25 Mars
Annonciation
Luc 1,26-38

Avvento (23)

Cette fête se tient un peu à contre-temps, vers la fin du Carême, quand nous nous préparons à célébrer la fin et le sommet de la vie de Jésus. Mais aussi elle nous permet, en ce temps, de nous souvenir de l’élément déclencheur : jusqu’alors Dieu accompagnait son peuple, l’instruisait, le morigénait, l’assistait. Désormais on change de paradigme, Dieu force notre porte, Il s’invite parmi les hommes pour en faire des fils, Jésus va les agréger à son être en en faisant son Corps. C’est un nouveau monde, une nouvelle histoire qui s’ouvre et devra se lire “à rebours”, à la lumière de la Résurrection et de l’à-venir de Dieu-avec-nous.


Tous les récits des Évangiles concernant la naissance de Jésus ou les événements qui l’ont entourée sont remplis d’une grande humanité, même d’une certaine tendresse, et semblent s’efforcer de nous faire comprendre l’histoire humaine de Dieu.

Quand Jésus est présenté comme le fils de David (comme, par exemple, dans le récit de Luc que nous venons d’entendre), ce qui est souligné c’est l’aspect profondément humain de l’intervention du Sauveur dans l’histoire. Il ne suffit pas de dire que le Fils de Dieu s’est fait homme. Nous devons savoir en terme concrets qui est cet “homme”. Si notre compréhension de l’incarnation est trop abstraite, une dimension essentielle du salut qui nous a été acquis par le Christ Jésus nous échappe.

Le Fils de Dieu ne s’est pas incarné dans l’abstrait. Il né à un moment particulier de l’histoire, dans un peuple déterminé, d’une famille précise. Il est le descendant de David et le Fils de Marie, épouse de Joseph. Tout cet environnement l’a façonné, lui a procuré ses catégories de pensée et de langage, qui lui ont rendu possible de nous parler et de nous expliquer dans une langue humaine le sens de sa mission.

Cette mission s’est réalisée dans une vie humaine somme toute ordinaire: Un enfant est né d’une femme; il a grandi et il est devenu adulte. Il a exercé le métier de son père; puis, un jour, il a ressenti une vocation de prophète et s’est mis à prêcher la bonne nouvelle à travers les villes et les villages de son pays. Les pouvoirs en place l’ont trouvé gênant et se sont débarrassés de lui, tout comme ils s’étaient débarrassé de bien d’autres avant lui (et feraient de même par la suite). Rien d’extraordinaire en tout cela. C’est précisément par cette existence humaine ordinaire que le salut a été réalisé et que le cours de l’histoire a été profondément changé.

Lorsque Marie devint Mère de Dieu, rien ne s’en est trouvé changé visiblement dans la vie du monde. La vie continua son cours, le soleil continua de se lever et de se coucher, les hommes continuèrent de travailler et de s’amuser, de faire le bien et de faire le mal. Il ne semble pas y avoir eu non plus de changement extérieur dans la vie de Marie et de Joseph. Ils étaient promis en mariage l’un à l’autre et le mariage eut lieu tel que prévu. La vieille cousine de Marie était enceinte et Marie partit lui rendre visite.

Tout cela devrait nous mettre en garde contre la tentation de penser les événements du salut comme étant par nature théâtraux et extraordinaires. Ils ne le sont pas. Ils respectent le cours des événements et ne le troublent pas. C’est sans doute la raison pour laquelle il nous arrive souvent de ne pas percevoir leur importance. Tel le récit que nous venons d’entendre. Ce moment de l’Annonciation est un point tournant de l’histoire de l’humanité; et pourtant rien n’en apparaît à la surface. Nous devons donc être soupçonneux devant toutes les manifestations du sacré qui sont dramatiques et extraordinaires.

Notre Dieu est l’Emmanu-El, le Dieu avec nous. Il réalise notre salut et celui du monde entier dans et par nos vies humaines de tous les jours – que ce soit la vie d’une mère ou d’un père de famille, celle d’un moine, d’un ouvrier d’usine ou d’un étudiant.

