34ème dimanche (A)
Le Christ, Roi de l’univers
Mt 25,31-46
Références bibliques :
- Lecture du livre d’Ezékiel. 34. 11 à 17 : »C’est moi qui ferai paître mon troupeau, c’est moi qui le ferai reposer. »
- Psaume 22 : »Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien. Sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer. »
- Lettre de saint Paul aux Corinthiens. 1 or. 15. 20 à 28 : »Il se mettra lui-même sous le pouvoir du Père qui lui aura tout soumis et ainsi, Dieu sera tout en tous. »
- Evangile selon saint Matthieu. 25. 31 à 46 : »Comme le berger sépare les brebis des chèvres. »
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire.
Toutes les nations seront rassemblées devant lui ; il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des boucs :
il placera les brebis à sa droite, et les boucs à gauche.
Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite : “Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde.
Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ;
j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi !”
Alors les justes lui répondront : “Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu… ? tu avais donc faim, et nous t’avons nourri ? tu avais soif, et nous t’avons donné à boire ?
tu étais un étranger, et nous t’avons accueilli ? tu étais nu, et nous t’avons habillé ?
tu étais malade ou en prison… Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ?”
Et le Roi leur répondra : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.”
Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche : “Allez-vous-en loin de moi, vous les maudits, dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges.
Car j’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’avais soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ;
j’étais un étranger, et vous ne m’avez pas accueilli ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas habillé ; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité.”
Alors ils répondront, eux aussi : “Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim, avoir soif, être nu, étranger, malade ou en prison, sans nous mettre à ton service ?”
Il leur répondra : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait.”
Et ils s’en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes, à la vie éternelle. »
Un roi pas comme les autres
Un roi est celui qui détient le pouvoir de décision. En lui, dans l’Antiquité, se rejoignaient le législatif et l’exécutif. Le thème de la Royauté divine signifie qu’il n’y a dans l’univers aucun pouvoir supérieur au pouvoir de Dieu. Fort bien. Seulement la Bible commence son récit en nous montrant le créateur soumettre tout l’univers à l’homme : « Soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la. Dominez, etc. » Dieu se dessaisit donc de son pouvoir en faveur de l’homme.
Le problème est que l’homme va se trouver affronté à bien des forces qui le dépassent, à commencer par celles qui provoquent les phénomènes naturels. Il faudra qu’il apprenne à les maîtriser, à les désarmer, à les utiliser… Nous ne sommes pas encore au bout de nos peines ! Au fond, affirmer que Dieu est le roi de toute la création revient à affirmer que nous ne sommes pas en proie à l’aveugle et à l’irrationnel. Un pas de plus et nous pourrons dire que l’amour est le fondement et le « souverain » de toutes choses, malgré les apparences contraires et notre ignorance de ce que signifie le mot « amour » quand nous voulons lui donner son plein sens. Quand nous parlons du Christ Roi, nous signifions que l’épais mystère de la royauté divine se trouve révélé en lui, même si nous n’avons pas fini – il s’en faut – de déchiffrer cette révélation.
Le Christ Roi
Christ Roi est un pléonasme car « Christ » signifie « Celui qui a reçu l’onction ». Cette onction est l’onction d’huile par laquelle on sacrait les rois (voir 1 Samuel 10 et 2 Samuel 2). C’est à cela que correspond l’appellation « fils de David » si souvent utilisée pour Jésus. Passons sur le fait qu’à l’époque où l’on s’est mis à parler abondamment du Christ Roi, le discours des gens d’Église n’était pas innocent d’intentions politiques, alors que la plupart des États se libéraient d’un pouvoir clérical qui distinguait mal Dieu et César. Le thème du Christ Roi est riche de bien d’autres valeurs. Nous pouvons nous demander en premier lieu sur quoi, ou sur qui, le Christ règne, prend le pouvoir.
Paul parle souvent à ce sujet des « puissances, règnes, dominations, principautés », liste résumée dans notre lecture par la formule « toutes les puissances du mal ». Ce langage quelque peu mythique, symbolique, peut signifier ce que véhicule « l’air du temps », ce qui pèse sur la liberté des hommes en vertu des modes, des idéologies régnantes, des préjugés. Ainsi le mythe de la liberté absolue, les « il est interdit d’interdire » en matière par exemple de sexualité ou de recherche du profit (et tant pis pour les victimes), la soumission aux premières impressions, aux instincts immédiats, aux convoitises non critiquées. Le Christ prend le pouvoir sur ces « puissances des airs » (Éphésiens 6,12).
