Faiblesse et force de la parole

Contrairement aux États, qui disposent de la force physique (armée, police), l’Église n’a pas d’autre instrument d’intervention que la parole, instrument qui est loin, d’ailleurs, d’être inefficace. Une calomnie peut détruire une réputation… et une vie. Une fausse nouvelle peut déclencher une guerre. Tout comme un mot de pardon peut ressouder un ménage.

Au reste, comme n’importe quelle réalité humaine, la parole n’est jamais purement spirituelle. Non seulement elle suppose une bouche, ou une plume, mais, aujourd’hui surtout, elle circule sur des canaux dont les dernières tractations relatives à la première chaîne de télévision nous ont appris quel pouvait en être le prix. Plus que jamais l’action de la parole, en tout cas de la parole publique, est liée, à des moyens de puissance, qui ne sont jamais d’ordre purement « spirituel » ou moral, mais sont généralement liés à l’argent, avec tout ce dont celui-ci demeure secrètement porteur. La parole de l’Église elle-même, si désintéressée qu’elle se veuille, et si pauvre qu’à côté de beaucoup d’autres elle demeure effectivement, ne peut pas totalement s’abstraire de ces conditionnements humains.

Rôle de la « réception »

Cependant il est bien évident que la parole de l’Église mise sur tout autre chose que sur sa puissance de diffusion, comme le ferait une pure parole de propagande. La force à laquelle elle entend faire appel est celle de la conviction. Autrement dit, elle suppose et cherche à éveiller un interlocuteur. C’est une parole qui attend d’être « reçue ». On peut même dire qu’elle ne se réalise jusqu’au bout que dans sa « réception ».

Cette idée de « réception » est une idée très ancienne dans l’Église. Elle intervenait couramment dans les premiers siècles à propos des conciles. Elle a été depuis, en Occident, longtemps négligée, en faisant place à une conception purement autoritaire, disciplinaire, de la parole, dont l’accueil ne pouvait plus être que l’obéissance «formelle », passive, inarticulée et, par le fait même, grégaire.

De manière générale, on est aujourd’hui de plus en plus conscient que la signification réelle d’une parole, sa « portée », est à chercher au moins autant en avant qu’en arrière, dans son avenir que dans sa source. Son sens s’inscrit sur la trajectoire qui va de l’émetteur au récepteur. Une parole qui « tombe dans l’eau », c’est-à-dire une parole qui ne laisse pas de trace, est assimilée à une parole vide. Ce dont une parole est réellement porteuse se découvre généralement après coup. C’est dans l’écho qu’il a trouvé que ron a mesuré la force déposée dans rappel du 18 Juin du général de Gaules, indépendamment duquel la France ne serait probablement pas ce qu’elle est aujourd’hui.

La vérité de la Parole de Dieu donnée dans son « accomplissement »

Quelle est cette Église qui lit rÉcriture, sinon celle que Vatican II nous a appris à mieux connaître, en nous rappelant qu’elle n’est pas d’abord la hiérarchie, mais le Peuple de Dieu tout entier, même si celui-ci ne peut exister indépendamment du ministère hiérarchique qui le rassemble et le structure. En intitulant ces réflexions « la parole dans l’Église », et non « la parole de l’Église », nous visions à corriger une représentation que Vatican II a voulu renouveler, mais qui a du mal à avoir raison de la précédente selon laquelle l’Église est immédiatement identifiée avec sa hiérarchie. Cette correction semble avoir particulièrement de mal à se faire quand il s’agit de la parole, comme si l’Église ne parlait que par son Magistère, et comme si la parole de celui-ci pouvait trouver sa signification et sa portée indépendamment de sa « réception » et de son parcours à l’intérieur de la communauté croyante.

Une des caractéristiques de l’Église de Pentecôte est, selon le discours de saint Pierre, de réaliser l’oracle du prophète Joël qui annonce l’effusion de l’Esprit « sur toute chair », de sorte que « vos fils et vos filles seront prophètes » (Ac 2, 16-17). Cette activité prophétique de tous est caractéristique de l’Église. Elle ne s’exerce pas, certes, indépendamment de la parole magistérielle, qui s’exprime dans l’Eglise avec son autorité propre, et dont le poids est à justement apprécier dans chaque cas. Mais, en face de cette même parole, celle des fidèles doit prendre la forme d’une reprise active, en faisant mieux que la répéter : en la questionnant, notamment sur le plan des « raisons » qu’elle apporte à ses affirmations et qui, comme telles, s’offrent à discussion.

L’instruction sur le respect de la vie humaine naissante et la dignité de la procréation ne manque pas de se situer plus d’une fois sur le plan de « la réflexion rationnelle » (Introduction 5 : cf. I, 1, II, 2, n. 36…).
Elle déclare vouloir ne « pas arrêter l’effort de réflexion, mais plutôt en favoriser une impulsion nouvelle, dans la fidélité constante à la doctrine de l’Eglise » (Conclusion). Les catholiques sont donc invités à mieux qu’à un garde-à-vous. De la « doctrine de l’Eglise » elle-même chacun doit, à sa place et selon sa compétence, se considérer responsable.