17ème Dimanche du Temps Ordinaire – Année B
Jean 6,1-15

Un évangile plein de symboles
Le pain, les poissons, l’enfant, les douze paniers : Marcel Domergue, jésuite, explique l’évangile de Jean lu ce dimanche à la messe.
Cette mention de la Pâque donne le ton. Elle colore tout ce qui va suivre, d’abord la multiplication des pains, ensuite le discours de Jésus sur le pain de vie, « le pain qui descend du ciel ». Certes, la Pâque dont il s’agit en ce chapitre 6 n’est sans doute pas la Pâque de la crucifixion, mais celle-ci est dans la perspective. Le texte insiste sur le grand nombre des gens qui suivent Jésus. Ces cinq mille personnes représentent la totalité des humains, que le Christ invitera à se nourrir de sa chair et de son sang. C’est pour cela que les premiers chrétiens ont pris comme symboles du Christ le pain et le poisson. Le pain, représentatif en nos pays de toute nourriture. Mais le pain est inerte, tandis que le poisson est au contraire signe de mobilité, de liberté. Notre récit est une récapitulation en images de l’ensemble de l’oeuvre du Christ en notre faveur. La Croix peut nous sembler au premier abord échec et catastrophe. Nous apprenons ici que, don de la chair et du sang, elle est nourriture pour notre vie, la seule nourriture pour une vie que la mort ne peut effacer. Nourris par Dieu, nourris de Dieu lui-même, rien ne peut vraiment nous détruire. C’est un enfant (tel est le sens du mot grec utilisé) qui fournit la matière première du « signe » que Jésus va accomplir. Un enfant, figure du commencement, de l’inachevé, de la vie devant soi ; une vie dont personne ne soupçonne encore la plénitude et le caractère indestructible.
Le Christ Roi
Certains pourront s’étonner de voir ce commentaire insister à ce point sur le symbolisme. C’est que les auteurs bibliques, et saint Jean plus que les autres, n’écrivent aucun mot au hasard et chargent ces mots de significations qui vont au-delà de leur emploi ordinaire. Des exemples ? On se souvient que le Christ est appelé « pasteur », mais Jean change le sens du mot au point qu’il ne signifie plus celui qui se nourrit du troupeau, mais au contraire celui qui le nourrit de sa vie (cf. Jean 10), à tel point que, « pasteur », il est aussi « agneau », l’agneau de Dieu. Le mot « Christ » n’échappe pas à cette transformation du sens, à cet « accomplissement ». Christ signifie « qui a reçu l’onction royale », comme David dont Jésus est le descendant. « Fils de David », Jésus est, au-delà, « Fils de Dieu ». Le mot « roi » prend alors une signification dont nous ne pouvons rendre compte. Le mot « Fils » également, d’ailleurs. Jésus est plus fils que nos fils, et autrement. Justement, dans notre évangile, les gens veulent s’emparer de Jésus pour le faire roi. Voici que resurgit la tentation de Matthieu 4,8-9 et de Luc 4,5-7. Jésus se dérobe. Sa « Royauté » n’est pas de ce monde, elle ne ressemble pas à ce que ces gens imaginent. Jésus ne rétablira pas la royauté perdue. Rien, dans ses paroles et ses actes, n’a de portée politique. Le culte du « Christ Roi » n’a pas toujours été exempt d’ambiguïté, et l’Église, d’une manière ou d’une autre, a parfois voulu peser sur le pouvoir en place. Il fut un temps où les gouvernants étaient considérés comme le « bras séculier » de l’Église.