Le Règne « déjà là et pas encore »
Une évidence : le règne du Christ ne porte ni sur la nature ni sur les hommes mais sur ce qui nous aliène. Certes, nous lui reconnaissons pouvoir sur nous, mais ce pouvoir ne s’exerce que si nous le lui donnons et cela ne peut se faire que dans une confiance absolue. C’est à la Croix que le Christ prend le pouvoir, en les dépassant, sur la méchanceté, la haine, le désir de dominer, le refus de l’amour. Toutes choses qui conduisent au meurtre. Ce meurtre, il l’assume et par là s’en rend maître.
Que Jésus ne veuille pas prendre le pouvoir sur nous, les évangiles ne cessent de le répéter : sa manière de devenir Seigneur est de se faire serviteur. Ce faisant, il se met au-dessus de tout désir de « seigneurie », de toute hantise de dominer. Il ne domine le paysage qu’en se laissant élever, exalter, sur la Croix, mais alors il attire à lui tous les hommes (Jean 3,14 et 12,32). Le secret de cette prise de pouvoir est évidemment l’amour, substance même de Dieu. Tout ce qui nous fait du mal, tout ce qui nous écrase, y compris le « dernier ennemi, la mort » qui récapitule tout ce qui nous agresse et en donne le sens, tout cela est donc surmonté par et dans le Christ. Il nous reste à faire nôtre cette victoire. C’est pour cela que nous pouvons dire que le règne du Christ, règne de Dieu, est déjà venu et aussi qu’il reste à venir. En fait, il est déjà là dès que l’amour rassemble quelques hommes dans l’unité, figure de l’unité divine.
Marcel Domergue
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Berger d’abord!
Nous contemplons aujourd’hui le Christ, roi de l’univers. La Parole de Dieu nous amène à bien considérer de quelle royauté il s’agit, quand nous disons au sujet du Christ, qu’il est notre Roi. D’habitude, quand nous pensons royauté, nous pensons puissance, gloire, victoire. Les rois, ils dominent, ils sont riches et on se met à leur service avec distance et révérence. Or la fête de ce jour nous oriente vers un autre regard sur le Christ, notre sauveur, notre frère.
Il n’est vraiment pas un roi comme les autres. Bien sûr, il faut toujours nous rappeler la victoire personnelle du Christ sur le mal et sur la mort. « Le Christ, écrit S. Paul, est ressuscité d’entre les morts pour être parmi les morts le premier ressuscité…C’est dans le Christ que tous revivront, mais chacun à son rang : en premier, le Christ. » Et plus loin : « Tout sera achevé, quand le Christ remettra son pouvoir royal à Dieu le Père, après avoir détruit toutes les puissances du mal. » En ce sens Jésus est vraiment le premier et il domine sur toutes les puissances du mal. Il est roi, plein de force, de gloire et de majesté !
Mais dans la première lecture, dans le psaume et dans l’Évangile, le modèle qui se dégage pour nous faire contempler notre Seigneur, c’est bien plus la figure d’un roi serviteur, ou tout au moins d’un roi centré sur le bien-être des siens, attentif à prendre soin d’eux, préoccupé des plus petits et des pauvres. C’est dire que sa royauté n’en est pas une à notre manière habituelle, basée bien souvent sur la richesse matérielle, le pouvoir politique et militaire, une autorité lourde et convaincante.
Le regard du prophète Ézéchiel, en 1ère lecture, se porte sur la figure du berger, qui se met en peine pour ses brebis. Qui va à leur secours quand elles se perdent. Qui veille sur elles, les rassemble, les fait paître et se reposer. La brebis blessée, affaiblie, il lui redonne des forces. Le psalmiste le proclame avec insistance. « Le Seigneur est mon berger, rien ne saurait me manquer… Il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre ».
Le Seigneur se présente comme celui qui prend soin de nous, qui a de la compassion pour les faibles. Avec lui c’est le règne du cœur. Il nous entraîne à nous aimer les uns les autres et à prendre soin les uns des autres. Bien plus il dirige notre attention vers les plus petits, les pauvres, les laissés pour compte comme si c’était lui, comme si c’était de lui qu’il s’agissait.
Il ne faut donc pas nous étonner si l’Évangile vient consacrer ce visage pastoral du Christ roi. Dans la mise en scène grandiose d’un procès universel, nos regards sont fixés à la fois sur le Christ en gloire et sur les plus humbles et les plus petits. Le Seigneur se désigne lui-même comme le très haut et le très bas, le roi de l’univers et le plus petit des enfants de la terre, le maître et le nécessiteux. Il y a là de quoi nous étonner, nous ouvrir les yeux et le cœur.
