Anselm Grün, moine bénédictin, est abbé du monastère de Münsterschwarzach en Allemagne. Docteur en théologie et psychologue, il est accompagnateur spirituel. Ses livres connaissent un grand succès en Europe. Plusieurs ont été traduits en français.
Méditations pour le temps de l’Avent
Anselm Grün
L’Avent, adventus : advenit – il arrive
Le mot d’origine latine « Avent » signifie « arrivée ». Nous attendons la venue de Jésus-Christ dans notre monde. L’Église parle d’un triple « avent » : la venue de Jésus lors de sa naissance, il y a deux mille ans, sa venue intérieure en nous, aujourd’hui, et son retour en majesté à la fin des temps. Mais en quoi la venue du Christ nous concerne-t-elle, d’une façon générale ? Ne vaudrait-il pas mieux que vienne pour nous l’Ami, ou l’Amie ? Ne faudrait-il pas plutôt une autre forme de gouvernement, de société ? Quel effet peut donc bien produire la venue de Jésus dans notre vie, dans notre monde ?
Souvent j’entends cette plainte : « Je ne sais même pas encore tout à fait où j’en suis, ni quelle est ma place. Qu’on me laisse donc la trouver, pour commencer ! » La plupart du temps, nous ne sommes pas vraiment là où nous sommes. Nous ne savons pas encore où nous en sommes, au fond de notre âme. Cependant, nous employons cette notion de « place » aussi dans un autre sens. Nous disons d’un être qu’il sait se faire sa place parmi les autres, qu’il est bien reçu par eux. Tel nouveau chef de service est bien reçu par ses collaborateurs, il sait se faire accepter, il est apprécié.
Lors de l’Avent, nous fêtons la venue de Jésus-Christ parmi nous, dans nos cœurs. Cela signifie d’abord que Jésus vient à nous, qu’il frappe à la porte de notre cœur. Bien entendu, nous savons qu’il est déjà venu. Il est venu sur cette terre, il y a deux mille ans, sous sa forme humaine, pour être avec nous. Et il y a bien longtemps qu’il est là avec nous. Il est parmi nous quand nous célébrons le service divin. Mais si nous l’éprouvons comme Celui qui vient, c’est parce que nous ne sommes pas encore, nous-mêmes, vraiment arrivés chez nous. Karl Valentin a dit cela de façon tout à fait excellente : « Ce soir, j’ai de la visite. J’espère que je serai là, chez moi ! » Souvent, nous ne sommes pas chez nous en nous-mêmes. Nous sommes quelque part, n’importe où, dans nos pensées, nos sentiments. Nous nous promenons avec eux. Comme nous ne sommes pas chez nous, nous éprouvons le Christ, qui est là depuis toujours, comme Celui qui vient. La question est de savoir si, ce Jésus qui vient, nous le recevons vraiment, s’il réussit à se faire entendre quand il frappe à notre porte, ou si nous ne l’entendons pas.
Le mot « aventure » vient du latin populaire adventura : ce qui va arriver ce qui doit arriver, participe futur de advenire, advenir. Quand Dieu vient à nous, c’est toujours pour nous une aventure. Alors toutes nos certitudes les mieux établies s’effondrent. De nombreux contes ont pour thème un être qui attend la venue de Dieu. Il prépare un repas de fête, mais les autres contrecarrent ses préparatifs. Un pauvre vient à lui et lui demande de l’aide; il le renvoie. Un jeune vient à lui, mais le dérange dans son attente de Dieu. En fait, c’est Dieu lui-même qui est venu en ces êtres démunis. Mais nous sommes tellement fixés sur nos images de Dieu que, quand il vient, nous ne le voyons pas. Nous attendons toujours une venue qui sorte de l’ordinaire, et ne remarquons absolument pas que Dieu vient à nous tous les jours, sous la forme d’êtres qui nous demandent quelque chose, d’êtres qui nous font le don d’un sourire. Chaque rencontre d’un être humain est une aventure, une venue de Dieu vers nous, mais qui ne devient un événement particulier que si nous y sommes ouverts.
Dans En attendant Godot, cette pièce dont le thème est précisément l’Avent, Samuel Beckett montre les deux clochards Vladimir et Estragon attendant en vain un certain M. Godot. Ils attendent, attendent sans fin, mais Godot ne vient pas. Ils essaient de se pendre, mais sans succès : la corde se casse. À ce moment, Estragon dit : « Et s’il vient ? » Et Vladimir répond : « Nous serons sauvés. » Si Dieu vient à nous, nous sommes sauvés. C’est ce que bien des gens attendent aujourd’hui. Mais leur attente est vaine :ils ne perçoivent pas la venue de Dieu.
Dieu, il vient à tout instant. C’est ce que disent les mystiques. La question est de savoir si nous remarquons sa venue. Il vient à nous sans bruit dans les élans de notre cœur. C’est ainsi qu’il frappe à notre porte : il voudrait entrer. Mais peut-être sommes-nous trop occupés de nous-mêmes pour l’entendre frapper. Si nous sommes chez nous, si nous communiquons avec nous-mêmes, alors nous pouvons l’entendre frapper et lui ouvrir la porte. S’il entre dans notre cœur, nous sommes sauvés, nous sommes délivrés de notre aliénation, de notre division intérieure, nous avons un nouvel accès à nous-mêmes, nous savons qui nous sommes. Toi qui me lis, le temps de l’Avent t’invite à accéder à toi-même afin que le Christ puisse y accéder aussi, à tout instant, et aussi à la fin du temps, de ton temps à toi, quand il viendra vers toi dans sa majesté pour que tu restes à jamais avec lui et avec toi-même, arrivé au but de ta quête.