5ème dimanche de Carême – Année A


Lazare

Références bibliques

  • Lecture du prophète Ezéchiel : 37. 12 à 14 : « Je mettrai en vous mon esprit et vous vivrez. »
  • Psaume 129 : « Près du Seigneur est l’amour. Près de lui abonde le rachat. »
  • Lettre de saint Paul aux Romains : « 8. 8 à 11 : « Jésus ressuscité d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous. »
  • Evangile selon saint Jean : 11. 1 à 45 : « Je suis la résurrection et la vie. »

La résurrection de Lazare

Homélie de Zundel, donnée au Caire en 1965,
publiée dans Vie, mort, résurrection, p. 99-103.

La résurrection de Lazare avait, évidemment, fait sensation : un mort qui ressuscite, ce n’est pas une chose commune ! Et dès que le bruit s’en répand, immédiatement la curiosité est éveillée, on veut en avoir le dernier mot, on se précipite sur les lieux, on veut contrôler l’événement, et tout cela crée naturellement autour de la personne de Jésus une atmosphère de sensation. Et, comme les autorités le guettent depuis longtemps, comme elles ont décidé d’en finir, la sensation même provoquée par la résurrection de Lazare va précipiter les événements.

Il semble ici que les causes extérieures et les causes intérieures se rencontrent et coïncident, que Jésus – d’une certaine manière – se laisse porter par l’événement, et que les autorités elles-mêmes, en raison du développement extraordinaire de sa popularité, se décident à hâter les choses.

C’EST SON DESTIN DE MOURIR. C’EST SON DESTIN D’ÉCHOUER. C’EST SON DESTIN DE S’OFFRIR ET DE SE RÉVÉLER DIEU, DANS LA MORT.

Nous savons, en effet, que Jésus, avec la plus extrême prudence, a refusé jusqu’ici de se donner pour le Messie, qu’il a refusé ce titre, qu’il ne l’a révélé à ses apôtres – ou plutôt qu’il ne les a amenés à deviner le sens de sa mission et à ne lui reconnaître cette qualité de Messie que dans une circonstance tout à fait exceptionnelle et en leur interdisant d’en rien dire à personne.

Car Jésus savait toutes les interprétations matérielles que l’on pourrait donner inévitablement à ce titre, et il y avait déjà tant d’illusions, il y avait déjà tant d’incompréhensions autour de lui qu’il ne voulait réserver qu’au dernier moment la reconnaissance d’une mission divine et qui accomplissait justement l’attente suscitée depuis des siècles par tous les prophètes. Et il sent que tout un concours de circonstances le fait entrer dans le jeu en ce moment, puisque la foule est frappée, puisque l’enthousiasme est délirant, puisque l’attroupement ne cesse de grossir, puisque les acclamations fusent. Eh bien ! le moment est donc venu : Jésus va entrer dans cet appareil dérisoire, monté sur un âne, il va entrer dans la Cité sainte, il va recevoir ces acclamations dont il sait très bien que, dans quelques jours, elle se dénoueront dans la mort.

Et Jean nous a donné justement le sentiment très concret des événements : la résurrection, le bruit qui s’en répand, la foule qui se forme, les curieux qui viennent de tous les côtés, le cortège qui s’ébranle, l’ânon qui se trouve à point nommé, les hommages, les cris, l’attitude du sanhédrin, la décision des autorités de hâter l’événement, et au milieu de tout cela, des étrangers qui viennent à Jérusalem pour le grand pèlerinage et qui demandent à voir Jésus, et qui s’adressent – parce qu’ils parlent une langue étrangère – à ceux des apôtres qui parlent grec : André et Philippe, qui les conduisent à Jésus : « Maître, ils demandent à te voir ! »

C’est alors que Jésus, sans illusions, révèle que justement pour lui, s’il se prête à cette manifestation, c’est que tout est perdu ! c’est que l’échec est définitif ! c’est qu’il n’a converti personne ! c’est que c’est maintenant l’heure de mourir.

Il le dit dans ce texte si admirable : « Si le grain de blé ne meurt et n’est pas jeté en terre, il ne porte pas de fruit » ( Jn 12, 24). Pour que la moisson lève, il faut que le grain soit jeté en terre, qu’il périsse et qu’il ressuscite. C’est son destin de mourir. C’est son destin d’échouer. C’est son destin de s’offrir et de se révéler Dieu, dans la mort.

