SOMMAIRE
– Introduction
– I : Concept général. La méthode des Pères, L’exégèse spirituelle
– II : Dispositions fondamentales pour la lectio divina
– III : les différents moments de la lectio :
1) lectio ; 2) meditatio ; 3) oratio ; 4) contemplatio
– IV: Quelques difficultés
– Conclusion
INTRODUCTION
Durant longtemps, la période patristique et le haut moyen age, la pratique de la lectio divina fut continue et très ressentie par les moines et aussi en dehors. Au fur et à mesure, à partir du 12è siècle, elle se fit plus rare jusqu’à disparaître totalement à l’époque de l’épanouissement de la devotio moderne (15è siecle), quand la spiritualité trouva une forme de prière nouvelle et l’oraison mentale devient un exercice de piété qui ne s’alimentait plus tout d’abord à l’Ecriture Sainte.
Tout cela a duré jusqu’au mouvement biblique du 20è siecle avec le retour à l’Ecriture Sainte ; entre 1940 et 1950, suite au développement liturgique en France, la formule se rependit à nouveau parmi les moines et ailleurs.
De notre temps donc on a redécouvert l’importance pour le moins – si pas encore la pratique habituelle et sapientielle – de la lectio divina, surtout après la Constitution dogmatique Dei Verbum sur la révélation divine du Concile de Vatican II qui se nourrit de mots et d’idées venant de la tradition de la lectio divine aux différentes époques. On peut dire que la partie finale de la DV en prône la pratique.
I. CONCEPTE GENERAL
LA METHODE DES PERES. L’EXEGESE SPIRITUELLE.
Qu’est-ce donc que la lectio divina? C’est un mode particulier de s’approcher de la parole de Dieu, en vue surtout de la prière, et l’écoute-reponse de Dieu à travers la parole écrite : « Dans les livres saints le Père (…) vient à la rencontre de ses fils et dialogue avec eux » (DV 21). Pour les pères de l’église et du monachisme, la bible était chose familière et normale : le contact continu, amoureux avec la parole de Dieu jusqu’à l’assimiler et se faire assimiler. C’est pourquoi dans la Règle Benedictine on ne saurait trouver une doctrine systematique de la lectio, parce que celle-ci est donnée comme excomptée. On dit seulement à plusieurs reprises “vacare lectioni” “s’adonner à la lecture”, ou encore “in lectione divina”, dans la lecture divine ». Dans son sens premier et stricte ça voulait dire lecture de l’Ecriture Sainte.
Depuis les origines du monachisme, la bible a été le livre des moines anachorètes et cénobites ; les grands maîtres insufflaient la nécessité de la lecture fréquente et assidue. L’écriture sainte, appelée aussi aliment célestiel, pain du ciel, pain et sang du Christ, constituait l’instrument incontournable – et souvent unique – de la formation du moine et de son itinéraire spirituel jusqu’à sa rencontre avec Dieu. S’adonner à la lecture divine (divinae vacare lectioni) était la formule par laquelle on indiquait cette lecture approfondie du moine, cette assimilation de la parole de Dieu à travers la lecture.
Saint Pacôme avait établi que tout le monde dans le monastère sache par cœur certains passages de l’écriture sainte et au minimum le nouveau testament et le psautier. Était là le programme commun qui généralement était respecté par tous les moines.
La bible constituait la lecture essentielle, fréquente, assidue des moines et de toute l’église. Au moyen âge nous n’avons qu’une exégèse bien imparfaite en comparaison à celle de notre temps rendue possible par les progrès de la philologie et des autres sciences modernes.
Cependant à l’époque l’écriture sainte alimentait abondamment la vie des moines et de l’église en général, surtout par une exégèse spirituelle. Pour les moines anciens et du moyen âge, on ne peut séparer la bible des commentaires qu’en ont faits les Pères de l’église. Leurs écrits sont souvent désignés comme des expositiones, expositions des livres saints car, quelque soit le genre littéraire par eux adopté, ils n’ont fait rien d’autre qu’expliquer les versets de l’écriture.
