« De nombreuses communautés de base centrent sur la Bible leurs réunions et se proposent un triple objectif : connaître la Bible, construire la communauté et servir le peuple. Ici aussi l’aide des exégètes est utile pour éviter des actualisations mal fondées. Mais il y a lieu de se réjouir de voir la Bible prise en mains par d’humbles gens, des pauvres qui peuvent apporter à son interprétation et à son actualisation une lumière plus pénétrante, du point de vue spirituel et existentiel, que celle qui vient d’une science sûre d’elle-même (cf Mt 11,25) » (Commission Biblique Pontificale, L’interprétation de la Bible dans l’Eglise, IV C 3)
8. LECTURE CONTEXTUELLE (Namur )
Le Centre de Formation Cardin (CEFOC), de Namur (Belgique) propose un itinéraire de lecture de la Bible qui part du texte pour aller à la vie.
Très sensible au fait que cette démarche ne peut pas être menée de manière spontanée ni immédiate, parce qu’elle présente des difficultés qui n’apparaisse pas à première vue, cette méthode part du constat que la Bible a été écrite dans un contexte social, culturel et religieux très différent du nôtre, c’est pourquoi la méthode insiste particulièrement sur une étude respectueuse qui nous aide à comprendre le texte à partir de son contexte propre, afin d’éviter des applications à la vie, trop naïves, sentimentales ou à caractère ouvertement fondamentaliste. Cependant, ceux qui ont élaboré cet itinéraire ne souhaitent pas qu’on le confonde avec une étude spécialisée de l’Écriture, parce qu’ils veulent qu’il soit accessible au plus grand nombre possible de personnes et ils soulignent que, quand nous nous approcherons à la Bible, nous le faisons pour répondre à nos questions fondamentales sur le sens de la vie et les options que nous devons prendre tout au long de cette vie. Ils veulent éviter que la Bible soit comprise comme une espèce de livre de recettes, qui offre des réponses – déjà faites et des listes pour son utilisation – aux questions, que les hommes et les femmes de toute génération pourraient se poser. Les choses sont plus compliquées et cet itinéraire peut nous aider à tenir compte de cela.
La Bible peut continuer à illuminer notre vie actuelle dans tous ses aspects, y compris les dimensions sociales et politiques, a condition que nous la lisions dans son propre contexte, c’est-à-dire, a partir de ses références culturelles propres.
ITINÉRAIRE
L’itinéraire concret de lecture se déroule selon les étapes suivantes :
Première lecture :
Découvrir la société du temps de la Bible
Avant de vouloir répondre avec la Bible à la main aux questions qui nous préoccupent, nous devons reconnaître que la situation sociale, politique, culturelle, économique, etc., dans laquelle nous posons nos questions n’est pas la situation où la Bible a été écrite. Plus encore, nous pouvons penser que de nombreuses questions qui nous inquiètent, ne sont jamais passées par la tête des hommes et des femmes qui ont vécu il y a au moins 2.000 ans. Par conséquent, nous pourrions difficilement affirmer que dans la Bible il y a déjà des réponses faites pour tout et pour tous. Il serait naïf de penser que, ce qui passe dans notre culture et en notre temps, c’est toujours passé et de la même manière dans toutes les cultures et à toutes les époques de l’histoire. Par conséquent, et afin de ne pas tirer de conclusions trop précipitées (et sûrement inadéquates) pour notre vie et nos problèmes, la première chose que nous devons faire en lisant la Bible est d’essayer de découvrir comment était la société de son temps. Seulement alors le texte dévoilera son véritable sens. Nous devons procéder de la manière suivante :
1. Découvrir les contextes historiques
D’abord, nous devons nous demander si derrière le texte que nous lisons il est possible de deviner l’existence d’un ou plusieurs contextes historiques.
Qu’est-ce que nous voulons dire par cela ?
Dans la Bible existent des écrits qui reflètent exclusivement une époque concrète. Par exemple, quand Paul écrit aux Corinthiens, vers les années 50, il le fait pour parler des problèmes de cette communauté en ce moment précis.
Par contre, quand Luc écrit son Evangile, vers les années 80, il prétend raconter, d’une part, les faits de la vie Jésus qui se sont déroulés en Palestine durant les années 30, mais, d’autre part, il essaye d’illuminer la situation et les problèmes concrets d’une communauté chrétienne de culture hellénistique durant les années 80. Tout cela est reflété dans le texte, qui par conséquent met ensemble deux arrière-plans historiques divers. De manière semblable nous pourrions parler des récits de l’Exode ou d’autres pages bibliques.
