient plongés.

Eh bien, non justement, ce que Jésus vient révéler au monde, c’est l’échec de Dieu, c’est-à-dire que Dieu se révèle en Jésus-Christ comme l’Amour qui n’est qu’amour. Et que peut l’amour ? Aimer, un point, c’est tout ! Et quand l’amour ne rencontre pas l’amour, quand il cherche et se brise, rencontre un refus obstiné d’amour, il ne peut être, par excellence et Dieu, Dieu précisément meurt de tous nos refus d’amour et c’est ce que signifie dans l’Histoire, ce que dit dans l’Histoire la mort de Jésus-Christ.

L’Évangile en ce jour est comme un sursis, comme une progression toujours plus tragique vers la défaite et vers l’échec. C’est par-là que Jésus vient nous délivrer d’un dieu qui serait uniquement pour nous une limite et un scandale, d’un dieu qui voudrait nous plier à ses lois d’une manière arbitraire. Jésus nous a révélé dans sa personne, dans son Agonie, dans sa mort, dans son immense Amour, il nous a révélé un Dieu intérieur à nous-même et qui ne peut que nous aimer, en nous attendant infiniment, en nous attendant éternellement, en nous attendant au plus intime de nous-même.

Si Dieu n’est pas un autre dieu, alors tous nos rapports avec lui sont changés – puisque sa toute-puissance n’est plus que la toute-puissance de l’Amour, qui est par là même illimitée – par les refus d’amour que nous venons lui opposer. Alors le salut du monde se comprend mille fois mieux. Il serait scandaleux que Dieu soit quelqu’un qui jouisse de son bonheur, qui soit dans une gloire non troublée, en qui tout se passe merveilleusement et que le monde soit dans la situation où il se trouve.

Il est évident que la vision d’aujourd’hui est la vision de saint Paul voyant dans ce monde où nous sommes, un monde embryonnaire, un monde en sursis, un monde incomplet, un monde qui aspire à être, un monde qui est dans les douleurs de l’enfantement. Et, dans ces douleurs, il y a d’abord et au premier plan, la douleur de Dieu (Rm 8, 22).

Si Dieu n’était pas engagé dans notre destinée, engagé dans notre Histoire jusqu’à la mort de la Croix, il serait un Dieu incompréhensible et scandaleux. Jésus nous a délivrés, par bonheur, de ce scandale. Jésus a ouvert les yeux de notre cœur. Jésus inscrit dans le plus profond de notre âme ce visage d’un Dieu silencieux, d’un Dieu incapable de nous contraindre, d’un Dieu qui se remet entre nos mains, d’un Dieu qui nous fait un crédit insensé. Un Dieu, finalement, qui ne peut entrer dans notre Histoire que par le consentement de notre amour.

Bien sûr que cela reste pour nous des mots. Nous sommes tellement loin, tellement loin de la réalité, tellement loin de nous-même et tellement loin de Dieu, que les larmes de Jésus nous paraissent comme une espèce d’anecdote. Nous ne voyons pas qu’elles sont réellement les larmes de Dieu, nous ne voyons pas que, elles constituent la plus haute Révélation d’un Amour viscéral, d’un Amour qui nous est confié, d’un Amour totalement remis entre nos mains.

Il faut attendre saint François pour nous en convaincre autrement que par des mots lointains et inefficaces ; car saint François, justement, a tellement compris les larmes du Christ, il a tellement compris la douleur de Dieu, qu’il a pleuré vingt ans sur la Passion du Christ jusqu’à en perdre la vue. Voilà un témoignage irréfutable et magnifique, voilà un chrétien qui est allé jusqu’au fond de la Révélation du Christ, voilà quelqu’un pour qui les larmes de Jésus étaient la plus haute Révélation de Dieu.