Concrètement les moines avaient une telle familiarité avec l’écriture sainte qu’ils en étaient tout à fait pétris : sans aucun doute la bible était-elle le livre du moine et le moine était l’homme de la bible. Sa prière était souvent une répétition lente mais savoureuse des versets de l’écriture sainte (ce qu’on appelait ruminatio). A la base de cet intérêt primordial et presque exclusif pour la bible il y a la conviction qu’il existe un lien étroit entre vie monastique et parole de Dieu. En particulier la conviction qu’il y a unité entre les différentes phases de l’économie divine : depuis l’ancien testament en avant c’est la même histoire du salut qui atteint son sommet dans le mystère pascal du Christ auquel chaque moine, chaque chrétien, participe en faisant siens propres les mystères dont parlent les Ecritures. En un certain sens le même Esprit de Dieu qui a inspiré les auteurs des livres saints, continue à agir en ceux-là qui les lisent et qui cherchent à répéter la même expérience évoquée par les textes sacrés.
Les moines surtout voyaient leur vie dans cette ligne : “la vie monastique comme Histoire du salut ». Toute l’écriture partant doit être vue dans l’unité de l’AT et du NT, à la lumière du mystère du Christ et de l’église. L’ancien testament doit être lu comme préparation au nouveau testament, comme une grande histoire prophétique, une grand prophétie qui annonce le Christ, l’église et nous. Le Christ est la clé des testaments parce qu’Il est la parole définitive de Dieu, la parole le Verbe fait chair à la plénitude des temps. En lui toutes les promesses de Dieu et les paroles précédentes ont trouvé leur achèvement : « Lui que je cherche dans les livres »disait saint Augustin.
Mais le mystère du Christ continue dans le mystère de l’église et dans la vie de chaque chrétien qui réalisent ainsi le mystère du salut. Donc toute l’écriture sainte doit être lue comme annonce-prophetie du Christ, de l’église, du chrétien. Voilà la méthode des Pères dont la réflexion a engendré la doctrine des divers sens bibliques. La tradition médiévale en connaît quatre :
– sens littéraire (la lettre enseigne les faits)
– sens allégorique (l’allégorie enseigne ce que tu dois croire) ;
– sens moral (le sens moral t’apprend comment agir) ;
-sens anagogique, ou eschatologique ou contemplatif (l’anagogie t’apprend ce à quoi tu dois tendre).
Le sens littéral est l’écorce, les trois autres constituent l’approfondissement, le sens spirituel. Le propre de la tradition monastique c’est l’accent mis sur l’aspect expérientiel et l’aspect eschatologique. Et le maître par excellence du sens spirituel est saint Grégoire le Grand. Ses commentaires bibliques démontrent le sens profond qu’il découvre dans les saintes écritures puisque pour lui la vie spirituelle c’est l’accomplissement de l’histoire sainte en chaque fidèle. « Ces choses que nous croyons s’être réalisées historiquement nous espérons qu’elles se réaliseront aussi mystiquement ». Bède le vénérable faisait ce commentaire au texte de Grégoire : « il a expliqué le livre (de Job) selon le sens littéral, et comme il doit être rapporté aux mystères du Christ et de l’église et comme il doit être appliqué à chaque fidèle ».
