Cinquième dimanche du temps ordinaire – année C
Luc 5,1-11

Or, il arriva un jour que la foule le pressait et écoutait la parole de Dieu ; tandis qu’il se tenait sur le bord du lac de Génésareth, il vit deux barques qui se trouvaient près du rivage ; les pêcheurs étaient descendus pour laver leurs filets. Il monta donc dans une de ces barques, qui était à Simon, et le pria de s’éloigner un peu de terre ; puis, s’étant assis, de la barque, il enseignait les foules.
Lorsqu’il eut cessé de parler, il dit à Simon : « Avance en eau profonde, et jetez vos filets pour pêcher. » Simon lui répondit : « Maître, toute la nuit nous avons travaillé sans rien prendre ; mais, sur ta parole, je jetterai les filets. » L’ayant fait, ils prirent une grande quantité de poissons ; leurs filets se rompaient. Et ils firent signe à leurs compagnons qui étaient dans l’autre barque, de venir à leur aide. Ils y vinrent, et ils remplirent les deux barques, au point qu’elles enfonçaient.
Voyant cela, Simon-Pierre tomba aux pieds de Jésus en disant : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, parce que je suis un homme pécheur. » Car l’effroi l’avait saisi, lui et tous ceux qui l’accompagnaient, à cause de la capture de poissons qu’ils avaient faite ; il en était de même de Jacques et de Jean, les fils de Zébédée, les associés de Simon. Et Jésus dit à Simon : « Ne crains pas, car désormais ce sont des hommes que tu prendras. » Aussitôt, ramenant leurs barques à terre, ils quittèrent tout et le suivirent. »
Dieu agit par les hommes
Marcel Domergue
Nous imaginons facilement que Dieu détermine tout ce qui se passe dans le monde et dans nos vies. La Bible utilise parfois des formules qui, semble-il, vont dans ce sens. Certaines manières de parler de la Providence n’échappent pas à cette illusion. On passe vite sur des textes comme la vocation d’Isaïe (1re lecture) et nous sommes tellement habitués au « récit » de la pêche miraculeuse que nous n’en sommes plus étonnés. Pourtant il y a quelque chose de stupéfiant dans l’appel adressé à Pierre. Les paroles et les actes de Jésus révèlent que tout ce que fait Dieu pour l’humanité passe par nous, chacun selon sa générosité et son génie. Ce n’est pas Dieu qui pêchera directement des hommes, ce sera Pierre et ses compagnons. Jésus, certes, les choisit mais rien ne peut se passer sans l’adhésion libre des hommes. Cela apparaît plus clairement encore dans la première lecture, où nous voyons Isaïe se proposer au choix de Dieu : « Moi, je serai ton messager ; envoie-moi. » Bien sûr, c’est Dieu qui enverra : tout se passe selon la logique de l’Alliance, qui est rencontre de libertés ; choix réciproque. Pesons bien ces derniers mots : nous sommes dans le langage de l’amour, dans le vocabulaire conjugal. Cela se vérifie au niveau de notre existence elle-même : Dieu, le créateur, nous fait exister mais il le fait en passant par l’amour de nos parents, que l’on appelle à juste titre « procréateurs ».
L’éblouissement de la rencontre
Ainsi, Pierre et ses compagnons sont requis pour donner au Christ son nouveau corps, celui de la seconde naissance. Il faut prendre en considération le fait que l’appel ne vient que dans un second temps : il est précédé par une expérience. Pour Isaïe (1re lecture), son envoi est précédé par une théophanie éblouissante. Retenons cet aspect éblouissant : nous en reparlerons. Pour Pierre, c’est la pêche miraculeuse, impensable en plein jour et insensée par la quantité de poissons pris. Pour Pierre comme pour Isaïe, ces manifestations divines leur font prendre conscience de leur indignité. Dans les deux cas, c’est Dieu lui-même qui les rend aptes à leur mission. Tout cela nous révèle le sens d’une expérience que nous avons tous à vivre. Nous pouvons accepter longtemps les certitudes que nous propose la foi d’une manière abstraite, sans impact réel sur nos existences. Mais un jour, nous pouvons brusquement réaliser que tout cela est vrai et qu’Il est là, dans notre vie. C’est l’éblouissement de la rencontre. Tout à coup il nous devient évident que nous ne sommes pas seuls et qu’un Autre est là, pour vivre avec nous et en nous notre aventure humaine. Sans une expérience de ce genre, notre foi risque d’être vécue dans la morosité d’une obéissance passive aux « dogmes ». C’est en nous liant d’amour avec le Christ que nous accédons à la liberté.
