Vingt-sept petits cailloux noirs et blancs pour ne pas se perdre en forêt…
10. EN ai-je parcouru des chemins où d’autres l’avaient – paraît-il – rencontré !
Combien de fois ai-je levé les yeux dans l’espoir de le voir apparaître sur le sentier qu’ils indiquaient !
Combien d’inconnus ai-je suivi, parce qu’ils se disaient de ses amis, et en parlaient avec l’assurance que donne une longue familiarité ; de ces gens qui savent tout de lui, jusqu’aux derniers degrés de l’hypostase ; vous pouvez les questionner sur tout : rien ne les déconcerte.
Mais évitez de leur demander pourquoi ils s’intéressent à cela plutôt qu’à l’histoire de l’art, ou aux faisceaux de particules, si vous ne voulez pas que le charme soit rompu…
11. EN cas de brouillard, alors, plus de terre, plus de forme, plus de goût, plus de ciel, mais les quatre horizons offerts, permis.
Pour se diriger, point n’est besoin de beaucoup de lumière : une lueur au loin suffit ; elle trace la ligne la plus ténue, mais aussi la plus courte et la plus sûre, celle qui élimine à elle seule mille chemins perdus.
Ce n’est pas lumière dont on jouit, mais lueur dont on se réjouit, on la salue de loin, en passant, en étranger et en voyageur, comme tous nos pères.
Mais pourquoi ce brouillard plus que millénaire ?
Je rêve de terres ensoleillées.
12. CALME plat.
Le temps s’écoule, insipide. Il ne se passe rien. Je n’arrive plus à mettre une seule pièce de son puzzle en place, et ce jeu m’ennuie.
Comment est-ce possible ? Au lieu de m’aider, il est là, il attend.
Il attend quoi au juste ? Comme si le temps n’avait pas dans cette histoire une importance capitale, alors que chaque heure qui passe détruit dans mon cerveau 10.000 cellules qui ne seront jamais remplacées. Comme si le temps n’avait vraiment aucune importance,
… comme s’il avait l’éternité devant lui !
13. LAISSER venir ce léger tremblement, annonciateur des grands cataclysmes, quand tout d’un coup dix lignes du Livre Saint entrent en résonance, et que tout est soudain clair comme l’aurore, inéluctable, comme on l’a toujours su.
Ne pas résister : cela fait du bien de pleurer devant quelqu’un qui sait…
14. L’ÉTÉ, soudain. On ne sait comment, mais il est là, le Vivant, exactement comme on l’attendait. Rien n’a changé, sinon que tout est en train de brûler, sans bruit, comme le Buisson, et l’âme voit clairement que tout est parfaitement à sa place, et qu’il en a toujours été ainsi, mais stupide, elle prend peur, une fois encore et c’est elle qui demande merci.
15. ATTAQUER: le pousser dans ses innombrables contradictions, dans ses promesses non tenues, ses lenteurs coupables. Ne pas se présenter en comptable mesquin de ses erreurs, mais mettre en évidence une injustice (la matière ne manque pas !), une seule, et n’en pas démordre : car si lui s’en désintéresse, qui ? mais alors ! qui s’en souciera ?
16. ATTENDRE encore dans la paix. Ce n’est ni le temps du repos, ni celui du plaisir sans mélange. Se contenter de peu : de peu de lumière, de peu de signes, de peu de tendresse, de peu de nourriture vraie, de peu de temps pour pratiquer ce qui précède.
Il faut une machine sobre pour traverser le désert.
17. IL faut laisser aux yeux le temps de se faire à la nuit. Dépasser la première panique de se croire devenu aveugle et mal armé pour affronter, seul, les maléfices de l’obscurité, la tentation si lancinante de faire demi-tour vers la ville avec ses néons et ses pubs lumineuses. Celui-là fait sa demeure dans l’ombre pour longtemps, qui veut capter la nuit et ses nébuleuses. La nuit est si profonde ! il faut laisser aux yeux le temps de prendre la mesure de cette nouvelle sensibilité. Apprivoiser la nuit, c’est comme avec les oiseaux : pas de mouvements brusques, pas d’éclats de voix, ni de lumière, sinon tout serait à refaire.
18. LA nuit, les sons portent bien, et l’oreille s’affine. On se réconforte avec les échos de la noce : il n’y a qu’à prendre patience, et guetter le bruit de ses pas sur la route. Et puis, il y a les amis qui battent aussi la semelle, de loin en loin. Certaines nuits, pourtant – question de vent ? – plus de danse lointaine, plus de signes, plus d’étoiles, même les lumières amies semblent éteintes ou négligées ; seuls les oiseaux de proie font entendre leurs ailes. Ni brandon, ni four ardent, ni brise légère, rien que la fin d’une de ces nuits frileuses et interminables qui vous trouve, les yeux cernés, un bouquet de fleurs fanées à la main. La journée va être longue et pourtant, je sais que dès ce soir, je reviendrai me mettre à l’affût, et ce n’est pas le moindre mystère…