C’est donc le mystère du Christ, de l’église et de chacun de nous. La valeur théologique de la lectio entendue comme lecture objective doit être reconduite à ce critère, Il s’agit ainsi de s’adapter soi-même à ce que dit la bible, revivre toutes les aventures du peuple élu, tout l’évangile, la vie des apôtres, etc.… L’écriture sainte nous donne le moyen pour passer par les expériences religieuses dont elle parle et elles sont très variées. C’est pourquoi elles peuvent répondre aux besoins de tout le monde et de touts les situations si rituelles. L’âme doit éprouver les états d’esprit intérieurs des saints de l’ancien testament et du nouveau testament, réaliser leurs actes, reproduire leurs vertus, imiter leurs pénitences. (…)
II. LES DISPOSITIONS FONDAMENTALES POUR LA LECTIO DIVINA
C’est bien avec cette mentalité que nous devons nous approcher aujourd’hui encore du texte sacré. Le concile rappelle que l’écriture sainte dit être lue et interprétée à l’aide de l’Esprit Saint, par lequel elle a été écrite » (DV12). Il faut la lire dans la foi, pénétrée par l’action de l’Esprit Saint, comme une parole venant de Dieu et qui porte à Dieu. (…)
Remarquons aussitôt que la lectio divina n’est pas seulement lecture ou étude de l’écriture sainte : c’est la recherche de Dieu dans sa parole écrite. Une lecture spirituelle, qui a pour but de préparer une conférence, un article, une homélie, ou bien la curiosité érudite ou esthétique, ne répond guère à la définition de la lectio divina. Elle vaut non pas tant par ce qu’elle nous permet d’acquérir mais pour ce qu’elle nous fait devenir (être). Voilà pourquoi on parle alors de lecture sapientielle (la sagesse est un goût des choses de Dieu, un don de l’esprit, c’est une contemplation des écritures, une lecture en vue de la prière. Alors elle est une lecture sainte et divine. Nous gardons donc l’expression LECTIO DIVINA.
Quelques textes nous aideront à comprendre mieux quelques aspects de la lectio.
Néhémie 8,1-12 nous pouvons remarquer une espèce de théologie de la liturgie de la parole. Apres le retour de l’exil commence une nouvelle phase historique pour tout Israël et cela dans le cadre d’une liturgie solennelle à laquelle on convie tout le peuple. (vv1-2). Après une bénédiction de louange au Seigneur, on lit la parole de Dieu pendant toute une journée, morceau par morceau, en traduisant les paroles en hébreu au peuple qui ne connaissait que l’araméen, par une explication et un commentaire faits pour Esdras et des lévites. Le peuple, pensant à ses propres infidélités envers l’alliance est poussé au repentir et il pleure. Voila une caractéristique de la lectio : dans sa parole Dieu se fait présent, touche et pénètre les cœurs. Alors l’homme est désarmé face à la parole, il capitule. Aussitôt apparaît la contradiction entre l’initiative de Dieu et l’infidélité de l’homme, de là le repentir. Mais ce sont des larmes salutaires pour le salut ; Alors voici la parole de consolation : ne pleurez pas (v9).
En Luc 4,21, Jésus nous donne un approfondissement de la méthode de la lectio : tout d’abord parce qu’il réalise en lui ce que les écritures disaient ; ensuite parce qu’il rapporte au présent la parole de Dieu. Le texte d’Isaïe 61,1-2 trouve son aujourd’hui dans la proclamation de Jésus « Aujourd’hui s’accomplit… » La parole de Dieu écrite dans les livres saints n’a pas été dite seulement au moment où il parlait à son porte parole, mais elle es dite (dans le sens fort du mot) à chaque fois que le texte est proclamé, de quelque manière que ce soit, dans la célébration liturgique (SC 7 ; DV 21) ou encore dans la lecture privée car la parole de dieu est vivante et efficace (Hb 4,12).
Donc Dieu me parle en ce moment. L’actualisation de la parole de Dieu pour ici et maintenant c’est le pivot de la lectio divina. « Aujourd’hui s’accomplit en vous cette écriture ». Voilà pourquoi on parle de lecture personnelle, de confrontation continue avec les écritures. Selon une définition assez répandue au moyen âge à la suite de Grégoire le §Grand, mais dont la paternité est de saint Augustin, , la bible est comme un miroir où l’on doit pouvoir voir réfléchie l’image à suivre et si sa propre conduite s’en écarte, il faut que chacun réduise ou élimine l’écart qui rend l’homme difforme du modèle biblique. Le Maître intérieur adresse à chacun un message personnel et unique, mais cela à l’aide d’un message universel, antérieur à nous qui, dans la bible est proposé à tout le monde. Il revient à chacun de se l’approprier, l’intérioriser, le mettre en œuvre.