« La vérité vous rendra libre »
Il est notable qu’Isaïe et Pierre passent de la peur à la foi, passage que nous avons tous à refaire sans cesse. Chaque fois, remarquons-le, le passé, discutable, est comme aboli et une route nouvelle s’ouvre vers l’avenir ; un avenir de messager pour Isaïe, un avenir de pêcheur d’hommes pour Pierre et ses compagnons : « Laissant tout, ils le suivirent ». Notons bien que le Christ n’est pas un maître parmi d’autres et qu’au fond, le suivre n’est pas facultatif : il est en effet le Verbe qui donne existence et sens à tout l’univers de la création. Le suivre est suivre la vie. Pas facultatif et pourtant dépendant du choix de notre liberté. C’est en effet la vérité qui rend libre et nous avons toujours la possibilité de choisir la servitude et la mort : « Vois, je te propose aujourd’hui la vie avec le bon, ou la mort avec le mauvais (…) Choisis la vie afin de vivre, toi et ta postérité, en aimant Yahvé, ton Dieu, en écoutant sa parole et en s’attachant à lui » (Deutéronome 30, 15 et 19-20.) Ni Isaïe, ni Pierre ne vivent une aventure différente de la nôtre. Ils mettent en évidence le chemin que nous avons tous à suivre. L’expérience initiale, celle qui fait passer notre vie de foi de l’intellectuel au réel, peut être aussi fulgurante que l’aveuglement de Paul sur le chemin de Damas. En règle générale elle se produit quand nous sommes un peu écœurés de nos pêches nulles, quand nous aspirons à autre chose.
« Pécheurs » demandés …
Jacques Houle
Quelle merveilleuse page d’évangile! Une page d’évangile qui nous parle de filets prêts à se rompre, une page d’évangile qui nous parle d’abondance se voulant le signe bien concret de l’irruption de la grâce en notre monde. Mais cette abondance a un prix, elle vient au bout d’un abandon de nos certitudes. Elle suppose la confiance.
Et c’est bien ce que Simon-Pierre aura du expérimenter, lui le professionnel de la pêche qui se fait dire par Jésus, un fils de menuisier qui ne connaît rien aux métiers de la mer: Avance au large, et jetez vos filets pour la pêche.
Mais ceci dit, il me semble important d’attirer l’attention sur une autre dimension de cette page d’évangile, une dimension commune aux deux autres lectures qui nous sont proposées aujourd’hui. On entend d’abord Isaïe nous raconter l’histoire de sa vocation. Il ne se fait pas d’illusion sur son indignité, de même pour saint Paul dans sa lettre aux Corinthiens, si bien que nos trois textes pourraient se retrouver sous un même chapeau: Pécheurs demandés, alors que l’évangile nous aurait tout spontanément suggéré quelque chose comme: Pêcheurs demandés.
Évidemment le jeux de mot peut sembler facile, même si dans le récit de la pêche miraculeuse Jésus se dit à la recherche de pêcheurs et plus particulièrement de pêcheurs d’hommes. Mais je persiste à croire que ces Pécheurs demandés n’est pas sans pertinence. Les pages d’Écriture qui nous sont proposées aujourd’hui nous invitent à porter notre regard bien au-delà des filets et des barques que Jésus trouve ce jour là sur le bord du lac de Génésareth.