Douze paniers
La surabondance ! Le don que Dieu nous fait de lui-même dans le Christ dépasse nos besoins, nos aspirations, nos ambitions. Pourquoi douze paniers ? Veut-on nous faire penser aux douze tribus, aux douze apôtres ? La douzaine a toujours été un nombre symbolique. Mais l’essentiel est le fait de ramasser les restes. En effet, à l’arrière-fond de la multiplication des pains, il y a la manne dont le peuple en exode se nourrissait au désert. Or, il était interdit de stocker la manne. Des provisions auraient sans doute signifié que l’on se méfiait de la permanence de l’assistance de Dieu. Avec le Christ, tout cela est dépassé, car le pain qui sera donné est en fin de compte Dieu lui-même. Les douze paniers signifient que Dieu va au-delà de tout ce que nous pouvons attendre. La manne ne passait pas la nuit, le pain du Christ « subsiste jusque dans la vie éternelle » (6,27). Du solide, à côté de la fragilité non seulement de la manne, mais aussi des nourritures que nous produisons. Encore un mot qui change de sens pour s’appliquer à une réalité insaisissable, mais d’une nécessité absolue pour notre accès à l’existence accomplie, plénière. Le Christ se fait pain. Ne pensons pas tout de suite au rite eucharistique, mais à la Parole qui nourrit en nous une autre manière d’être, si nous la recevons dans la foi. Une Parole vivante et qui fait vivre. Par là, c’est nous aussi qui devenons rois : héritiers (et non pas sujets) du Royaume.
La multiplication se concrétise dans le partage
Romeo Ballan mccj
Une question toute simple: pourquoi un événement extraordinaire, comme la multiplication des pains et des poissons, est racontée pas moins de six fois dans l’Evangile? une fois chez Luc et Jean, mais deux fois chez Marc et Mathieu, donc bien plus que tous les autres “signes” que Jésus a accomplis! Les premières communautés chrétiennes avaient bien saisi l’importance de ce geste de Jésus: la faim, on le sait, est un problème universel, dans toutes ses formes. C’est le problème du pain quotidien. D’ailleurs ce n’est peut-être pas dû tout à fait au hasard si la racine des paroles pain et combattre, se compose des mêmes consonnes en langue hébraïque. D’autant plus que l’histoire nous dit que la plupart des guerres se sont déchaînées pour des raisons liées à la faim, ou à une accumulation indue de biens. A celles-là se sont ajouté naturellement les autres raisons, liées au conflits de prestige ou jalousie, entre les personnes ou les groupes. Aujourd’hui encore la lutte pour le pain quotidien met tous les hommes sur un plan d’égalité. Même si les approches du problème ne sont pas les mêmes, voir opposés: aujourd’hui encore, hélas!, il y en a qui arrivent à la mort, par la faim. Et cela concerne des personnes humaines par centaines de milliers. Ce scandale honteux et humiliant ne trouvera pas de solution dans d’hypothétiques multiplications qui descendraient du ciel, mais de nouvelles décisions, de programmes réfléchis, de stratégies globales qui mettent en route le partage dans toutes ses formes. Voilà les défis qui attendent la moderne polis, la ville qu’habitent les hommes et les femmes du monde. Ils auront à s’y mesurer rapidement, avec détermination et équité.
L’Evangile de ce dimanche offre des indications précieuses à toute la famille humaine sur ce chemin que Jésus a tracé. Pour Jean, ce signe extraordinaire de Jésus est vécu à l’approche de la Pâque (v. 4): le détail chronologique ne l’intéresse pas autant que le contexte de don total que le Christ fait de lui-même: “il les aima jusqu’au bout” (Jn 13,1). Le lavement des pieds suivra, et encore la mort, la résurrection… La multiplication des pains est donc un signe que Jésus donne et qui vient de sa profonde émotion due à son amour pour les gens fatigués, abandonnés et affamés, sans pasteur. A l’évidence, cette “grande foule”(v. 2.5) n’est pas anonyme à ses yeux, mais elle a un visage et une dignité. Tous des enfants du Père, pas des esclaves. Tous invités au banquet: il les fait donc asseoir. S’asseoir à la table est un geste de dignité qui est pour Jésus et pour ses amis (v. 3), mais aussi pour les gens: Jean le répète trois fois en trois versets (v. 10.11). “Il y avait beaucoup d’herbe” (v. 10), détail rappelant l’attention du Pasteur qui invite à se nourrir aux “verts pâturages” (Sal 23,2). Si les fils sont assis à la même table et le pain y est partagé selon justice, les luttes et les guerres n’ont plus raison d’exister.