Chacun pourra avoir des préférences par rapport à tout ce qui constitue les différentes parties de la bible. Tel se nourrira bien de l’ancien testament, tel autre du nouveau testament, tel autre encore aimera davantage saint Paul ou les évangiles, les synoptiques ou saint Jean. Tel se retrouve à son aise dans les livres sapientiaux ou dans les psaumes ou dans les prophètes. Puisque dans la bible on trouve tout, on peut se référer à tous les cas : que chacun mette devant le texte sacré ses questions et ses problèmes et Dieu lui donner la réponse qui convient, parce que la lectio est un dialogue d’amour, le cœur se laisse toucher par ce que Dieu dit. Dieu parle et je lui réponds. C’est un dialogue d’amour et le cœur se laisse toucher par ce que Dieu dit. Dieu parle et je lui réponds. C’est une conversation avec une personne vivante qui m’interpelle et m’implique dans une communion de vie. Voilà la grande, suprême exégèse. Et c’est là aussi le noyau ce la lectio divina.
III LES DIFFERENTS MOMENTS DE LA LECTIO DIVINA
Nous allons illustrer les différents moments de la lectio divina tels qu’ils on été consacrés par la tradition monastique, car il s’agit d’une lecture méditée et priante de la parole de Dieu. Au 12è siècle Guigue II le chartreux a synthétisé comme ceci les étapes : 1. lectio ; 2. meditatio ; 3. oratio ; 4. contemplatio.
1. Lectio
C’est le point de depart. Pour atteindre l’intimité avec la sacra pagina dont on a parlé plus haut il faut une lecture continue et organique.
Tous les auteurs monastiques insistent sur ce point parce qu’il est la condition préliminaire pour établir avec le texte un rapport personnel profitable. Dès lors il faut s’appliquer au texte avec attention, avec calme et surtout s’y approcher dans l’esprit. Avant de commencer la lecture il faut se mettre dans une disposition particulière et invoquer l’Esprit Saint pour qu’il vienne illuminer. Un auteur moderne dit que la parole de Dieu a besoin d’une épiclèse (comme le pain et le vin) . Dans la lectio divina le croyant doit faire cette épiclèse en union avec la grande épiclèse eucharistique. Il faut ensuite fidélité, continuité, assiduité. Il faut consacrer a la lectio divina un temps et un temps adapte et non pas des bribes de temps, en toute hâte et dans la distraction. Or cela n’est pas facile aujourd’hui. Cela peut devenir un veritable exercice d’ascèse. Il faut que ce soit une lecture assidue: c’est là une condition indispensable pour la lectio divina.
Il faut lire la bible souvent et la lire entièrement, sans omettre les parties de l’ancien testament qui peuvent paraître peu utiles à la vie spirituelle. Parfois on sera tenté de choisir des textes bien denses, mais mieux vaut suivre toutes les parties car de cette manière on introduit dans la vie intérieure un élément de variété. L’esprit humain peut s’habituer à tout aisément. N’oublions pas non plus que la parole de Dieu a la qualité d’être un aliment quotidien et comme chacun de nos repas, pas toujours elle peut nous donner la satisfaction et l’apaisement dont on jouit ne qu’à de rares moments. Le cas d’aridité devient le moment de l’écoute de Dieu dans la foi, l’obscurité de la foi. Les silences de Dieu sont salutaires parce qu’ils nous font comprendre notre incapacité à prier et nous aident à fixer notre regard en Dieu seul. (concrètement on pourrait choisir deux voies : soit suivre le lectionnaire quotidien et ainsi on aura la référence à la liturgie du jour, soit un fera une lecture continue de chacun des livres de la bible; mais ici aussi chacun a son expérience..). Le résultat de ce contact continu avec la parole de Dieu ce sera une sorte de conditionnement psychologique avec les idées, les images, les phrases mêmes de l’écriture sainte, jusqu’à nous faire acquérir ce qu’on peut appeler la mentalité biblique qui va influer continuellement sur nos choix.