Au fait que se passe-t-il? Jésus emprunte à Simon-Pierre une barque pour s’adresser à la foule qui se masse sur le rivage. Son entretien terminé, il pousse au large et lui fait vivre l’étrange expérience d’une pêche hors du commun. Mais ici la réaction ne se fait pas attendre. Il se jette à ses pieds et lui dit: Éloigne toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur.
Simon-Pierre vient de comprendre qu’il y a comme un abîme qui le sépare de Jésus. Il sent bien qu’une puissance l’habite et il a peur devant le signe qui la traduit. Pourtant Jésus ne veut ni l’effrayer, ni l’éblouir. Il est à la recherche de partenaires, de pêcheurs d’hommes comme il les appelle, parce qu’il désire les associer à son oeuvre de libération. En langage biblique, pêcher des hommes équivaut simplement à les soustraire aux forces du mal dont l’eau est ici le symbole.
Mais devant la puissance de Jésus, Simon-Pierre se sent indigne, fragile, tellement ordinaire et surtout il se sent pécheur! Or voilà précisément les candidats que Jésus recherche et il s’empresse de rassurer Simon. Il lui dit tout simplement :«Sois sans crainte», un peu comme s’il lui confiait: «Tu as vu ce que peux faire avec un filet et une barque, alors ne t’inquiète pas, viens, je m’occupe du reste». Avec Isaïe c’est un peu ce qui arrive. Lui aussi se trouve indigne avec ses lèvres impures. Tout comme Paul qui écrit: Il est même apparu à l’avorton que je suis… Je ne suis pas digne d’être appelé Apôtre… Ainsi tous les trois se savent indignes, ils se reconnaissent pécheurs. Néanmoins ce sont eux les appelés. Qui enverrai-je, qui sera notre messager? demandait le Seigneur à Isaïe. Et il lui répond: Me voici: envoie-moi! Paul et Simon-Pierre feront de même.
On l’aura compris, ce qu’il sont c’est par grâce, tout comme ceux et celles qui ont pris le relais dans une longue suite de fidélité, tout comme ces personnes qui aujourd’hui travaille à bâtir des communautés. Dieu appelle des être fragiles, mais il est avec eux. Ce n’est donc pas – et surtout pas – à son degré de perfection qu’on reconnaît l’apôtre, mais à la confiance qu’il accorde à son maître. Lui seul est capable d’opérer la pêche miraculeuse. Lui seul est capable de cette abondance qui échappe à toutes les normes et à tous les calculs. Ça Pierre, Paul et Isaïe l’avaient bien compris.
Encore aujourd’hui, pour que la mission se poursuive, Dieu a besoin de partenaires et pourquoi les conditions d’embauche auraient-elles changé? Pécheurs demandés !
Seigneur, ton abondance est miséricorde, une miséricorde gratuite, déroutante et inépuisable. Seigneur, vois le pécheur que je suis, vois les pécheurs que nous sommes, nous t’offrons nos mains pour que se poursuive ton oeuvre de libération et que notre monde devienne toujours plus humain et plus beau.
Amen
“Prends le large!”
Pour une Mission ouverte sur le monde entier
Romeo Ballan, mccj
“Laissant tout, ils le suivirent…” (Evangile, v. 11). Il en est ainsi de Pierre et de ses compagnons. De même que Isaïe, Paul… et tous ceux qui, au long des siècles, ont accueilli la même invitation du Seigneur, qui est un envoi pour la même mission. Même si les vocations et les missions sont multiples, toutes différentes entre elles dans leurs formes, parcours et circonstances, elles demeurent quand-même identiques dans leur origine et dans leur finalité. Ainsi les trois lectures de ce dimanche, qui présentent trois vocations typiques et distinctes: Isaïe, Paul et Pierre. Des vocations qui sont des histoires personnelles et spécifiques, mais qui ont toutes des éléments communs, dont les cinq suivants:
– 1. L’initiative de Dieu est toujours le point de départ de toute vocation-mission. C’est Lui qui appelle et envoie. Isaïe, témoin d’une extraordinaire manifestation de Dieu (I lecture), ressent l’appel de Dieu qui cherche quelqu’un à envoyer (v. 8). Paul, quant à lui, reçoit l’apparition du Christ ressuscité en personne (II lecture), qui lui révèle le message à annoncer (v. 3.8). Luc décrit dans les détails la prédication de Jésus à partir de la barque de Pierre (Evangile), ce même Jésus qui juste après demande à Pierre de prendre le large, de jeter les filets. Jésus fera de lui un pêcheur d’hommes (v. 4.10).