Le Seigneur ne nous laisse pas le choix. Il faut s’engager avec lui pour les pauvres et les miséreux. Il en fait une priorité pour son disciple; il en fait la loi qui nous jugera. Le Christ a besoin de notre charité, de notre amour miséricordieux. Son Royaume n’est pas fait de gloire, de puissance et de moyens riches et considérables. Le Royaume du Christ est un royaume d’amour, d’humilité, de compassion et de service. Faire mémoire du Christ Roi dans l’Eucharistie, ce matin, n’aurait pas de sens si nous n’avions pas en même temps le souci de faire mémoire de lui cette semaine dans le service du pauvre, du malade, du prisonnier, de l’étranger, du plus petit d’entre les siens.
Par Jacques Marcotte, o.p.
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Les gestes qui comptent
Dans ce chapitre 25e de l’évangile selon Saint Matthieu, nous avons la finale de l’enseignement de Jésus. Tout de suite après, c’est la passion et la mort du Seigneur, sa mise au tombeau et les témoignages autour de sa résurrection. Les mots d’aujourd’hui rejoignent pourtant le sermon sur la montagne et les béatitudes, alors même que le cadre dramatique utilisé ici est porteur d’une précieuse révélation sur le mystère du Christ. Dans la mise en scène grandiose d’un procès universel nos regards sont fixés à la fois sur le Christ en gloire et sur les humbles et les petits. Le Seigneur se désigne en même temps comme le très haut et le très bas, le roi de l’univers et le plus petit des enfants de la terre, le maître et le serviteur. Il y a là de quoi nous étonner, nous ouvrir les yeux et le cœur et les mains.
Dans nos communautés d’Église, comme ailleurs dans les autres sociétés religieuses, civiles ou laïques, des personnes s’engagent dans l’action sociale, dans le partage avec les démunis, dans la présence auprès des malades et des laissés pour compte. Ils vivent alors la consigne du Christ. Ils sont tous des agents de transformation, même s’ils se limitent aux petites choses de la vie, dans un quotidien souvent banal et routinier. Ils nous tiennent le langage de Jésus, celui de la miséricorde et de la solidarité. Ils sont en communion avec lui. Ils nous rappellent que la foi et l’espérance ne nous dispensent pas de promouvoir le respect de toute vie humaine et d’en rétablir partout la dignité.
Frères et sœurs, le Seigneur ne nous laisse pas le choix de nous engager ou non pour l’humain. Il en fait une priorité et une fonction identitaire pour ses disciples, il en fait la loi qui nous jugera. Faire mémoire du Christ dans l’Eucharistie n’aurait pas de sens si nous n’avions pas en même temps le souci constant de faire mémoire de lui dans le service du pauvre, du malade, du prisonnier, de l’étranger, du plus petit d’entre les siens.
Par Jacques Marcotte, o.p.
http://www.spiritualite2000.com
Sommes-nous des brebis ou des chèvres ?
Notre évangile est tiré du chapitre 25 de Matthieu. C’est le chapitre qui précède immédiatement la mise en marche du processus tragique qui conduira Jésus à sa mort. Dans la première partie de ce chapitre, Jésus s’était adressé à ses disciples, leur rappelant leurs responsabilités et les invitant à la vigilance, par exemple dans la parabole des dix vierges qui attendent l’arrivée de l’époux et, dans la parabole des talents que nous avons eue comme évangile dimanche dernier.
Dans le passage de ce même chapitre que nous lisons aujourd’hui, Jésus parle de la façon dont, à la fin des temps, il confrontera en jugement, non pas ses fidèles – non pas ceux qui l’ont connu et ont entendu son message — mais bien les nations païennes. Le récit commence ainsi : « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire… il siégera su son trône de gloire. Toutes les nations seront rassemblées devant lui. » Pour n’importe quel Juif qui écoutait Jésus, — et aussi pour n’importe quel Juif pour qui écrit Matthieu — l’expression « toutes les nations » ne pouvait signifier qu’une seule chose : l’ensemble des nations païennes, tout le monde non juif, tous ceux qui n’ont pas entendu parler de Jésus et n’ont pas été atteints par son message.