2. Meditatio
C’est le deuxième moment qui ne se distingue par ailleurs pas trop du premier : on passe insensiblement de la lecture à l’approfondissement. Pour les anciens la meditatio ce n’était pas ce que nous entendons aujourd’hui. Pour les anciens la meditatio était un exercice de répétition même orale, des paroles jusqu’à apprendre le texte par cœur. Et dans cet exercice c’est toute la personne qui intervenait : le corps, parce que la bouche prononçait le texte. La mémoire qui la gardait, l’intelligence qui s’efforçait à en pénétrer le sens ; la volonté qui s’efforçait de la mettre en pratique. Les pères parlaient aussi de mastiquer la parole. C’est ce qu’on appelait la ruminatio de l’écriture sainte, à savoir un retour sur le texte, en évoquer les paroles, retrouver le thème central et l’imprimer profondément dans le cour. Les témoignages sont on ne peut plus nombreux : Athanase au sujet d’Antoine le Grand, Jérôme, Ambroise, Augustin, Isidore jusqu’au moyen âge : eux tous cherchaient la saveur de l’écriture, non la science.
Jean de Fecamp (11è s.) parle de « goûter la parole dans la bouche du cœur » (in ore cordis). Au fait on a du mal à traduire l’expression. Tous ces témoignages on doit les voir à la lumière du psaume 118 : « Au cœur de la nuit je médite ta parole.., au cœur de la nuit je me lève pour lire ta parole…, je médite ta parole…, je désire ta parole.., ta parole fait ma joie…, jour et nuit je médite ta parole…, ta parole me fait vivre… » (Ps 118). Comment ne pas évoquer ici le modèle de la très sainte Vierge Marie ? Elle, l’humble servante du Seigneur qui a cru à la parole, elle gardait le silence, écoutant, méditant et gardant toutes ces choses dans son cœur (Lc 2,19.51 ; 11,27-28).
S’agissant d’un travail patient d’approfondissement, d’une dégustation de la parole d Dieu, on peut se servir d’autres moyens culturels et scientifiques dont nous disposons ainsi que des commentaires patristiques et spirituels. N’oublions pas que le but est la méditation du texte même ; la compréhension du texte comme la lectio divina la requiert tient de l’intelligence de toute la bible, de la connaissance de l’écriture par l’écriture, de la capacité de la lecture à travers les concordances, rapprochements, rappels de textes parallèles. Prenons dans la BJ un texte et puis allons chercher tous les rappels indiqués en marge de la page. On verra alors que l’horizon va s’élargir et tout doucement on entre dans l’atmosphère de la parole de Dieu. Un espace de résonance se crée qui illumine et grandit le message et provoque sous l’action de l’Esprit Saint, l’intelligence extensive et spirituelle. Grégoire le Grand a une belle expression : L’écriture grandit avec celui qui la lit (scripture crescit cum leyente). C’est-à-dire, les écritures saintes se développent et grandissent dans leur sens et dans les annonces prophétiques de salut à la dimension de la foi et de l’amour de celui qui lit.
3. Oratio
Les moments précédents presque conduisent à la prière. En réalité ce que nous avons dit jusqu’ici est une forme de prière. Il est question d’en prendre conscience et c’est la réponse à la lecture ; on entre en conversation avec Dieu : la parole de Dieu est venue jusqu’à nous et maintenant elle retourne à Dieu sous forme de prière. C’est ça la vraie prière chrétienne celle qui jaillit du cœur touché par la parole divine. « Ne dis rien sans Lui, commentait saint Augustin, et Lui ne dira rien sans toi ». Si on prie avec la parole de Dieu alors Dieu ne rendra pas vaine sa parole en nous. Il s’agit de faire nôtres les paroles de l’écriture, de le faire rentrer dans notre cœur pour ensuite les rendre à Dieu après les avoir marquées de notre adhésion. Saint Augustin dit encore : « Si le psaume est une prière, priez ; si c’est un gémissement gémissez ; si c’est une reconnaissance, soyez dans la joie ; si c’est un texte d’espérance, espérez ; s’il inspire la crainte, craignez ». C’est une réponse dans l’humilité, dans la petitesse, mais aussi dans la franchise possible quand on parle à Dieu avec ses propres paroles.