– 2. Dans cette aventure divine de la vocation-mission, l’expérience de Dieu est l’aspect fondamental, ce Dieu qui est perçu comme infiniment grand et saint par comparaison à la pauvreté et à la nullité de l’apôtre. Il n’est pas question ici de visions, mais d’expériences intérieures, spirituelles, que chacun ressent à sa manière, mais qui sont absolument essentielles. Admis à la présence du Trois-fois-saint, Isaïe se croit perdu, homme aux lèvres impures. Mais il est purifié (v; 3.5.7). Paul, lui, se déclare le dernier, le plus indigne, parce que le persécuteur (v. 8-9). Pierre finalement, complètement stupéfait par l’événement de la pêche miraculeuse, se reconnaît pécheur au point de se jeter aux pieds de Jésus et l’implore de bien vouloir s’éloigner de lui (v. 8). Mais Dieu a choisi de se servir de pauvres humains fragiles pour mener à bon terme son salut: pour cela il les purifie et il les rend aptes à devenir ses collaborateurs.
– 3.Le Seigneur appelle pour une mission. La tâche concrète à accomplir pourrait ne pas se révéler clairement dès le départ, pour mieux se manifester plus tard, dans les circonstances à venir. L’essentiel est la disponibilité, qui doit être inconditionnelle dès le départ. Une sorte de chèque signé à l’avance! Il en est ainsi pour Isaïe. Tandis que pour Paul il y a un Evangile à annoncer: c’est le Christ crucifié et ressuscité (v. 3-4.11). Pierre et les autres sont appelés à larguer les amarres pour aller à la pêche d’hommes dans le monde entier, vaste et complexe.
– 4. La réponse se concrétise dans la suite de Jésus: une réponse qui change la vie de l’apôtre appelé à la mission. “Me voici, envoie-moi!”, c’est la réponse d’ Isaïe (v. 8). Paul, lui, est content de son expérience vécue: il est ce qu’il est, il a travaillé, il a prêché la Parole (v. 10-11). Pierre et ses compagnons laissent les barques et suivent le nouveau rabbi (v. 11).
– 5. La force de la mission vient de Dieu, non pas de l’apôtre. Le feu purifiant a brûlé toute résistance et Isaïe trouve le courage nécessaire pour partir en envoyé de Dieu (v. 8). Paul reconnaît que son action est due à la ‘grâce de Dieu’. Pierre, finalement s’expose au risque d’une autre pêche inefficace, au ridicule de se donner à la pêche en plein jour. Lui, il fait confiance au Christ: “sur ta Parole…” (v. 5). Il néglige toute logique humaine, il serait prêt à pêcher même à midi!
“Duc in altum” (prends le large, v. 4) : voilà le commandement audacieux de Jésus à Pierre: l’immersion dans l’immense mer du monde, s’affronter au pouvoir du mal et à ses forces de mort. Il va être question de rencontrer les humains pour leur proposer le message de salut et les rappeler à la vie. S. Ambroise disait la même chose en ces termes: “Les filets sont les instruments de la pêche apostolique, et en effet ils ne font pas mourir celui qui y est attrapé, mais le gardent pour la vie et le libèrent des abîmes pour l’amener vers la lumière, et des profondeurs ils attirent vers le haut ceux qui y étaient submergés”. Le projet global de Dieu est pour la vie, pour renforcer et accroître la vie. En abondance!