Et c’est à ce moment-là que l’Evangéliste saint Jean, anticipant sur le récit de l’agonie, nous montre Jésus frémissant de douleur, envisageant en effet sa mort, demandant à son Père si cette heure ne peut pas lui être épargnée, mais aussitôt se ravisant : « Je suis venu précisément pour cette heure, afin que tout soit consommé, car maintenant le prince des ténèbres va être vaincu » (Jn 12, 27-31), maintenant se livre l’immense combat, maintenant Dieu va se révéler avec son vrai visage qui est le visage de l’Amour.

Par Maurice Zundel
https://mauricezundel.com


L’Heure de Béthanie

Depuis trois dimanches, les récits d’Évangile nous donnent de contempler abondamment, et sur le vif, le mystère du Christ. C’était d’abord la femme seule de Samarie rencontrée au puits de Jacob. Elle entre en dialogue avec Jésus et ils parlent tous les deux des grandes soifs qu’ils ressentent, ce sont les nôtres et celles de Dieu. La femme accueille l’annonce d’une eau vive qui purifie, désaltère et fait vivre pour de bon. Puis ce fut l’aveugle de naissance à qui Jésus donne la lumière et qui se trouve de ce fait confronté à tout son entourage. Il accueille à la fin le Christ lui-même, car déjà il lui rendait témoignage sans le connaître.

C’est maintenant l’heure de Béthanie. Cette fois nous sortons de l’anonymat des personnages, pour entrer dans le monde chaleureux de l’amitié, où nous retrouvons Marthe et Marie et Lazare. Les deux sœurs vivant le deuil de leur frère. Elles en éprouvent une grande tristesse,  elles se buttent à l’absurde de la mort.

Quand Jésus s’amène auprès d’elles avec ses disciples, nous comprenons qu’il le fait à ses risques et périls. La proximité de Jérusalem le met en danger. Le récit nous donne le temps de mesurer la gravité du mouvement de Jésus, son hésitation peut-être. Puis nous voyons la douleur qu’il ressent, la part qu’il prend, généreuse, au deuil et à la détresse de chacune des deux femmes. Dans cette situation extrême où il rejoint Marthe et Marie, le Christ montre sa fidélité à notre condition dans une présence qui se fait à la fois intime et fraternelle.

Dès lors Jésus est pris au jeu de sa compassion qui l’entraîne à poser le geste que nous savons.  Il éveille et réanime son ami Lazare en l’appelant par son nom. La prière de Jésus a raison de la mort. Que dire de plus sur la puissance de l’amour du Fils bien-aimé?

Le Seigneur Jésus s’est fait proche de Marthe et de Marie.  L’amitié qu’elles vivent avec lui devient pour elles un chemin de foi. Elles font confiance à celui dont elles savent que son amour est plus fort que la mort. La parole du Christ a le pouvoir d’arracher leur frère à la mort. Voilà le signe qu’il nous laisse, pour aujourd’hui encore, de son amour, de sa puissance de vie.

Le signe de Béthanie nous invite à regarder en avant et autour de nous pour croire et espérer dans le Christ. Pour d’abord l’accompagner et le suivre jusqu’au bout du don qu’il nous fait de sa vie. Rappelons-nous les propos de Thomas au moment où Jésus et les disciples quittent la sécurité de la Transjordanie pour monter en Judée : « Allons-y nous aussi, pour mourir avec lui », disait-il.

Frères et sœurs, accueillons, nous aussi, la portée prophétique du geste de Jésus, parce qu’il nous aime; et comprenons qu’il annonce à Béthanie sa résurrection et la nôtre. Nous prenons le risque avec lui d’y perdre d’abord notre vie. Mais cette offrande prend avec lui valeur extrême d’amour et de fidélité. Elle est à ce prix la vie nouvelle à laquelle il peut maintenant nous donner d’avoir part. C’est là tout le mouvement de Pâques. Qui est tout ensemble offrande de nos vies jusqu’à mourir et sortie glorieuse du tombeau avec le Christ. Voilà ce que l’Esprit de Dieu a le pouvoir de réaliser pour nous comme il l’a fait pour le Christ dans l’amour.