Eh bien, Jésus distingue deux groupes parmi les païens qui ne l’ont pas connu ici-bas et qui n’ont pas eu l’occasion de connaître sa Révélation dans la Bible. Parmi eux, les uns hériteront le royaume des cieux et les autres iront au châtiment éternel. Et la chose impressionnante est que la différence entre les deux groupes ne sera pas fondée sur leur attitude à l’égard de Dieu, mais sur leur attitude à l’égard du prochain. On ne leur demandera pas s’ils ont appartenu à une religion ou s’ils ont suivi un maître spirituel. On leur demandera ce qu’ils ont fait à l’égard de leurs frères et de leurs sœurs. Aux uns Jésus dira (et n’oublions pas qu’il parle à des païens ! : « Venez les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la création du monde. J’avais faim et vous m’avez donné à manger… j’étais un étranger et vous m’avez accueilli… »
Et sans doute encore plus surpris seront ceux à qui il dira : « J’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger, au contraire, vous m’avez enlevé mon lopin de terre pour en extraire du pétrole; j’avais soif, et vous ne m’avez pas donné à boire, au contraire vous avez asséché ma source pour irriguer des plantations industrielles; j’étais un étranger, et vous ne m’avez pas accueilli, au contraire vous m’avez refusé un permis de séjour et vous m’avez reconduit à la frontière, comme vous dites poliment; j’étais nu et vous ne m’avez pas habillé; j’étais malade et en prison, et non seulement vous ne m’avez pas visité, mais vous m’avez tenu en isolement complet. » Et devant leur surprise (« quand est-ce que nous t’avons vu avoir faim et soif, être nu, étranger, malade ou en prison, sans nous mettre à ton service? ») il leur répondra: « Amen, je vous le dis, chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces petits, à moi non plus vous ne l’avez pas fait. »
Les situations que Jésus énumère sont des situations bien connues, dont sont remplis nos journaux et nos bulletins de nouvelles. Et ne nous sécurisons pas trop du fait que nous sommes des disciples de Jésus et non des païens ; car si nous nous conduisons comme ceux que Jésus appelle les « chèvres » par oppositions, aux « brebis », si nous ignorons les besoins des affamés, des étrangers, des prisonniers, des malades, etc., nous serons doublement coupables puisque nous aurons lu durant toute notre vie l’Évangile où Jésus s’identifie sans cesse à ces « petits ».
L’Évangile utilise plusieurs titres pour désigner Jésus. Dans ce récit évangélique, le titre utilisé par Jésus pour parler de lui-même est celui de Fils de l’Homme. Et cela est plein de sens, car les « Nations », qui n’ont pas eu la Révélation des autres titres du Messie, rencontreront au jour du Jugement le Fils de l’Homme tout court, l’être humain dans la plénitude de sa réalisation et de sa dignité. Et elles seront jugées sur la façon dont, durant toute leur vie ils auront traité l’être humain. Ainsi en sera-t-il de nous. À la fin, nous serons jugés sur l’amour.
Demandons-nous, en cette fin de l’année liturgique, quelle est, dans notre vie de tous les jours, notre attitude à l’égard de nos sœurs et de nos frères humains. Avons-nous une attitude de « service » — car c’est cela que les chèvres de cet Évangile reconnaissent ne pas avoir fait : « Quand est-ce que nous t’avons vu avoir faim, etc. sans nous mettre à ton service ? ».
Sommes-nous des brebis ou des chèvres ?
Armand VEILLEUX
http://www.scourmont.be
Le pari de la charité: «c’est a moi que vous l’avez fait!»
Romeo Ballan mccj
La fête du Christ Roi, dernier dimanche de l’année liturgique, se veut de toute évidence un message de synthèse unitaire projeté sur le passé, le présent et l’avenir de la vie des hommes. Là le Christ Sauveur est toujours présent, lui qui est l’Emmanuel (Dieu avec nous). A Bethléem il est apparu avec un visage et une chair d’homme (Mt 1,23), maintenant il chemine avec nous au quotidien (Mt 28,20), non pas comme juge des temps définitifs, roi-berger et juge (Évangile). Mais c’est toujours l’amour qui rythme sa présence, nous donnant du réconfort dans l’épreuve et justifiant finalement notre espérance dans l’attente du jugement définitif. C’est ce jugement-là qui est présenté dans l’Évangile d’aujourd’hui avec des paroles sévères qui pourraient nous faire peur (v. 41-46). Mais la contradiction n’est qu’apparente avec tout le reste de l’Évangile, là où Jésus se considère l’«ami des publicains et des pécheurs» (Lc 7,34), venu pour «chercher ce qui était perdu» (Lc 19,10). D’ailleurs l’attitude de Matthieu est très significative à cet égard, parce que juste après la scène grandiose du Jugement final, il nous présente Jésus «offert pour être crucifié» (Mt 26,2).
