La voie de l’attente
Henri J.M. Nouwen
Henri J.M. Nouwen est né aux Pays-Bas. Il a été ordonné prêtre en 1957. Après avoir enseigné la théologie aux universités d’Utrecht, Notre Dame (Indiana) Yale et Harvard, il a choisi de vivre avec des personnes handicapées mentales. Proche collaborateur de Jean Vanier, il est devenu pasteur de l’Arche Daybreak à Toronto, de 1985 à 1996, date à laquelle il s’est éteint brusquement à l’âge de 63 ans. Il est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages de spiritualité dont plusieurs on été traduits en français. Henri J.M. Nouwen est considéré comme l’un des guides spirituels les plus marquants de notre époque.
Depuis plusieurs années, je suis préoccupé par un aspect qui m’apparaît important dans notre vie : la spiritualité de l’attente. J’y réfléchis et je me demande ce que l’attente peut signifier dans le contexte de notre vie spirituelle.
Je prends conscience que lorsqu’on réfléchit sur l’attente d’un point de vue spirituel, deux points de départ sont possibles : notre attente de Dieu et celle de Dieu qui nous attend. Nous attendons. Dieu attend. Le début de l’évangile de Luc propose des éléments qui me permettront de soutenir ma réflexion sur notre attente de Dieu. Quant aux derniers chapitres du même évangile, ils fourniront l’arrière-plan de ma réflexion sur Dieu qui attend.
Le récit de la naissance de Jésus nous présente cinq personnes qui attendent : Zacharie et Élizabeth, Marie, Siméon et Anne. Le récit de la mort et de la résurrection de Jésus nous révèle un Dieu qui attend.
Notre attente de Dieu
Dans notre vie personnelle, l’attente n’est pas considérée comme un passe-temps très populaire. Attendre n’est pas quelque chose que nous anticipons ou dont nous faisons l’expérience avec bonheur et joie. De fait, la plupart d’entre nous considérons l’attente comme une perte de temps. Peut-être parce que la culture dans laquelle nous vivons nous dit : « Allez-y ! Faites quelque chose ! Montrez que vous êtes en mesure de changer les choses ! Ne restez pas là à attendre ! » Pour nous et pour bien des gens, attendre est donc comparable à un désert stérile entre là où nous sommes et là où nous voudrions être. Un tel désert est loin de nous plaire. Nous voulons en sortir et faire quelque chose de valable.
Parce que notre époque est caractérisée par la peur, l’attente est encore plus difficile. En effet, la peur est l’une des émotions les plus envahissantes dans l’atmosphère qui nous entoure. En tant que peuple, nous avons peur – peur des autres peuples qui pourraient être différents, peur de sentiments intérieurs ou inconfortables, peur aussi d’un avenir inconnu. En tant que personnes dominées par la peur, nous avons de la difficulté à attendre, la peur nous poussant à quitter l’endroit où nous nous trouvons. S’il nous est impossible de fuir, il se peut que nous choisissions plutôt de nous battre. Nous sommes conscients des nombreux gestes de destruction qui naissent de la peur qu’on nous fasse du mal.
En élargissant l’horizon – les personnes et les peuples ne sont pas les seuls à avoir peur, les communautés et les nations aussi ont peur qu’on leur fasse du mal – on comprend encore plus clairement combien il est difficile d’attendre et combien il est tentant de passer à l’action. De là naît l’attitude consistant à « frapper le premier » dans les relations interpersonnelles. Ceux et celles qui vivent dans un monde de peur ont davantage tendance à répondre par des gestes agressifs, hostiles et destructeurs. Plus nous avons peur, plus il nous est difficile d’attendre. Voilà pourquoi l’attente est une attitude si impopulaire pour tant d’entre nous.
Je suis fasciné de constater que tous les personnages apparaissant dans les premières pages de l’évangile de Luc attendent. Zacharie et Élizabeth attendent. Marie attend. Siméon et Anne, présents au Temple lorsque Jésus y est conduit, attendent. Le premier récit de l’ensemble de la Bonne Nouvelle est rempli de personnes qui attendent. Et dès le début, tous ces gens entendent, d’une manière ou d’une autre, les paroles : « N’ayez pas peur. J’ai quelque chose de bon à vous dire. » Ces paroles signifient que Zacharie, Élizabeth, Marie, Siméon et Anne attendent tous qu’un événement nouveau et bon survienne dans leur vie.
Approchons-nous d’eux et tentons de voir ce qu’ils peuvent nous apprendre sur la spiritualité de l’attente. Qui sont-ils et que craignent-ils ? En plus d’être aimés de Dieu, ne sont-ils pas également les représentants du peuple d’Israël qui attend ? Les psaumes sont remplis de ce type d’attente : « J’attends le Seigneur, j’attends de toute mon âme et j’espère en sa parole. Mon âme désire le Seigneur, plus qu’un veilleur ne désire l’aurore. Israël, mets ton espoir dans le Seigneur, car le Seigneur dispose de la grâce et, avec largesse, du rachat » (Psaume 130, 5-7). « J’attends le Seigneur, j’attends de toute mon âme. » Ce thème résonne dans l’ensemble des Écritures.
Mais tous les habitants d’Israël ne vivent pas dans l’attente. En effet, on peut affirmer que les prophètes ont critiqué le peuple qui, au moins en partie, accordait toute son attention à ce qui allait se produire. L’attente devint finalement l’attitude du petit reste d’Israël, de ce petit groupe d’Israélites restés fidèles. Le prophète Sophonie dit : « Je maintiendrai au milieu de toi un reste de gens humbles et pauvres; ils chercheront refuge dans le nom du Seigneur. Le reste d’Israël ne commettra plus d’iniquité; ils ne diront plus de mensonge, on ne surprendra plus dans leur bouche de langage trompeur » (Sophonie 3, 12-13). Ce sont les fidèles du reste purifié qui attendent. Élizabeth, Zacharie, Marie, Siméon et Anne font partie de ce petit reste. Ils ont été capables d’attendre, d’être attentifs et de vivre dans l’attente.
Examinons maintenant la vie de ces hommes et de ces femmes afin d’y découvrir la nature de leur attente et de quelle façon ils attendent. Nous tenterons de voir avec eux comment leur attente ressemble à la nôtre et comment nous sommes appelés à attendre avec eux.