La mise en pratique du “duc in altum” (gr. ‘eis to bathos’) rappelle aussi la dimension, et donc la dispersion sur les voies du monde, mais surtout la profondeur qui doit être celle de la mission. Jésus ne confie pas à Pierre et à ses amis une tâche facile, à la surface des choses, mais une mission qui est un appel au large, en haute mer. On veut indiquer par là l’œuvre d’évangélisation dans toute sa complexité, donc des buts d’importance vitale, tels que l’annonce du Christ, la fondation de la communauté, l’inculturation, la promotion intégrale de l’homme, etc. Mission donc exigeante, ouverte à tous les peuples et à toutes les cultures.
Le “duc in altum” est une invitation à d’authentiques prouesses. Sur le “duc in altum” Jean Paul II a construit le programme missionnaire pour l’Église du troisième millénaire. Programme à mettre en oeuvre à l’aide d’un “regard pénétrant” et d’un “cœur plein d’amour”! (*) De même les évêques de la Rép. Dém. du Congo ont tissé récemment sur le “duc in altum” un message dense et riche, pour leur pays. C’était à l’occasion du nouveau chemin démocratique qui vient de commencer (6 décembre 2006) par l’intronisation du nouveau Président de la République. On a remarqué que la liste des initiatives à assumer est beaucoup trop longue, mais le président de la conférence épiscopale a répondu que “pour arriver loin il faut savoir se proposer des objectifs très ambitieux. Ce n’est jamais la médiocrité qui nous amènera loin!”.
L’APPEL
Jacques Founier
La lecture de saint Luc en ce dimanche offre un récit complexe, réunissant plusieurs éléments :
- – Jésus prêchant à la foule la parole de Dieu.
- – La pêche miraculeuse.
- – La vocation de Simon à une pêche d’hommes et non plus de poissons, son métier.
- – La décision de Simon, Jacques et Jean : ils se mettent à suivre Jésus.
La séquence adoptée par saint Luc est sans doute destinée à montrer comment un familier devient un disciple et un apôtre.
Jésus fait accomplir à Pierre ce parcours en lui adressant trois appels :
- – L’appel à mettre sa barque à sa disposition et à s’éloigner “un peu” du rivage.
- – L’appel à jeter les filets, “au large”, malgré l’échec de la nuit précédente.
- – L’appel à une tâche évoquée en mots énigmatiques : prendre des hommes au filet. Pourquoi ? Comment ? Rien n’est précisé.
Mais Pierre, ainsi que les deux autres, comprennent qu’à partir de cette heure, ils n’ont rien d’autre à faire que de suivre Jésus.
LE MINISTERE DE PIERRE
Il est intéressant de noter la place singulière de Simon dans ce récit :
- – Deux barques sont disponibles. Jésus monte dans celle de Simon.
- – C’est à Simon que Jésus donne l’ordre de pêcher.
- – C’est Simon-Pierre qui reconnaît le miracle et confesse son péché. Comme plus tard il confessera sa foi au Christ (Luc 9. 20).
- – C’est à Simon que Jésus annonce la mission future.
Pourtant, les deux autres, Jacques et Jean, sont présents, participent à la pêche et suivent Jésus, tout comme Pierre.
Non seulement Pierre est le premier nommé (voir aussi Luc 6. 14) mais il semble personnifier le groupe des Douze. Le témoignage de saint Paul, dans la deuxième lecture, est convergent : Le Christ est apparu à Pierre, puis aux Douze.
La divergence entre les confessions chrétiennes ne porte pas sur ce constat de la place singulière de Pierre dans le Nouveau Testament, mais sur la transmission de cette singularité aux successeurs de Pierre.
IMPOSSIBILITE OU OBSTACLE ?
En travers de cet élan de l’appel et de la foi survient un obstacle. Celui du péché, ou plus exactement, celui de la conscience de notre péché. Notre indignité, parfois, nous paraît telle que nous doutons même de la miséricorde infinie de Dieu, au point d’avoir peur de face à face que nous vivons déjà avec Lui et que nous vivrons éternellement.
