La voie de l’attente
Henri J.M. Nouwen
La gloire de Dieu et notre vie intérieure
La résurrection n’est pas seulement la vie après la mort. C’est d’abord la vie nouvelle qui surgit de la passion de Jésus, de son attente. Le récit des souffrances de Jésus révèle mystérieusement que la résurrection jaillit au cœur même de la passion. Une foule conduite par Judas arriva à Gethsémani. « Jésus […] s’avança et leur dit: “Qui cherchez-vous?” Ils lui répondirent : “Jésus le Nazôréen.” Il leur dit : “C’est moi.” […] Dès que Jésus leur eut dit “c’est moi”, ils eurent un mouvement de recul et tombèrent. À nouveau, Jésus leur demanda : “Qui cherchez-vous?” Ils répondirent : “Jésus le Nazôréen.” Jésus leur répondit : “Je vous l’ai dit, c’est moi. Si donc c’est moi que vous cherchez, laissez aller ceux-ci” » (Jean 18, 4-8).
C’est précisément au moment où Jésus est livré, dans sa passion, qu’il manifeste sa gloire. « Qui cherchez-vous? […] C’est moi. » Ces paroles rappellent la rencontre de Moïse avec Dieu dans le buisson ardent : « Je suis qui je serai », lui dit Dieu (voir Exode 3, 1-14). Ces paroles manifestent la gloire de Dieu; en entendant Jésus les prononcer, ceux qui étaient présents eurent un mouvement de recul et tombèrent. Puis Jésus fut livré. Mais déjà là nous reconnaissons Dieu qui se livre à nous. La gloire de Dieu révélée en Jésus comprend et la passion et la résurrection.
« Comme Moïse a élevé le serpent dans le désert, il faut que le Fils de l’homme soit élevé afin que quiconque croit ait, en lui, la vie éternelle » (Jean 3, 14-15). Jésus est élevé comme une victime passive, faisant de la croix un signe de désolation. Il est élevé dans la gloire, et la croix devient aussi un signe d’espérance. Nous prenons soudainement conscience que la gloire de Dieu, sa divinité, jaillit de la passion de Jésus au moment où ce dernier est le plus persécuté. Ainsi, la vie nouvelle n’est pas visible seulement le troisième jour, à la résurrection, mais déjà dans la passion, au moment où Jésus est livré. Pourquoi ? Parce que c’est dans la passion qu’éclate au grand jour la plénitude de l’amour de Jésus. Son amour est un amour qui attend, un amour qui ne cherche pas le pouvoir. Lorsque nous nous permettons de ressentir pleinement de quelle façon les autres agissent sur nous, nous pouvons goûter une vie nouvelle dont nous ne soupçonnions pas l’existence. Voilà le sujet dont nous discutions constamment, mon ami malade et moi. Pouvait-il goûter la vie nouvelle au cœur de sa passion ? Pouvait-il voir que, en étant l’objet de soins de la part du personnel hospitalier, il était déjà en train d’être préparé pour un amour encore plus grand ? Cet amour avait été présent dans toutes ses actions, mais il ne l’avait pas encore pleinement goûté. Ensemble, nous avons peu à peu compris que, au cœur de notre souffrance et de notre passion, au cœur de notre attente, nous faisons déjà l’expérience de la résurrection.
Aujourd’hui, dans notre monde, jusqu’à quel point maîtrisons-nous vraiment la situation ? Notre vie n’est-elle pas, en grande partie, passion ? De toutes sortes de manières, les gens, les événements, la culture dans laquelle nous vivons et bien d’autres facteurs hors de notre contrôle agissent sur nous. Tout cela laisse souvent peu de place à nos propres initiatives. Cela est particulièrement évident lorsque nous remarquons combien d’entre nous sont blessés, handicapés, malades chroniques, âgés ou démunis.
De plus en plus dans notre société, nous avons le sentiment d’avoir de moins en moins d’emprise sur les décisions qui influencent notre propre existence. Il devient donc de plus en plus important de reconnaître qu’une grande partie de notre vie consiste à attendre, à laisser les autres agir sur nous. Par sa vie, Jésus nous apprend que le fait de ne pas avoir la maîtrise des choses fait partie de notre condition humaine. Sa vocation et la nôtre sont accomplies non seulement dans l’action, mais aussi dans la passion, dans l’attente.
Prenons conscience de l’importance de ce message pour nous et pour le monde. S’il est vrai qu’en Jésus Dieu attend notre réponse à son amour divin, nous avons donc la possibilité de découvrir une toute nouvelle façon d’attendre dans la vie. Nous pouvons apprendre à être des gens obéissants qui ne cherchent pas sans cesse à agir, mais qui savent reconnaître l’accomplissement de notre humanité véritable dans la passion, dans l’attente. Si nous y arrivons, je suis convaincu que nous accéderons à la puissance et à la gloire de Dieu et de notre propre vie nouvelle. Servir les autres signifiera aussi les aider à voir surgir la gloire de Dieu – non seulement lorsqu’ils sont actifs, mais aussi lorsque quelqu’un d’autre agit sur eux. Ainsi, la spiritualité de l’attente ne consiste pas seulement à attendre Dieu. Elle est également participation à l’attente d’un Dieu qui nous attend; ainsi nous avons part au plus grand amour qui soit : l’amour de Dieu.