
P. Manuel João, Combonien
Réflexion dominicale
du ventre de ma baleine, la SLA
Notre croix est la chaire de la Parole
Place une sentinelle à la porte de ton cœur !
Année C – Temps Ordinaire – 8e dimanche
Luc 6,39-45 : « L’homme bon tire le bien du bon trésor de son cœur »
Le passage de l’Évangile de ce dimanche, qui est la suite du discours des béatitudes selon Saint Luc, rassemble quelques courtes sentences de Jésus sous forme d’images et de figures opposées : deux aveugles, disciple et maître, toi et ton frère, poutre et paille, bon arbre et mauvais arbre, bon fruit et mauvais fruit, épines et ronces, figues et raisins, bon cœur et mauvais cœur, bien et mal…
Ces paroles de Jésus, bien qu’elles n’aient pas de lien logique apparent, semblent être reliées par un fil mnémotechnique : aveugle, œil, poutre, arbre, fruit… Cependant, leur signification se réfère clairement à la vie du croyant dans la communauté.
Dans l’Évangile de Matthieu, ces sentences sont adressées contre les scribes et les pharisiens ; Saint Luc, en revanche, écrivant pour des communautés de langue grecque, les actualise et les adresse en particulier à leurs responsables.
Ces paroles peuvent être regroupées en trois unités :
1. Un aveugle qui guide un autre aveugle (vv. 39-40)
« Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ? Ne tomberont-ils pas tous deux dans un fossé ? »
Un aveugle qui prétend voir, qui ne se rend pas compte de ses propres limites et qui prétend guider les autres, n’est pas une situation si rare et constitue un véritable danger pour tout groupe ou communauté. Ce scénario est stigmatisé dans l’épisode de l’aveugle-né, raconté au chapitre neuf de l’Évangile de Jean, qui se conclut précisément par ces paroles de Jésus adressées aux pharisiens : « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais parce que vous dites : “Nous voyons”, votre péché demeure » (Jn 9,41).
Le leader chrétien (et nous avons tous, d’une certaine manière, la mission de guider quelqu’un !) doit être conscient qu’il a, lui aussi, besoin d’être guidé et éclairé, restant toujours disciple de l’unique Maître.
2. La poutre et la paille (vv. 41-42)
« Pourquoi regardes-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère et ne remarques-tu pas la poutre qui est dans ton œil ? »
L’image est très forte et ne nécessite pas de commentaire. Nous avons tous tendance à minimiser nos propres défauts et à exagérer ceux des autres. Nous courons facilement le risque d’utiliser deux poids et deux mesures. « Ce que nous voyons chez les autres comme une “poutre”, nous le percevons en nous comme une “paille” ; ce que nous condamnons chez les autres, nous l’excusons en nous-mêmes » (Enzo Bianchi).
Cela ne signifie pas pour autant que nous ne devons pas pratiquer la correction fraternelle ; toutefois, celle-ci doit être faite avec amour, sans juger ni condamner la personne. Si, ensuite, c’est une autorité qui doit corriger, elle doit le faire avec l’autorité de son propre témoignage de vie.
3. L’arbre et ses fruits (vv. 43-45)
« Il n’y a pas de bon arbre qui produise un mauvais fruit, ni de mauvais arbre qui produise un bon fruit. »
Ici, Jésus nous offre un critère de discernement : l’arbre se reconnaît à ses fruits. Et, de la métaphore de l’arbre, Jésus passe au cœur de la personne : « L’homme bon tire le bien du bon trésor de son cœur ; l’homme mauvais tire le mal de son mauvais trésor. »
Arrêtons-nous donc sur le cœur, qui pourrait être la clé de lecture de tout ce passage de l’Évangile de ce dimanche.
Pistes de réflexion
La personne est son cœur
Notre cœur est le creuset de notre vie. Pensées, désirs, sentiments, émotions, paroles, gestes, actions… tout y converge et façonne notre existence. « La personne est son cœur », disait saint Augustin. C’est pourquoi Jésus affirme : « L’homme bon tire le bien du bon trésor de son cœur, et l’homme mauvais tire le mal de son mauvais trésor. »
Et pourtant, il semble que peu s’engagent à vraiment connaître leur propre cœur. Nous vivons souvent « en dehors » de nous-mêmes, comme fuyant notre propre être. Peut-être parce que nous ne nous sentons pas à l’aise dans notre intériorité. Les moments de silence et de solitude nous rendent anxieux. Il semble que nous fuyons nous-mêmes et, avec le temps, notre cœur devient un lieu étranger, qui n’est plus notre demeure, notre maison.
Reprendre possession du cœur
Si nous voulons changer notre vie et la rendre plus belle, nous devons partir du cœur. Le premier pas est d’en reprendre possession. Il faut avoir le courage de : rentrer en nous-mêmes ; faire place nette de toutes les bricoles qui l’encombrent et remettre de l’ordre ; éloigner ceux qui s’y sont installés abusivement ; mettre une porte au cœur et un gardien qui veille sur ce qui entre et ce qui sort !
Hésychius du Sinaï, moine et théologien chrétien du VIIe siècle, a écrit : « La sobriété est une sentinelle immobile et constante de l’esprit, qui se tient à la porte du cœur pour discerner avec diligence les pensées qui se présentent, écouter leurs projets, espionner les manœuvres de ces ennemis mortels et reconnaître l’empreinte démoniaque qui tente, par l’imagination, de bouleverser l’esprit. Cette activité, menée avec courage, nous donnera, si nous le voulons, une grande expérience du combat spirituel » (cité par P. Gaetano Piccolo).
Plutôt que de sobriété, nous pourrions parler de discernement, qui agit comme un tamis (voir la première lecture). Il s’agit d’exercer une attention constante à ce qui se passe dans notre cœur, d’être toujours présents à nous-mêmes, un exercice qui nous rend conscients des pensées, intentions, émotions et désirs qui y fourmillent.
Pour nous aider dans ce parcours de conscience, il serait utile de pratiquer un « examen de conscience » quotidien de quelques minutes ou, au moins, un temps hebdomadaire plus prolongé de relecture de vie. Voilà un bon exercice pour le prochain Carême !
Ce n’est pas une proposition facile, mais ce n’est pas non plus impossible. C’est un exercice qui demande du temps, de la persévérance et, peut-être encore plus, du courage. En effet, nous découvrirons – souvent douloureusement – qu’à côté de nombreuses bonnes choses, notre cœur recèle aussi des mesquineries, des doubles intentions et de la médiocrité. Et pourtant, c’est le seul chemin pour devenir véritablement libres et vivre dans la vérité de l’Évangile.
P. Manuel João Pereira Correia, mccj