Toute tentative de rencontrer Dieu “là-haut” et “là-bas”, en dehors des circonstances concrètes de la vie quotidienne, est vouée à l’échec. Dieu n’est pas là-haut ou ailleurs. Notre Dieu est l’Emmanuel, le Dieu qui vient sans cesse nous rencontrer là où nous sommes, à chaque instant. Tout ce que nous avons à faire est de nous préparer à le recevoir.

Marie est le modèle par excellence de la personne qui accueille Dieu en toute simplicité dans sa situation bien concrète de jeune fille d’Israël, de la lignée de David, fiancée à Joseph le charpentier et cousine d’Élizabeth, la femme du prêtre Zacharie. Sa réponse toute simple “qu’il me soit fait selon ta parole”, rend toute parole de Dieu efficace.

Armand VEILLEUX
http://www.scourmont.be


Quand Dieu rêve d’une maison
Par Jacques Marcotte, o.p.

Nous connaissons tous de belles représentations de l’Annonce à Marie, les unes très dépouillées comme celles de Fra Angelico ou celle du vitrail de l’Église St-Dominique de Québec, d’autres plus chargées, plus remplies de détails. Ce sujet qui est au cœur du mystère chrétien a passionné nombre d’artistes au cours des âges et il nous a valu des illustrations qui parfois nous distraient de l’essentiel.

En fait, à lire et relire le récit de Saint Luc, on s’étonne de l’immense dépouillement visuel de la scène : pas de détails matériels, rien de spectaculaire, rien qui puisse nous distraire de l’essentiel. Et cet essentiel, c’est, de tout évidence, Dieu qui parle par la voix de son ange Gabriel et Marie qui écoute et qui réagit à cette Parole. Tout est dit. À peu près rien n’est vu. Il y a peu pour l’imagination. Tout suggère la discrétion et l’intériorité, l’intimité d’une relation et d’une action appelées à se concrétiser en secret d’abord dans l’intelligence et le cœur de cette femme avant de devenir par le jeu de sa liberté et de son obéissance une réalité de chair et d’os par la naissance au monde du Verbe de Dieu lui-même.

La Vierge – bien-aimée de Dieu – représente en l’humilité de sa personne – la pauvreté et l’espérance d’Israël devant la promesse autrefois faite à David. La fidélité du Dieu saint et tout-puissant est au rendez-vous de Nazareth pour un accomplissement prodigieux. Marie – la comblée de grâce – sera fécondée par l’action de l’Esprit Saint de Dieu qui enfin réalisera le projet attendu au long des siècles. Merveille que la parfaite obéissance de cette fille humble et réfléchie, merveilleuse aussi l’obéissance de Joseph, de la Maison de David, qui prend chez lui Marie pour épouse.

Cet heureux compromis est au cœur de notre intelligence du mystère du Christ. Dieu tient sa promesse. C’est une vierge d’Israël qui reçoit la grande demande. Elle accueille aujourd’hui cette annonce avec simplicité, humilité et réalisme. C’est ainsi que le Fils bien-aimé prend chair.

Pour cette œuvre d’amour, de tendresse et de fidélité, rendons grâce au Seigneur en cette eucharistie. Cette mémoire solennelle nous donne d’habiter la maison que Dieu lui-même a voulu bâtir. Il veut qu’elle soit la demeure vaste et durable où ses enfants sont rassemblées comme en un seul Corps, en une seule grande famille, en son Fils, son bien-aimé, l’Emmanuel, lui avec nous et nous tous avec lui.

Jacques Marcotte, o.p.
http://www.spiritualite2000.com


Contemplons Marie
Raphaël Devillers

Je vous invite, avant de lire, de regarder et contempler. Sur Google, demandez : « fra angelico annonciation » et vous re-découvrez des merveilles. Surtout – ma préférée- la fresque du couvent Saint Marc où chaque frère avait sur un mur de sa cellule un chef-d’œuvre estimé aujourd’hui à des millions de dollars !

