4ème dimanche de Carême – Année A
Jean 9,1-41


Références bibliques

  • Lecture du premier livre de Samuel : 16. 1 à 6 et 17. 10 à 13 : Dieu ne regarde pas comme les hommes car les hommes regardent l’apparence mais le Seigneur regarde le coeur. »
  • Psaume 22 : »Il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre. »
  • Lettre de saint Paul aux Ephésiens : 5. 8 à 14 : « Vous êtes devenus lumière, vivez comme des fils de la lumière. »
  • Evangile selon saint Jean. 9. 1 à 41 : »Tu le vois, c’est lui qui te parle. »

Rien d’autre que le Christ

En sortant du temple, Jésus voit un mendiant, aveugle de naissance… Ayant craché par terre, il fait une boue dont il recouvre les yeux de l’infirme, puis il l’envoie à la piscine de Siloé.  L’homme va donc s’y laver. Et voici qu’il passe des ténèbres à la lumière, de la nuit au jour. Curieusement Jésus disparaît au moment où l’homme se met à voir. Ce dernier se retrouve donc seul avec cette grande nouveauté dans sa vie.

Qui de nous n’a pas fait l’expérience déroutante d’une rencontre qui provoque chez lui un changement important, si bien qu’il ne voit plus les choses de la même façon. Comment dire aux autres ce qui lui est arrivé? Comment leur expliquer la mystérieuse certitude qui l’habite maintenant? Qui n’a pas éprouvé un jour cet inconfort et le sentiment troublant de n’être pas compris?

Le pauvre homme, si « merveilleusement illuminé », nous le suivons avec émotion alors que tout le monde autour de lui le remet en question. Les uns s’étonnent. D’autres ont peur. Ses parents même le laissent tomber. Les pharisiens l’accusent, le jugent et le condamnent. Ils vont jusqu’à le jeter hors de la synagogue. Au fil de cette saga, c’est de Jésus lui-même qu’il est question. On parle de lui, on le juge, on le persécute. C’est d’un procès qu’il s’agit, où Jésus est pris à parti dans celui-là même qui met sa foi en lui. Les deux histoires n’en font  qu’une.

Voyons comment l’homme témoigne simplement de ce qui lui est arrivé. Il en parle calmement, sereinement, avec respect et douceur. Les persécuteurs n’arrivent pas à lui faire perdre son équilibre, sa liberté, sa paix intérieure. Quand on l’isole et l’exclut, il grandit en certitude. Il devient parfaitement disponible pour son Seigneur à la fin.

Ce récit évoque l’itinéraire de ceux et celles qui mettent leur foi dans le Seigneur Jésus? Baptisés dans le Christ, ils vivent de ce contact fondateur. Ils sont toujours en appel d’une rencontre ultime avec lui qui fera toute lumière. Pour l’instant ils évoluent dans l’inconfort de la foi pour un témoignage bien souvent contesté. Mais qu’importe. Une première rencontre initiatique, décisive, les a illuminés. Et ils portent désormais cette lumière comme un précieux trésor. Il leur faut relever le défi de l’expérience chrétienne : celui de témoigner de la grâce du baptême, d’en rendre compte par la vie et le discours, dans l’attente de la pleine manifestation du Fils de l’homme.  Ils sont en mission pour lui, avec lui, dans les temps et les lieux de l’humilité, de la fidélité, au service de la Bonne Nouvelle de l’amour, de la compassion et de la miséricorde de Dieu pour le monde.

Il y a quelques années – soit en mars 2009 – un dimanche, c’était le 15 mars je crois, à l’heure de l’Angelus, le pape Benoît XVI disait à la foule rassemblée sur la place St-Pierre : « Je pars pour l’Afrique conscient de n’avoir rien d’autre à proposer et donner (…) que le Christ et la Bonne Nouvelle de sa Croix, mystère d’amour suprême, d’amour divin qui l’emporte sur chaque résistance humaine et qui rend même possible le pardon et l’amour envers les ennemis… Voilà la grâce de l’Évangile capable de transformer le monde »

Frères et sœurs, le baptême nous a configurés au Christ. Notre gloire et notre force, c’est d’être déjà habités de lui. N’est-il pas lumière en nos esprits, paix en nos coeurs, amour et liberté en nos gestes et paroles, lui le Ressuscité qui nous a déjà réconciliés par le don de l’Esprit Saint?