2. La lecture du texte
a) Qu’est-ce que le texte dit à propos de la société de son époque ?
Maintenant nous lisons le texte, et seulement le texte. Nous ne cherchons pas pour le moment d’autres aides, ni des informations supplémentaires. Nous ne considérons pas ici les caractéristiques originales et distinctives de Jésus ou de la communauté chrétienne, c’est-à-dire ce qui pourrait paraître choquant dans leur contexte culturel, mais nous prenons en considération précisément les éléments communs et partagés par tous dans la situation sociale du moment. Nous essayons de mettre en évidence ce que le texte nous dit sur la société de son époque dans tous les domaines possibles : économiques, sociaux, culturels, politiques, religieux…, en y cherchant les indices que peuvent nous aider à répondre à ces questions. Par exemple, en lisant les lettres de Paul, nous trouverons de multiples renseignements sur ce qui se passait dans les villes hellénistiques vers la moitié du premier siècle de nôtre ère.
b) « L’imaginaire social »
En faisant un pas en plus, nous essayons de comprendre comment les gens de l’époque percevaient et comprenaient leur propre situation, leur propre vie.
À travers les attitudes, les paroles ou les silences, on peut percevoir la mentalité de l’époque. Techniquement cette auto- compréhension on l’appelle » imaginaire social »
Le découvrir c’est fondamental pour voir si une certaine attitude ou une manière de s’agir correspond à la mentalité du milieu ou, au contraire, elle contraste profondément avec ce que tout le monde fait, dit ou pense. Par exemple, en lisant le dialogue de Jésus avec la Samaritaine (Jn 4), nous percevons les préjugés sociaux, de nature ethnique, religieuse (juif-samaritains), ou sexiste (homme- femmes) qui existaient à l’époque. Sur cet arrière plan, le comportement Jésus reçoit toute sa force. Naturellement, ce genre d’approche du texte a besoin d’un certain entraînement. Il se peut que lors d’une première lecture superficielle nous ne soyons pas à mesure de trouver aucune allusion à la situation politique ou économique de l’époque. Il est vrai que les textes bibliques n’ont pas été écrits avec l’intention première d’offrir des données sociales ou culturelles. En outre, personne ne perd son temps pour expliquer en détail à ses contemporains le patrimoine commun, et qui dans la culture ambiante est connu et assimilé par tout le monde. C’est pourquoi, beaucoup d’informations de ce type sont implicites mais, souvent, et sans le prétendre directement, l’auteur biblique nous offre des données très précieuses. Il suffirait que, peu à peu, nous affinions notre manière de lire, nous posions au texte les questions correctes et que nous nous habituions ainsi à trier des informations qui n’attirent pas habituellement notre attention.
3. Organisation de ce qu’a été découvert
Ensuite nous essayons d’organisé toutes les données qui ont été découvertes, en les groupant par chapitres : économie, politique, culture, religion, relations sociales, vie quotidienne, relations homme-femme, etc.. La lecture du texte peut nous suggérer d’autres aspects à considérer.
4. Recherche d’informations complémentaires
C’est le moment de compléter notre recherche avec d’autres informations supplémentaires que nous pouvons obtenir en consultant des sources différentes, selon notre niveau de compétence : les notes de la Bible, des textes bibliques parallèles, des textes extra-bibliques contemporains, des commentaires, dictionnaires bibliques, cartes, articles spécialisés…
Deuxième lecture :
Découvrir le “message” du texte
Une fois que nous avons essayé de comprendre la situation sociale et le contexte historique qui est derrière le texte biblique en question, nous sommes à mesure de nous demander quel est son message, compris non comme ce que le texte peut suggérer à nous, qui le lisons à plusieurs siècles de distance, mais précisément selon ce qu’il voulait dire aux hommes et aux femmes de l’époque où il a été écrit et, plus en particulier, à ses premiers destinataires, c’est-à-dire, à la communauté des croyants à laquelle il a été adressé pour la première fois. Pour cela il est nécessaire de bien se rappeler ce que nous avons découvert dans l’étape précédente. Cette tâche n’est pas une fin en elle-même. Nous ne voulons pas lire la Bible comme des historiens, simplement intéressés à savoir ce qui se passait à telle époque de l’histoire.