Habituons-nous à nourrir donc notre prière de tout ce riche dépôt que la parole de Dieu lue dans le silence ou écoutée dans la proclamation liturgique a laissé en nous.
4. Contemplatio
On n’y arrive pas par ses propres efforts. C’est plutôt un don de l’Esprit Saint qui fleurit sur notre lecture priée. Ce n’est pas de l’extase, ni une expérience extraordinaire ou un état mystique ou une vision mais une expérience vive de foi. C’est le Christ qui se manifeste dans les écritures. Il est entré dans la partie la plus profonde de notre être ; il ne nous reste qu’à le contempler, comme Marie à Bethléem et comme Marie de Béthanie assise au pied du Seigneur. Chaque page de l’écriture nous dévoile le Christ et le fait apparaître dans la lectio divina.
Dans l’évangile de saint Jean Jésus promet l’expérience de Dieu à qui l’aime vraiment et accueille sa parole, là où il parle de « se manifester » à lui (Jn 14,21.23) et ailleurs il dit : « Celle-ci est la vie éternelle : qu’ils te connaissent, toi l’unique vrai Dieu et celui que tu as envoyé le Christ Jésus » (Jn 17,3). Nous savons toute la force du verbe connaître, qui est une connaissance fruit d’amour, entrer en communion profonde, créer un rapport d’intimité avec Lui, une connaissance sapientielle, cette connaissance du Christ dont parle aussi saint Paul (Eph 3,10 ; Phil 3,10 ; Col 1,10 ; 2,2-3…) et qui s’identifie avec la foi adulte du chrétien. C’est même ce que l’apôtre demande pour les fidèles : « Que le Christ habite par la foi dans vos cœurs et que vous soyez à même de connaître l’amour du Christ qui dépasse toute connaissance, pour que vous soyez comblés de toute la sagesse de Dieu » ( Eph 3,16-19). Celle-ci est la substance de ce que Cassien et la tradition monastique appelaient l’oratio pura , celle-ci est la contemplatio dans la dernière étape de la lectio divina.
IV QUELQUES DIFFICULTÉS
Au terme de cette exposition nous ne voulons pas cacher quelques difficultés. Si l’on dit – et à raison – que la piété monastique est fondée sur la bible, il ne faut pas oublier que le sujet de cette lecture c’est l’homme concret, l’homme de notre temps, avec tout son bagage psychologique et ambiant.
Une première difficulté provient du fait même de la lecture, de la manière dont l’homme de notre temps se sert de la lecture. L’homme moderne lit rapidement, la civilisation moderne exige vitesse dans la lecture même, laquelle est surtout informative e tend à vouloir faire connaître le plus grand nombre possible de choses dans le moindre temps. La lectio divina au contraire est faite avec lenteur. La lecture qui recherche de nouvelles connaissances progrèsse de manière rapide, la lectio au contraire se fonde sur la ruminatio, à savoir sur une lente assimilation du texte lu. L’homme moderne ensuite lit et se documente en vue de l’action, sa lecture vise l’efficacité, l’efficience : la lectio divina par contre doit être désintéressée. L’homme moderne, en outre, lit pour se distraire : d’ici la mode des romans d’évasion, des polards intriqués, de la science fiction justement afin de s’évader du quotidien, de la vie de tous les jours : la lectio divina est une lecture engagée, où la personne se sent véritablement impliquée. L’homme moderne se renseigne et se distraie collectivement : jusqu’à il y a quelques années il y avait la civilisation du livre développant une information individuelle. Maintenant par les mass media, la civilisation produit un type d’information collective : la lectio divina est une lecture solitaire, elle implique un rapport très personnel entre la page sacrée et le lecteur.