Par Jacques Marcotte, o.p.http://www.spiritualite2000.com

L’AVEUGLE DE NAISSANCE,
par Marcel Domergue

« Autrefois vous n’étiez que ténèbres », dit Paul au début de la seconde lecture. Il parle aussi pour lui-même puisqu’il a découvert sa propre cécité sur la route de Damas. Chose curieuse, cette perte de la vue est une guérison. Auparavant en effet, Paul croyait qu’il voyait clair, qu’il détenait la vérité sur le Christ et ses disciples. Maintenant, il voit qu’il n’a rien vu. C’est ce que dit Jésus aux pharisiens en conclusion de notre évangile : « Si vous étiez des aveugles, vous n’auriez pas pour autant de péché ; mais du moment que vous dites : “Nous voyons !” votre péché demeure. » Nous sommes tous des aveugles de naissance, sans que cette cécité soit imputable à un péché que nous ou nos parents aurions commis (verset 2), ce qui nous oblige à nuancer ce que nous disons d’habitude du « péché originel ». Nous n’accédons à la vérité sur nous-mêmes, sur le monde et, au-delà, sur Dieu, que par une ouverture à un Autre qui est là, à portée de nos mains d’aveugles, dans tous les autres. Nous avons à apprendre que nous ne nous suffisons pas à nous-mêmes, que nous n’existons que par relation vraie, en nous recevant d’autrui. Ainsi, nous nous faisons images (et « image » dit du visible) de Dieu qui est, dit saint Thomas d’Aquin, « relations subsistantes ». Autre manière de dire que nous ne voyons rien si nous refusons de voir les autres.

Ouvrir les yeux

Tâche redoutable, si nous devions parvenir à nous faire voyants par nos propres forces. Tâche vouée à l’échec, puisque cet effort pour y voir clair ne nous ferait pas sortir de notre isolement. En réalité, la lumière nous vient du dehors, de cet autre que nous rencontrons sur notre chemin. Prenons-en conscience : nous nous compliquons beaucoup trop la vie, alors qu’il suffit de nous ouvrir pour recevoir : notre création ne trouve à la place que nous occuperons qu’une absence, un vide à remplir. Nous ne pouvons être qu’acquiescement à l’œuvre de Dieu qui vient nous faire surgir du néant. Cette prise de conscience est déjà sortie de la cécité. Naître et ouvrir les yeux vont ensemble. Dans notre évangile, les pharisiens se rendent aveugles pour ne pas reconnaître la visite du Fils de Dieu en l’humanité. Ainsi, en raison d’un choix plus ou moins délibéré de notre part, l’irruption du Christ dans nos vies peut nous enfoncer dans les ténèbres : « La vraie lumière, qui éclaire tout homme, faisait son entrée dans le monde (…) et le monde ne l’a pas reconnu. Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reçu » (Jean 1,9-11). Ce refus trouvera son expression dernière à l’heure où « les ténèbres se firent sur toute la terre » (Matthieu 27,45). Mais, là encore, les ténèbres ne prennent possession du monde que pour éteindre les fausses lumières qui nous séduisent. Ainsi se crée une place nette pour une lumière nouvelle, celle de la Résurrection.

Vers la vision plénière

A y regarder de près, le récit de la guérison de l’aveugle-né nous fait découvrir un des aspects de la création et de ce que nous appelons la rédemption, en d’autres termes la totalité de l’œuvre de Dieu en notre faveur. Remarquons que l’aveugle n’a jamais vu Jésus, même immédiatement après sa guérison (voir le verset 12). Pour cela, il faudra attendre une deuxième rencontre. L’aveugle n’a rien demandé à Jésus et le miracle n’est pas attribué à la foi de cet homme, contrairement à tant d’autres cas dans les évangiles. Ainsi est mise en évidence la gratuité de l’action de Dieu : nous n’avons rien fait pour venir à l’existence, nous ne pouvons rien faire pour venir à la lumière et exister en vérité. Nous ne pouvons que recevoir. Pourtant, si cette vérité est dans la relation, l’échange, le dialogue, une rencontre entre qui donne et qui reçoit est nécessaire. D’où la visite de Jésus à cet homme, désormais seul puisqu’il vient d’être chassé de la communauté. « Crois-tu au Fils de l’homme ? », lui demande Jésus. Le fils, c’est celui que l’homme engendre ; avec une majuscule, il est l’aboutissement parfait de l’humanité, là où le Fils de l’homme rejoint le Fils de Dieu. Croire en lui, c’est sortir de la finitude et de la cécité. « Qui est-il ? », demande l’aveugle guéri. « Tu le vois », répond Jésus, puisque maintenant, cet homme voit. « Et c’est lui qui te parle ». Voir et entendre et, à partir de là, croire. C’est vers cela que nous allons, nous qui ne voyons encore que d’une manière confuse, comme dans un mauvais miroir (1 Corinthiens 13,12).