Il reste à nous ouvrir à ces appels du Seigneur, à prendre conscience que, sans l’aimer, il est en danger continuel de notre fait : il suffit que nous nous fermions aux autres, il suffit que nous soyons complices de notre égoïsme, il suffit que nous soyons distraits volontairement de sa Présence pour que, il soit comme inexistant.

Complètement inutile de parler de Dieu, si nous ne vivons pas de Dieu ! Et si nous en vivons, encore plus inutile d’en parler ! Car justement, toute ma vie suffirait si elle était authentique : elle suffirait comme un témoignage irrécusable.

Mais comment révéler Dieu sinon comme un enfant dans le sillage de Jésus ? Comment révéler Dieu sinon en respirant en nous et dans les autres cette douleur divine qui se traduit dans les pleurs de Jésus ? Un chrétien, ce serait celui qui sentirait à chaque instant que Dieu est en péril et qui, à chaque instant, se porterait au secours de Dieu, en lui et dans les autres et qui s’efforcerait, justement, en dépassant ses propres limites, de faire de sa vie un espace pour recueillir l’éternel Amour. Un enfant peut comprendre cela, un enfant peut comprendre les larmes de Jésus, ces larmes d’amour, ces larmes d’infinie tendresse qui sollicitent notre amour.

Vous vous rappelez ce petit garçon dans le récit du Père George (Le Maquis de Dieu, Editions du Rocher, Monaco, 1952 – p. 175). Ce petit garçon à Moscou sous Staline, alors que les lois inscrites dans la Constitution interdisent l’instruction religieuse sinon dans la famille. Le père George qui se trouve là sous l’habit d’un médecin militaire, le Père George interroge l’un de ces petits garçons qu’il rencontre dans la sacristie d’une église : « Qu’est-ce que tu fais là ? Et qui t’a appris la religion ? – Un des camarades. – Et lui, qui lui a appris, qui lui en a parlé ? – Un de ses camarades, et ce camarade de sa grand-mère. Et voilà, ajoute le petit garçon, nous avons tous pris l’engagement, j’ai cinq doigts à ma main droite, nous avons pris tous l’engagement d’instruire à notre tour, cinq de nos camarades. – Mais, dit le père George, tu n’as pas peur de la police ? Je n’ai pas peur de la police, dit le petit garçon, – mais elle peut te tuer ! – Elle ne pourra jamais tuer ce Christ que je veux laisser vivre en moi. »

En tout homme, il y a un Christ, un Christ qui veut vivre en nous, il y a un Dieu caché au fond de nos cœurs, qui est la lumière du monde et son espérance; encore faut-il que nous le laissions vivre. Et ces larmes de Jésus doivent nous indiquer aujourd’hui devant Jérusalem qui refuse de l’accueillir, devant le monde, ensevelie dans ses ténèbres, dans cet univers de larmes et de sang, que Dieu est la première victime, Dieu nous prend pour passion, Dieu est au cœur de tous les malheurs, par un amour toujours offert et incapable de jamais s’imposer.

Et c’est pourquoi nous pouvons, si vous le voulez, nous pouvons résumer, nous pouvons envisager tout l’Évangile dans la perspective, dans la vision de ces larmes du Seigneur, pleurant sur Jérusalem. Et, si nous avons un cœur sensible, il y aura quelque chose de changé en nous. Si Dieu est ce Dieu-là, s’il est l’Amour qui n’est qu’Amour, s’il ne peut vivre que sans s’imposer ni nous contraindre, alors il est remis dans notre main, alors il nous a été confié et c’est à nous de nous porter à sa rencontre pour inscrire dans l’Histoire cette Présence après laquelle toute la terre gémit. C’est bien ce qu’écrit le poète d’une façon si profonde, Coventry Patmore lorsqu’il dit : « Qui est l’homme ? Qui est l’homme ? » Et alors il donne cette réponse qui traduit admirablement le mystère des larmes de Jésus-Christ : « Qui est l’homme ? C’est celui qui tient Dieu dans sa main ! »

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