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Bien qu’exponentielles, les disparités de revenus ont moins augmenté en Europe de l’Ouest qu’aux Etats-Unis, selon un rapport très documenté, qui propose des solutions.

Par Vittorio De Filippis — Libération 14 décembre 2017

C’est bien connu, les alpinistes sont solidaires car encordés. L’argument des gouvernements et autres magiciens de la finance qui comparent le monde à un mur d’escalade où les premiers de cordée assurent les seconds pour qu’au final s’élève (au même rythme) tout le reste de la colonne pouvait en convaincre encore certains. Il leur sera désormais bien malaisé de continuer à claironner ce genre de thèse. Les 1 000 pages du best-seller de l’économiste Thomas Piketty,  le Capital au XXIsiècle(2013), avaient déjà fait sensation en démontrant à quel point le capitalisme est, par nature, une machine à fabriquer des inégalités exponentielles. La thèse de Piketty avait ouvert un débat brûlant des deux côtés de l’Atlantique. Depuis, en fédérant autour du Laboratoire sur les inégalités mondiales, qu’il copilote avec l’Ecole d’économie de Paris, la question des inégalités prend une dimension mondiale.

Et ramène peu ou prou à un problème d’économie : qui prend quoi dans le gâteau produit par une société ? Qui tient le couteau ? Qui distribue les parts ? Pour y répondre, et participer au débat politique, encore faut-il pouvoir disposer d’une information rigoureuse et transparente sur les revenus et les patrimoines. C’est désormais chose faite, grâce au «rapport sur les inégalités mondiales 2018 », publié ce mercredi sous la houlette des économistes Facundo Alvaredo, Lucas Chancel, Thomas Piketty, Emmanuel Saez et Gabriel Zucman. (,,,)

Il est intéressant de noter que les auteurs situent leur étude sur un espace-temps qui s’étale de 1980 à 2016. Justement, 1980 est un point de bascule mondial. C’est le début d’une défaite, celle du keynésianisme, dans un contexte où l’efficacité de l’Etat est remise en cause et où est confiée au marché la tâche d’éliminer l’inflation, le chômage ou le déficit commercial. Tel sera le mot d’ordre du début des années 80 lorsqu’une certaine Margaret Thatcher fait du fameux «There is no alternative», l’alpha et l’oméga de ses réformes. Le coup de grâce est porté en 1981 lorsque Ronald Reagan débarque à la Maison Blanche. Tout s’enchaîne alors très vite. L’école de Chicago, véritable concentré des thèses monétaristes et de libéralisme économique à tous crins, a alors le vent en poupe.

Dans toutes les institutions, le recul du rôle de l’Etat sur fond de baisse des impôts devient la règle. L’heure est à la dérégulation sous toutes ses formes. Place à la création de valeur pour l’actionnaire, à la primauté des cours boursiers, à la mondialisation heureuse… Mais voilà, les résultats de cette rupture sont loin de coller à la feuille de route des tenants de la théorie du ruissellement et autres premiers de cordée. Depuis le début des années 80, l’embardée des inégalités n’a cessé de dériver (,,,)

Les auteurs sont formels : dans un scénario de prolongation des tendances actuelles, la classe moyenne mondiale verra sa part de patrimoine un peu plus comprimée. En revanche, celle des 1 %, des 0,1 % et même des 0,01 % baignera encore plus dans l’indécence et l’opulence monétaire. Et bien sûr, les inégalités de revenus augmenteront elles aussi. Il y a donc urgence à remettre au centre du jeu un impôt progressif. «Car c’est l’instrument éprouvé pour lutter contre la croissance des inégalités de revenus et de patrimoine au sommet», affirment les auteurs du rapport.

Voir l’intéréssant article de Libération:
http://www.liberation.fr/planete/2017/12/14/le-grand-boom-des-inegalites_1616791