Les disciples Philippe et André constatent le peu de ressources disponibles, absolument inadéquates aux nécessités, face à tant de monde (v. 7.9). Mais Jésus se fait à une logique nouvelle: il accomplit le signe en partant des cinq pains d’orge (le pain des pauvres) et des deux poissons qu’un jeune garçon met à la disposition (v. 9); ayant rendu grâce, il encourage à distribuer et partager, jusqu’aux derniers, et il en restera (v. 12-13). Le rappel est précis, visant le miracle que Elysée avait accompli (I lecture). La parole multiplication ne figure pas dans le texte évangélique, où on parle plutôt de partage: la multiplication surabondante se produit pendant et par le partage. Le jeune garçon demeure pour sa part la clé de lecture du signe, puisque c’est par lui que le partage a commencé. Il représente aussi le disciple que Jésus appelle à se faire enfant pour entrer dans le Royaume (Mc 10,15): il n’est pas autorisé à accumuler pour lui-même, mais il doit partager ce qui lui appartient. Le chrétien, conscient d’appartenir à un seul corps et de partager avec les autres la même foi en un seul Seigneur (II lecture), sait que la participation à la table de l’Eucharistie lui demandera un engagement cohérent pour que toutes les tables soient fournies de pain pour tous. La mission, c’est bien cela, justement!
De quoi nous rassasier, et plus encore!
Jacques Marcotte o.p.
L’histoire des pains multipliés nous est rapportée dans l’Évangile selon saint Jean avec une attention toute particulière. Les nombreux détails introduits dans le récit suggèrent un événement hors de l’ordinaire. La scène est grandiose. Jésus a traversé la mer de Galilée. On l’a suivi parce qu’il accomplit des signes sur les malades. La foule se densifie donc auprès de lui. Nous sommes proches de la Pâque, la grande Fête juive. Jésus gravit la montagne; ses disciples sont là avec lui. Nous pressentons qu’il va se passer quelque chose d’important, de significatif. Devant tout ce monde qui vient à lui, Jésus fait figure du bon berger qui rassemble son troupeau. Et nous voyons qu’il a souci de ces gens dont il devine les détresses et les attentes.
Car voici que Jésus s’engage dans une entreprise étonnante. Il parle de nourrir tous ces gens. Personne ne lui en a fait la demande expresse. Mais son mouvement est décidé. Il va d’emblée au-devant des besoins de cette foule, au-devant des nécessités élémentaires de chacun/e.
Jésus s’informe d’abord auprès de Philippe. « Où pourrions-nous acheter du pain pour qu’ils aient à manger? » La réponse de l’apôtre fait bien voir l’ampleur du défi à relever pour qui veut nourrir une foule pareille. Et la contribution du jeune garçon qui s’avance avec ses cinq pains d’orge et ses deux poissons parait presqu’insignifiante devant l’immense table où Jésus s’apprête à servir le repas.
Pourtant c’est précisément à ce moment-là que tout bascule. L’apport minime du jeune garçon va faire pencher la balance du côté d’une grande merveille. L’impossible deviendra possible. Sur l’ordre du Seigneur, les gens vont s’asseoir sur l’herbe, comme les brebis en un vaste pâturage se reposent sous l’œil vigilant de leur berger. Jésus, le Bon Pasteur, va prier sur les pains et les poissons apportés par l’enfant. Il va rendre grâce à Dieu pour la générosité du petit garçon. Elle est immense!
Qui sait d’où il vient cet enfant? Peut-être vient-il d’une famille pauvre des bords du lac? Sa mère aura fait cuire les pains durant la nuit. Son père aura été à la pêche au petit matin. Et le voilà parti, son panier sous le bras, vers la grande foule qui s’assemble autour de Jésus. Il a l’espoir sans doute de ramener quelques sous à la maison.
Sollicité pour le grand projet de Jésus, l’enfant réagit timidement. Peut-être est-il d’abord contrarié? Leurs regards se croisent. Dans les yeux de Jésus, l’enfant voit une telle bonté! Jésus, lui, voit le bon cœur et la fierté de l’enfant; il voit l’amour de ses parents. Il se voit en lui, appelé à se donner lui-même par amour. Dans les yeux de l’enfant, Jésus voit nos gestes de partage, notre désir d’un monde meilleur. Il voit nos faims profondes. Il nous voit tous dans les yeux de ce petit bout d’homme, qui est l’un des nôtres, qui est chacun/chacune de nous. C’est tout ça que Jésus fait monter en louange vers son Père pour que nous revienne une immense bénédiction. Jésus assume le partage de l’enfant. Il est lui-même l’enfant qui partage. Et le Père saura bien traduire sa réponse dans une miséricorde infinie pour tout ce peuple rassemblé auprès de son Fils.