Contemplons Marie. Dans un lieu nu, sans décoration, mais ouvert vers un jardin (le paradis), une jeune femme simplement vêtue, sans fards ni bijoux. Qui est-elle ? Saint Luc ne dit rien de ses qualités, ses vertus, ses privilèges. Elle habite dans un petit village perdu et dédaigné de Galilée (Jn 1, 46) ; elle doit avoir environ 14-15 ans, l’âge où l’on mariait les filles à l’époque ; on a célébré son mariage avec Joseph, un charpentier, descendant lointain (et désargenté) du grand roi David ; selon la coutume, elle vit encore chez ses parents avant de commencer la vie commune avec son époux.

Que fait-elle ? Elle écoute de tout son être. ELLE EST ECOUTE. Un envoyé de Dieu, légèrement incliné devant elle, lui parle. Le peintre l’a représenté selon l’image habituelle mais Luc ne dit même pas que Marie l’a vu. Seul importe le message : il vient de Dieu. Le plus grand événement de l’histoire n’est pas que l’homme s’envole vers les astres mais que Dieu descende vers l’humanité. Et cet événement est conversation. Échange entre deux libertés. D’emblée offre de la joie : « Réjouis-toi » (et non l’ancienne traduction banale : « Je vous salue »). Tu es « comblée de grâce » : l’amour de Dieu t’a remplie au maximum et te sera conservé à jamais.

À cette parole, elle fut toute bouleversée, et elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation.

Comment, nous, écoutons-nous la Parole de Dieu ? Avec impatience (j’ai tant de choses à faire). Avec scepticisme (est-ce que c’est vrai ?). Avec ennui (bof je connais). Avec lassitude (le prédicateur est si long !). Pouvons-nous acclamer une Parole dite « de Dieu » si elle nous laisse froids, impassibles ?

1) CHERCHER À COMPRENDRE LE SENS

Marie, elle, s’ouvre à l’écoute et cette Parole la bouleverse, la chamboule – preuve qu’elle vient bien « de Dieu » et elle se laisse saisir par elle. Elle questionne, elle cherche à la comprendre c.à.d. elle consent à se laisser prendre par elle. La foi commence par une surprise, un étonnement, un choc de tout l’être et elle secoue l’intelligence, suscite des questions, éveille le désir de savoir.

L’ange lui dit alors : « Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. « Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils ; tu lui donneras le nom de Jésus ». Il sera grand, il sera appelé Fils du Très-Haut ; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ; il régnera pour toujours sur la maison de Jacob, et son règne n’aura pas de fin. »

Les Écritures d’Israël – ce que nous appelons Ancien Testament – racontent l’histoire d’un peuple qui va d’échec en échec mais qui ne désespère jamais. Dieu a fait une promesse donc il la tiendra ; nous n’avons jamais été capables de constituer une communauté heureuse, bâtie sur le droit et la justice donc Dieu, un jour, nous enverra le Roi qui, enfin, achèvera le Dessein de Dieu ; l’oracle du prophète Isaïe au roi Akhas – et qui ne s’était pas réalisé à son époque – n’est plus un événement du passé, il s’accomplira un jour : une jeune femme enfantera le Messie.

Marie connaît bien cette prophétie qui était lue et commentée par le rabbin de la synagogue… mais ce qui la bouleverse, c’est qu’elle s’adresse aujourd’hui à elle. On sort d’une leçon d’histoire (« en ce temps-là ») et d’une promesse projetée dans un avenir lointain. CETTE FEMME C’EST TOI MAINTENANT. La foi c’est l’actualité de l’Écriture. Une flèche qui perce le cœur : IL S’AGIT DE TOI.

Marie pourrait bien s’esquiver, se déclarer indigne, demander un délai de réflexion, renvoyer à une plus grande dame puisqu’elle n’est qu’une petite paysanne, solliciter un moment pour aller demander la permission à ses parents ou à Joseph…. Non, elle entre dans le dialogue, elle accepte.

2) BUTER SUR SES LIMITES : RECONNAITRE L’ŒUVRE DE DIEU

Mais après avoir questionné sur le sens du message, elle bute à présent sur la possibilité de sa réalisation qu’elle comprend immédiate. « Comment… ? » puisque je vis encore chez mes parents et n’ai pas de relations conjugales (sens du verbe « connaître » en ce temps)

Marie dit à l’ange : « Comment cela va-t-il se faire puisque je ne connais pas d’homme ? » L’ange lui répondit : « L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c’est pourquoi celui qui va naître sera saint, il sera appelé Fils de Dieu.