Par Jacques Marcotte, o.p.
http://www.spiritualite2000.com

Le Christ incarné,
par Marcel Domergue

À propos de la Samaritaine, j’avais fait une allusion à l’affectivité de Jésus. À ce dossier, nous pourrions verser plusieurs textes qui nous montrent Jésus pris de pitié, et aussi Marc 10,21, qui nous le montre saisi d’amour pour le riche qui a observé la loi depuis sa jeunesse. Ici nous le voyons pleurer. Sur Lazare, bien sûr, mais aussi sur ses sœurs affligées et, en fin de compte, sur l’humanité entière soumise à la loi de la mort. Cela me semble important, car nous nous représentons facilement le Christ, donc Dieu, comme imperturbable, sans émotion, sans état d’âme. La joie de Dieu pour le pécheur qui revient (Luc 15), sa déception quand sa parole n’est pas entendue, tout cela nous reste étranger. Or, l’homme étant image de Dieu, s’il y a affectivité en l’homme, c’est bien qu’il y en a dans sa Source. Nous avons à comprendre que la résurrection de Lazare n’est pas simple manifestation de puissance, mais obéissance à l’amour qui est l’essence même du Fils et se traduit ici par des larmes devant notre détresse. Cette affectivité du Christ est ce qu’a essayé de mettre en évidence le culte du Sacré-Coeur, quand cette dévotion est restée centrée sur l’intériorité de Jésus et n’a pas dérapé dans le pseudo-physiologique sous prétexte d’Incarnation. Il reste que l’affectivité du Christ est bien, elle, conséquence de l’Incarnation. Donc révélation de ce qui, en Dieu lui-même, correspond à notre affectivité.

Résurrection de Lazare et résurrection de Jésus

Il résulte de ce qui vient d’être dit que le récit de la résurrection de Lazare doit être lu tout entier comme enveloppé de cette tendresse. Bien entendu, il est une sorte de prophétie en actes de la résurrection de Jésus lui-même, mais comprenons que si le Christ ressuscite, c’est pour nous ; par amour. Sinon, que signifierait la volonté de Dieu de venir épouser notre mort elle-même, de venir nous épouser jusque-là, «jusqu’au bout» (Jean 13, 1-2) ? Cela dit, remarquons une fois de plus la différence radicale qu’il y a entre la résurrection de Lazare ou du fils de la veuve de Naïm et la résurrection de Jésus. Le Christ ne ressuscite pas dans notre monde, pour reprendre sa vie là où il l’avait laissée. Sa résurrection est comme un bondissement dans la vie de Dieu lui-même. Par contre, en Jean 12,2, on retrouve Lazare à table à Béthanie. En 12,9, de nombreux visiteurs viennent pour le voir. N’essayons pas d’en faire autant, c’est-à-dire de nous représenter les choses concrètement. La résurrection de Lazare, plus encore celle de Jésus, notre propre résurrection elle-même restent mystère, c’est-à-dire vérité non représentable mais capable d’éclairer notre vie, même si, comme les destinataires de la première lettre de Paul aux Corinthiens, nous ne pouvons répondre à la question : «Avec quel corps ressusciterons-nous ?» (15,35). Écoutons le récit de Jean et entendons Jésus nous dire qu’il est la résurrection et la vie. L’amour ne meurt pas, du moins cet amour-là.

Délais et distances

Le récit est encadré par deux mentions de la gloire de Dieu (versets 4 et 40). La gloire de Dieu est qu’il soit reconnu pour ce qu’il est, que sa vérité éclate au grand jour. Cette gloire est en même temps celle du Fils, comme le suggère le verset 42. Dieu, par le Christ, va pouvoir être identifié à l’amour, même si nous ne savons que très imparfaitement ce que ce mot veut dire. Une question se pose : que signifie ce délai, ce retard à la manifestation de la gloire ? À la nouvelle de la maladie de Lazare, Jésus attend deux jours pour se mettre en route. Quand il arrive au tombeau, Marthe lui signale que Lazare est enterré depuis quatre jours. Est-ce simplement pour que la mort de l’ami soit bien authentifiée, indiscutable ? Ou bien ce délai représente-t-il le temps de l’épreuve de la foi, ce temps que nous vivons en gardant le souvenir de nos morts ? À la question du temps, s’ajoute celle de la distance, de l’absence. À tour de rôle, les deux sœurs disent à Jésus : «Si tu avais été là…». Ces quatre jours de distance et d’absence correspondent bien à cet entre-temps que nous vivons. L’obscurité du tombeau évoque l’obscurité de la nuit de la foi, alors que nous cheminons sans rien voir. Pourtant Jésus n’est pas vraiment absent : il est en chemin pour venir nous rejoindre là où nous sommes. Alors nous recevrons l’ordre de «sortir» (verset 43), mot qui fait penser à l’Exode en lequel Israël a pris naissance.

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