Ce qui nous intéresse en réalité est de trouver de la lumière pour notre vie, mais cela ne sera pas possible si auparavant nous ne nous prenons pas au sérieux le travail de voir comment les gens de la Bible essayaient de répondre à leurs questions les plus profondes. Et cela nous ne pouvons pas le faire à partir de nos présupposés, mais à partir des leurs. C’est pourquoi, nous ne devons pas projeter dans le texte biblique nos propres idées ou nos préjugés, pour y trouver ce qu’en réalité nous étions en train des chercher, mais nous devons plutôt nous laisser saisir par l’originalité du texte, en respectant sa distance et son autonomie par rapport à nous.
Pour cela nous pouvons nous aider avec quelques questions clef, parce que savoir questionner un texte est déjà une garantie pour pouvoir obtenir de ce dernier de bonnes réponses:
– Dans un premier temps (surtout si nous n’avons aucune idée à propos de ce que nous lisons), il vaut mieux commencer à poser des questions très générales comme, par exemple : qui agit ?, qui parle ? qui parle a qui ? comment ?, pourquoi ?…
Bien que ces questions paraissent très simples, souvent elles nous permettront de faire une série d’importantes découvertes. Celui qui est davantage formée pourra les omettre pour ne pas prolonger inutilement le processus de lecture.
– Ceux qui ont davantage de pratique et de compétence, pourrons utiliser avec profit une série de codes, c’est-à-dire, des classes de questions que nous devrons sélectionner en fonction du genre littéraire du texte (narratif, épistolaire, poétique…):
Le code actanciel : Qui sont les personnages ?, que font-ils ?, que disent-ils ?, quelles relations y-a-t-il entre eux ?, existe-t-il des oppositions ?, et des alliances?…
Le code temporel : Quelles indications de temps offre le texte ?, à quel moment?, ces indications ont-elle un sens particulier ou significatif ?…
Le code topographique : Quelles indications de lieu sont données par le texte ?, y- a-t-il des déplacements spatiaux ?, à quel moment on les mentionne ?…
Le code analytique : Est-ce que le texte offre quelques indices de l’analyse que les acteurs font de leur situation ou de la situation globale ?…
Le code stratégique : Existe-t-il des indices qui indiquent que les acteurs suivent une certaine stratégie avec leur manière d’agir ?
– L’étude du vocabulaire est nécessaire pour découvrir les intérêts et les accents d’un texte : Quels mots apparaissent plus fréquemment ?, dans quel lieu du texte apparaissent-ils ?, avec quels autres mots du texte sont-ils associés ou opposées?…
– L’évolution à l’intérieur du texte : Il est nécessaire d’analyser, spécialement dans les textes narratifs, quelle a été la transformation qui s’est opérée entre la situation initiale (décrite généralement au début du texte) et la situation finale. Tout cela nous fournira des indices précieux sur le sens du texte.
– Qui parle à qui ? Voir si le texte est écrit à la troisième personne (comme les récit), ou s’il emploie d’autres personnes et voir la valeur qui peut avoir cette utilisation dans chaque cas.
Troisième lecture :
Découvrir la relation avec le moment actuel
Si nous lisons la Bible ce n’est pas pour faire de l’archéologie, ni simplement pour accumuler des d’informations sur les cultures et les sociétés du passé. Ce qui nous intéresse surtout c’est d’illuminer notre vie et de répondre à nos questions les plus profondes. Pourquoi, alors, avons-nous fait tout ce long détour pour arriver jusqu’ici ? Nous l’avons déjà dit plus haut : pour éviter de faire des applications à notre vie trop immédiates, spontanées et naïves , qui s’avéreraient sûrement non mises au point ou franchement erronées.
Dans cette troisième étape nous souhaitons appliquer d’une manière créative ce que nous avons découvert jusqu’à présent, à notre situation actuelle, et non d’une manière mécanique, ce qui s’avérerait impossible, parce que nous nous sommes sûrement rendu compte que les choses ont changé depuis lors jusqu’à aujourd’hui, Il s’agit de dialoguer avec les gens de la Bible pour découvrir ce qui a illuminé leur expérience comme croyants, de sorte que nous puissions »le traduire” pour l’appliquer à notre situation et à notre monde.