L’humanité ne peut, d’elle-même, se donner « le sauveur » : tous les essais ont échoué et les plus beaux projets ont basculé dans la barbarie. L’humanité ne peut se « faire » par ses seules ressources : elle doit recevoir de Dieu même.

Jadis les hommes avaient bâti un sanctuaire sur les ordres de Dieu mais il avait fallu que la Gloire de YHWH descende et investisse le lieu le plus saint. (Exode 40, 34 ; 1 Rois 8, 10). Aujourd’hui Marie est appelée à être le Nouveau Temple et son fils, en elle, sera « le Saint des Saints ». Après l’échec répété des lieux sacrés, des idéologies, des tyrans, voici le temps de la femme, docile au Souffle de Dieu et devenant réceptacle de la Vie nouvelle.

C’est pourquoi Marie pourra appeler son enfant « IESHOUAH » (en hébreu : « Dieu sauve ») car le salut n’est ni financier, ni culturel, ni scientifique, ni politique. Il est radicalement œuvre de Dieu : pardon des péchés, libération du mal, communion à la Vie divine. A cette profondeur, il n’est plus question de territoire, d’armée, de faste, de palais, de banques mais d’un peuple nouveau qui, à l’exemple et à la suite de Marie, se laisse bousculer et pénétrer par la Parole pour être la communauté pauvre, pacifique, heureuse. Avec Marie et Joseph, l’Eglise ne se fait pas elle-même, elle ne se construit pas. Perdant tout orgueil et toute morgue, elle jubile de reconnaissance et de gratitude. « Réjouis-toi, Eglise ».

Or voici que, dans sa vieillesse, Élisabeth, ta parente, a conçu, elle aussi, un fils et elle en est à son sixième mois, alors qu’on l’appelait la femme stérile. « Car rien n’est impossible à Dieu ». »

Marie n’a demandé aucun prodige pour contrôler la vérité du message : celui-ci porte sa propre authenticité et elle fait confiance. Mais « un signe » lui est révélé : sa cousine, demeurée stérile après plusieurs années de mariage, est enceinte – ce que Luc a raconté peu avant. Marie apprend, dans la joie, qu’elle est précédée. Car on ne vit sa vocation qu’ensemble. L’indice de la réalité du message reçu et accepté, c’est la vie chez l’autre.

Marie dit alors : « Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole. »

Marie, silencieuse, a d’abord ÉCOUTÉ une Parole venue d’ailleurs. Interloquée, ébahie, intriguée, elle a QUESTIONNÉ, elle a cherché à comprendre la signification. Butant sur ses limites, elle a demandé COMMENT cet oracle était possible. Par l’Esprit, force de Dieu. Enfin éclairée, et sans demander davantage, elle ACCEPTE.

Être la servante n’est pas aveu d’humilité et de pauvreté mais engagement. J’accueille cette Parole pour moi, ce projet qui doit s’accomplir en moi et par moi. Je décide de me donner de tout mon être afin de laisser s’accomplir ce dessein extraordinaire. Car la foi n’est pas un oui des lèvres, un acquiescement intellectuel, une émotion factice, un rayon religieux perdu dans une vie qui reste païenne mais un don de sa personne afin que la Parole prononcée aille à sa fin. Le Verbe doit devenir chair – et d’abord en Marie. La démarche de foi est celle de la femme qui s’engage dans la maternité : âme, esprit et corps.

« Que tout m’advienne ». Croire, c’est se mettre au service d’un projet qui nous dépasse mais qui ne peut s’effectuer qu’en nous, par nous. Il s’agit d’humaniser Dieu.

« Alors l’ange la quitta »….Et il ne reviendra plus ! Ni à la crèche ni au Golgotha. C’est la mémoire de l’annonce initiale qui conduit le croyant à persévérer, à travers joies et souffrances, jusqu’à la nouvelle naissance de la Résurrection. Car peut-on avoir un enfant si la mort peut vous l’enlever à jamais ?

http://www.dominicains.be