Jésus, le bon Pasteur qui donne sa vie pour ses brebis (Jn 10), actualise le projet de Dieu, roi-berger, dont le prophète Ézéchiel (I lecture) décrit l’amour prévenant pour ses brebis. Il les cherche, il en a grand soin, les compte l’une après l’autre, les réunit, les accompagne, les conduit aux pâturages… Le Psaume chante le bonheur de l’âme croyante qui ressent la proximité du pasteur. Paul finalement (II lecture) affirme avec assurance que tout le mal, y compris la mort, sera détruit et dépassé.
D’après la littérature biblique (Dn 7) et non biblique, les scènes de jugement ne se chargent pas de nous dire la vérité sur les temps définitifs, mais instruisent sur la conduite à avoir aujourd’hui. Ce n’est donc pas un enseignement sur l’avenir, mais une ouverture sur un programme de vie à suivre dans la vie présente. Ainsi Jésus nous éclaire sur la position que nous devons adopter aujourd’hui en fonction du Jugement final. Il nous enseigne l’orientation à donner à notre vie pour ne pas tout gâcher, mais suivre le droit chemin. Or le seul bon chemin, c’est celui qu’il a emprunté lui-même avant nous: l’amour et le service rendu aux pauvres. En effet, «au soir de notre vie nous serons jugés sur l’amour» ( St. Jean de la Croix).
L’amour pour les derniers nous ouvre les portes du Royaume de Dieu: «venez, les bénis de mon Père…» (v. 34). Jésus nous montre la route pour y arriver: quatre fois il nous énumère six œuvres d’amour à l’égard des malheureux: tous ceux qui ont faim, soif, ou sont étrangers, nus, malades, ou prisonniers. L’aide à porter à ces malheureux est une charge confiée à tout chrétien, et en même temps, pour une grande partie, le travail quotidien du missionnaire. On peut dire de même pour les membres de toutes les religions. Ces œuvres d’amour forment tout un terrain de rencontre qui donne place à la collaboration de tous les hommes de bonne volonté. Le prophète Isaïe (58,6-7) nous fait une énumération de ces œuvres de charité. Dans le II millénaire av. J. C. déjà le Livre des morts de l’Égypte ancien (chap. 125) met ces paroles dans la bouche du défunt: «J’ai accompli tout ce qui met la joie au cœur des dieux. J’ai donné du pain à celui qui avait faim et de l’eau à celui qui avait soif, j’ai habillé celui qui était nu, j’ai offert une place à côté de moi à celui qui n’avait pas de barque». Mais Jésus ajoute à cela une nouveauté décisive: Il s’identifie Lui-même avec les plus faibles et les plus petits, au point de dire «c’est bien à Moi que vous l’avez fait» (v. 40). Les derniers sont devenus les destinataires privilégiés des choix que le Seigneur a faits. Ainsi le choix prioritaire en faveur des pauvres n’est pas une alternative accordée à notre libre choix, mais une obligation pour l’Église. Ce que le Pape Jean Paul II affirmait vigoureusement à la fin de sa vie, quand il invitait les chrétiens à “faire le pari de la charité”.. Une option qui est au prix de la fidélité même de l’Église à son Seigneur!
C’est là le grand témoignage missionnaire du B. Charles de Foucauld, qui a su vivre intensément la présence du Christ dans les pauvres qu’il a associés à lui-même comme témoins de sa vie: des bédouins du désert, tous islamiques. Il écrivait ainsi, juste quelques mois avant sa mort: «Il n’y a pas, je crois, de parole d’Évangile qui ait fait sur moi une plus profonde impression et transformé davantage ma vie, que celle-ci: ‘Tout ce que vous faites à l’un de ces petits, c’est à moi que vous le faites’. Si on songe que ces paroles sont celles de la Vérité incréée, celles de la bouche qui a dit: ‘ceci est mon corps… ceci est mon sang’, avec quelle force on est porté à chercher et à aimer Jésus dans ces petits, ces pécheurs, ces pauvres». Le Fr. Charles, ‘frère universel’, a su reconnaître la présence du Christ, qui est la même dans l’Eucharistie et dans les pauvres, même dans ceux qui ne sont pas chrétiens. Un vrai témoin de la Mission!