La liturgie nous propose un parallèle entre la réaction de saint Pierre et celle du prophète Isaïe. Isaïe :”Malheur à moi ! je suis perdu car je suis un homme aux lèvres impures.” (Isaïe 6.5) Saint Pierre, devant le miracle, change de “situation”…”Seigneur, éloigne-toi de moi, je suis un homme pécheur.” L’heure d’avant, quand il acquiesçait à l’ordre de Jésus, il l’appelait “Maître”.
Il est une question qui traverse tout l’Ancien Testament : comment voir Dieu sans mourir si grande est la distance qui nous sépare de lui.
MALGRE TOUT, PROCHE DE NOUS
Le plus souvent l’Ecriture affirme que l’homme ne peut voir Dieu. Quand Moïse lui demande :”Fais-moi voir ta gloire”, le Seigneur répond :”Tu ne peux pas voir ma face, car l’homme ne saurait me voir et vivre.” (Exode 33. 18 à 20) Pourtant Dieu ne veut pas être étranger à son serviteur. Il se fera voir de Moïse, mais de dos.
La vision de Dieu suppose une familiarité que le péché a rompue. L’homme est ainsi en proie à une contradiction : le désir de voir Dieu demeure en lui, mais il échouerait ou rejoindrait inexorablement la mort.
Toutefois les traditions prophétiques de l’Ancien Testament attestent une possible rencontre. “Moïse monta, ainsi qu’Aaron, Madav et Avihou, et soixante-dix des Anciens d’Israël. Ils virent le Dieu d’Israël… Ils contemplèrent Dieu, mangèrent et burent” (Exode 24. 9 à 11) Et c’est bien ainsi que les disciples et les apôtres vécurent avec Jésus de Nazareth, trois années durant.
Dieu lui-même s’est manifesté au sein de notre monde pécheur par son Fils incarné :”Et le Verbe s’est fait chair et nous avons vu sa gloire.” (Jean 1. 14) L’initiative du salut vient de Dieu. Notre foi n’est ni une imagination ni l’épiphénomène de nos désirs. Les Corinthiens se l’entendent dire par saint Paul. “Ce que je suis, je le suis par la grâce de Dieu.”
Les apôtres eux-mêmes ont vécu avec le Seigneur :” Ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont touché du Verbe de vie, nous vous l’annonçons.” (1ère lettre de Jean 1. 1 et 2)
Grande est leur familiarité avec leur Seigneur et maître. Saint Pierre le secouera par les épaules pour le réveiller lors de la tempête sur le lac. Saint Pierre, encore lui, lui reproche de monter à Jérusalem pour se faire arrêter et condamner.
“Ce que nos mains ont touché du Verbe de Vie.” … Il est si proche.
Il nous est également possible de vivre cette familiarité. Ce n’est pas en dressant des barrières rituelles que nous vivrons la Vérité qu’il nous apporte. Le père de l’enfant prodigue n’a pu admettre de le recevoir à genoux, il l’a pris dans ses bras. Ces barrières rituelles sont parfois même ridicules, comme refuser de recevoir le Corps du Christ dans nos mains… « Ce que nos mains ont touché du Verbe de Vie.
C’est avec de telles barrières qu’on en arrive à vivre un christianisme moralisateur jusqu’à être vidé du sens de notre intimité en Dieu par Jésus-Christ. C’est le Christ qui est l’essentiel, car s’il est devenu l’un des nôtres, c’est pour être proche de nous et, nous, proches de lui. « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous. »
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A nous de vivre cette réalité étonnante. A nous d’en transmettre la découverte à nos frères. A nous de la chanter devant les hommes :”Tous les rois te rendent grâce quand ils entendent les paroles de ta bouche.” (psaume 137) Dans cet esprit, relisons le passage de la lettre aux Corinthiens en ce dimanche où saint Paul décline pour nous ce qu’est la Bonne Nouvelle. “La grâce de Dieu est avec moi.” (I Cor. 15. 10)
« Tu as voulu, Seigneur, que nous partagions un même pain et que nous buvions à la même coupe. Accorde-nous de vivre tellement dans le Christ que nous portions du fruit pour le salut du monde. » (Oraison de la communion de ce dimanche).