Pour cela nous pourrions aussi nous aider avec certaines questions générales : En y-a-t-il ressemblance entre ce que nous avons lu à notre situation actuelle ? En quoi y a –t-il différence ? Des questions comme celles-ci nous aideront à découvrir les points de contact entre nous et les gens de la Bible, mais aussi les grandes différences. Seulement en prenant conscience de cette distance nous pourrons mener à bien une actualisation adéquate. Il se pourrait qu’à l’heure actuelle nous ayons l’impression que rien n’ a changé depuis lors, ou bien que entre notre situation et la leur il n’y a pas de points de contact.
Les deux conclusions sont déséquilibrées. Petit à petit nous apprendrons à nous situer dans le juste milieu.
On peut aussi poser des questions plus spécifiques, adaptées à la nature de chaque texte. Par exemple, s’il s’agit d’un texte qui parle de la violence (Cain et Abel), nous devrons réfléchir sur ce sujet et illuminer notre situation actuelle à la lumière d’un ce passage biblique bien précis.
SCHÉMA DE L’ITINÉRAIRE
Première lecture : Découvrir la société du temps de la Bible
- Les contextes historiques : un ou plusieurs ?
- La lecture du texte :
- Qu’est-ce que le texte dit de la société de son époque ?
- L’ « imaginaire social ».
- Organisation de ce qui a été découvert.
- Recherche d’informations complémentaires : notes, commentaires, articles..
Deuxième lecture : Découvrir le “message” du texte
- – Questions générales.
- – Codes.
- – Étude du vocabulaire.
- – L’évolution à l’intérieur du texte.
- – Qui parle à qui ?
Troisième lecture : Découvrir la relation avec le moment actuel
- – Questions générales.
- – Questions plus spécifiques.
ÉVALUATION ET SUGGESTIONS
Il est évident que cet itinéraire privilégie très spécialement l’analyse détaillée du texte biblique. Son objectif principal est de nous enseigner à »lire” un certain passage, ce pourquoi il ne suffit pas de comprendre matériellement les mots dont il est composé, mais il est nécessaire de savoir quel sens ces mots avaient dans le contexte historique, social, politique, culturel, etc., dans lequel ce texte est né. Cette méthode vise à aider à acquérir cette connaissance, cela constitue sans doute sa plus grande utilité et, à la fois, sa difficulté plus remarquable.
Pour mener à bien cette tâche, le Centre de Formation Cardijn (CEFOC) propose une série de suggestions intéressantes qui sont, pratiquement, des manières simples ou simplifiées d’appliquer certains instruments utilisés par différentes méthodes scientifiques d’interprétation biblique : méthode historique- critique, narratologie, analyse structurelle, etc..
Son intention, cependant, n’est pas de rester dans l’étude pure et simple du texte, mais d’illuminer la vie et répondre, dans la mesure du possible, aux questions fondamentales que tous nous nous posons. Mais pour attendre ce but il propose une série d’instances critiques afin d’éviter des lectures ou des actualisations trop naïves ou fondamentalistes.
– La dimension communautaire est explicitement requise comme un élément en plus pour atteindre l’objectivité de l’interprétation qui est poursuivie. En travaillant ensemble on évite mieux le subjectivisme et on enrichit l’analyse par la contribution de tous.
– La dimension croyante, à première vue, n’est pas spécialement soulignée (il manque, par exemple, un temps consacré à la prière ).
Cela dépendra surtout de l’horizon dans lequel les personnes qui utilisent cette méthode posent leurs questions vitales. Même si cet horizon n’est pas celui de la foi, la méthode ne perd pas son intérêt et ni son utilité. Beaucoup d’éléments de cet itinéraire sont encore utilisables, bien qu’ils se situent dans une autre dimension.
Cet itinéraire se veut utile pour de nombreuses personnes, mais cela ne paraît pas si simple à obtenir, particulièrement s’il s’agit de gens avec une formation élémentaire, ou, bien qu’en possédant une formation supérieure, n’ont pas été introduits, avec une certaine profondeur, dans le monde de l’interprétation biblique. En tout cas, et même en disposant d’un certain entraînement, la présence d’un expert ou d’un animateur avec une compétence biblique suffisante paraît indispensable. L’existence d’une bibliothèque moyennement dotée sera aussi un appui nécessaire pour ceux qui utilisent cet itinéraire.
Il faut penser aussi que beaucoup seront découragés face aux premiers résultats assez maigres. Les instruments fournis par la méthode du CEFOC favorisent surtout l’analyse de textes narratifs. Ils devraient être complétés avec d’autres qui facilitent l’étude d’autre genres de textes (épistolaires, oratoires, poétiques…).