Dans les 12 paniers qui contiennent les restes, nous avons la preuve que le repas du partage a passé la mesure. Il déborde jusqu’à nous. Le Christ s’est donné une fois pour toute, mais le don qu’il nous a fait est surabondance! Qui aurait cru que l’apport généreux du pauvre enfant serait à la source d’une telle fécondité? Aurons-nous le courage d’imiter son geste pour avoir part nous aussi à la grâce du Fils bien-aimé. Son offrande fut décisive. La nôtre peut l’être aussi. L’Eucharistie nous en donne la mesure et la force, Elle peut faire de nous des êtres de don, de partage, de bénédiction pour tous.
http://www.spiritualite2000.org
Dieu fait l’impossible avec notre possible
« Donne-leur à tous ces gens pour qu’ils mangent » ordonne Elisée. Jésus, à son tour, se demande comment faire « pour qu’ils aient à manger ». Nous sommes devant la nécessité humaine la plus simple et la plus nécessaire : se nourrir. Recevoir d’autres de quoi manger. L’être humain nait, et grandit, en devant recevoir sa nourriture d’autres êtres que sont ses parents. Ce qui vaut du nourrisson vaut aussi d’une autre manière de l’adulte : nous sommes faits pour recevoir et pour donner, pour manger et pour donner à manger.
Mais remarquons que Jésus comme Elisée ont besoin qu’une personne offre généreusement ce qu’elle a … « Quelqu’un offrit à Elisée vingt pains et du grain frais. » Dans l’Evangile, un jeune garçon, offre « cinq pains d’orge et deux poissons. » L’anonyme d’Elisée et le jeune garçon ont tous deux fait confiance à l’homme de Dieu – en fin de compte à Dieu. Ils n’ont pas retenu jalousement ce qu’ils avaient, ils ont partagé de leur nécessaire, sans compter, et cela a porté du fruit. Ils ont offert quelque chose qui n’est pas extraordinaire, quelque chose qui est à la portée de tout le monde. Là est peut-être ce qui est à retenir pour nous. Il est si facile de se dire : je ne suis ni Jésus ni Elisée, comment puis-je donner à manger aux foules ? La question n’est pas là. Elle est : que puis-je donner de ce que j’ai ? Quel pain, quelle parole puis-je offrir ?
Ce n’est pas le côté miraculeux de le multiplication des pains qui importe. Non pas qu’il faille en rejeter la possibilité. Dans la vie de saints, comme Jean-Marie Vianney ou Don Bosco, on trouve attesté de tels faits. Le plus important à retenir, c’est que Dieu a besoin de notre libre collaboration. En réalité ; c’est bien Dieu qui prend soin de son Peuple à travers notre consentement : « tu leur donnes la nourriture au temps voulu ; tu ouvres ta main : tu rassasies avec bonté tout ce qui vit », chantions-nous dans le psaume. Dieu fait l’impossible avec notre possible. Il nous aide à franchir la peur de manquer lorsque comme nous y invite saint Paul, « ayez beaucoup d’humilité, de douceur et de patience, supportez-vous les uns les autres avec amour. »
Les deux récits de multiplication montrent qu’après avoir donné de son nécessaire, voici que ce nécessaire produit un reste qui est l’intérêt de ce qui a été investi sous forme de don. N’est-ce pas à un tournant de cette nature que notre société devra réfléchir et négocier pour sortir de ses impasses économiques et financières ?
Cela nous renvoie enfin à nos eucharisties. A la messe, le pain que nous rompons et que nous mangeons, s’il ne dit rien de ce que nous avons à donner et à partager, il a beau être consacré, il ne nous nourrira pas.
Mais si nous acceptons de partager, le texte de saint Jean nous le montre de manière impressionnante, nous entrons dans le mystère de Dieu:
Jésus PREND (les pains qu’on a accepté de lui donner)… REND GRÂCE (verbe grec : « eucharistein « eucharistie ») LES DONNE sans mesure et apaise notre faim de vérité, de confiance, de solidarité, de sens, de liberté, de joie, de paix.
Retrouvons l’esprit d’enfance pour donner ce que nous pouvons donner et recevoir le Don sans mesure qu’est Dieu.