Autre difficulté : n’oublions pas que l’écriture sainte n’est pas toujours si facile ni immédiate ; elle demande une certaine préparation, l’étude et donc du temps. Autre difficulté encore tient du fait que les textes des pères ne sont pas si goûteux à chaque fois, s’il n’y a pas une formation préalable, si l’on ne rentre pas dans une certaine mentalité. Certaines interprétations allégoriques nous semblent plutôt recherchées et forcées, elles ne nous donnent pas le sens de l’immédiateté, de l’actualisation obvie et évidente, car nous sommes habitués à un autre langage. Toutefois il ne faut pas laisser les pères : leur méthode est la meilleure qui soit pour un lecture priante de la bible, elle est une nourriture dure mais solide et nourrissante.
Ajoutons à cela la difficulté qu’a l’homme moderne à se recueillir et à ses concentrer. Pour cela il lui faut de l’effort continu, de la fatigue, de l’entraînement. Dès lors il faut reconsidérer le rapport entre prière, lectio et ascèse. Il y a le grand problème d’une certaine préparation à la prière et à la lectio divina : une préparation lointaine qui comprend toute la vie, un effort de cohérence à sa propre vocation, une fuite par rapport à une agitation excessive et à une dissipation dans le travail ou dans le ministère. Une préparation immédiate en vue d’établir la paix et le silence en nous-mêmes et à l’extérieur bien entendu. Voilà autant de choses qui ne sont pas faciles et surtout on ne peut les donner comme escomptées. Nous devons tenir en compte les situations concrètes de la vie et de la personne humaine ! De là il s’ensuit le problème de fond, à savoir la dimension plus contemplative de la vie monastique. Pour arriver à ce climat favorable à une lectio divina profitable il faut récupérer la valeur de la solitude, du silence, d’une vie cachée en Dieu.
CONCLUSION
Devant les difficultés évoquées jusqu’ici et face à tout ce qui a été dit, on pourrait avoir l’impression qu’il s’agit là d’un apparat complexe et l’on pourrait se demander si la lectio divina ne soit pas un exercice monastique devenu désuet, une sorte de déchet d’une civilisation passée. Mais si on fait de l’espace à l’esprit du Seigneur, si on se met devant Lui en toute simplicité et pauvreté, alors tout parait plus simple. Il faut en faire l’expérience, quoique dans l’effort voire l’aridité. Il nous faut revenir à la lectio divina, revenir à cette méthode vraie de vie spirituelle.
Saint Grégoire le Grand reprochait avec douceur Théodore, son cher ami médecin, de ne plus trouver le temps pour s’adonner à la lectio divina quotidienne comme il en avait pris l’engagement. « Chaque jour médite les paroles de ton Créateur. Connais le cœur de Dieu dans la parole de Dieu ». Servolo, homme paralytique et analphabète, qui au coût d’un grand sacrifice s’était procuré le code de l’écriture sainte, et se la faisait lire par ses visiteurs Grégoire le présente comme exemple. A l’abbé Jean recommande de s’adonner à la lecture et à l’oraison et à ses moines il adresse la même invitation, se lamentant de ce qu’il ne les voyait pas s’adonner à la lectio. Le saint abbé Equitius qui a plusieurs points en commun avec saint Benoît, Grégoire le présente dans sa prédication pérégrinante, avec son code de la bible à la main. Grégoire lui-même pontife, mais fidèle en tant que moine à la lectio divina. Dans sa prédication en faisant le commentaire d’Ezékiel fait cet humble et émouvant examen de la conscience face à la parole de Dieu : « Je ne peux me taire ; je parlerai, je parlerai afin que l’épée de la parole de Dieu parvienne à transpercer ; je parlerai, je parlerai afin que la parole de Dieu résonne aussi contre moi par moi-même ».
Estratto da “Appunti sulla Regola di S. Benedetto” di D. Lorenzo Sena, OSB. Silv. – pubblicato sul sito Web del Monastero S. Vincenzo di Bassano Romano (VT) (http://sanvincenzo.silvestrini.org)