DES MIRACLES POUR LA LUMIÈRE,
par Marcel Domergue

On considère les miracles de Jésus, rapportés dans les évangiles dans un style bien particulier, comme des anecdotes. Édifiantes certes, révélatrices de la bienveillance de Dieu pour les hommes, de son hostilité contre tout ce qui nous fait mal, mais en quelque sorte accessoires. On se souvient de la réflexion de saint Cyrille : « Ce fut déjà une chose étonnante que l’aveugle de naissance retrouvât la vue à Siloé ; mais qu’est-ce que cela faisait à tous les aveugles du monde ? » On l’a répété, les miracles ne sont pas une solution à notre mal, ce sont des signes ; ils disent autre chose que ce qu’ils donnent à voir : ils sont évangélisation. Les cinq sens ont une grande importance dans la Bible.Avec la faculté de se mouvoir, ils sont ce qui nous distingue de l’idole qui, insensible, est une image de l’homme à l’état de cadavre. Toutes les guérisons ont une dimension pascale ; en effet, elles signifient une victoire sur la mort en redonnant vie à quelque chose qui, en nous, était mort. Ce retour de l’homme à son intégrité révèle aussi quelque chose sur le Christ et sur Dieu. Dans notre évangile, Jésus donne lui-même la signification du « signe » : « Je suis la lumière du monde» (verset 5) et : «Je suis venu exercer un jugement ; pour que ceux qui ne voient pas voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles » (verset 39).

Guérison de la cécité originelle

Nous voici jetés au monde, sans boussole ni carte. Pourtant il y a en nous, mais très profondément enfoui, ce qui ou celui qui nous fait être. Devant cela, nous sommes dans une cécité originelle, « aveugles de naissance ». Mais voici que se manifeste celui en lequel nous vivons : « Ce qui existe était vie en lui et la vie était la lumière des hommes » (Jean 1,1-5). Ce thème de la lumière hante l’évangile de Jean mais il vient de beaucoup plus loin, du premier jour de la création (Genèse 1,3). On le retrouve, entre autres, en Isaïe 42,16 : « Je conduirai les aveugles par un chemin qu’ils ignorent (…) Je changerai devant eux leurs ténèbres en lumière. » Traduisons : depuis toujours l’humanité erre, mue par un dynamisme dont elle ne sait vers quoi il la presse de se hâter. Les hommes ne savent « à quel saint se vouer », qui ou quoi adorer. Tout, argent, succès, érotisme…, peut servir d’idole, même certaines représentations de Dieu. Certes, un peu partout des hommes ont réussi à trouver un chemin de vérité, et à ce propos saint Irénée parle de « semences du Verbe », mais voici qu’au terme du long parcours biblique, paraît la Lumière originelle « en chair et en os ». Pour qui accueille le Christ, le chaos devient lumineux et l’œuvre de Dieu en sa vérité va se manifester en la guérison de l’aveugle de Siloé, représentatif de tous les aveugles du monde et du monde lui-même en son aveuglement.

Ceux qui voient et ceux qui ne voient pas

Le texte de notre évangile, à cause de sa longueur et de sa richesse, décourage le commentaire direct en raison des limites imposées. Limitons-nous au verset 39, qui peut surprendre : « Je suis venu pour exercer un jugement (un tri) ; pour que ceux qui ne voient pas voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles. » Certes, on peut traduire « ceux qui voient » par « ceux qui prétendent voir », version autorisée par le verset 41 ; mais pas trop vite : ne nous pressons pas d’exercer nous-mêmes le jugement. Car tous nous sommes à la fois ceux qui voient et ceux qui ne voient pas. Romains 1,9-22, inspiré par Sagesse 13,1-5 et par le Psaume 19, dit bien que nous pouvons voir quelque chose de la lumière divine. Pourtant nous ne voyons encore que de façon indistincte : ce n’est qu’à la fin que nous verrons Dieu tel qu’il est. Nous sommes tous l’aveugle de Siloé, en attente de la plongée dans la fontaine qui sera pour nous mort à l’homme ancien et résurrection dans l’homme nouveau. En attendant, tout ce que nous pensons et disons sur Dieu et le Christ est marqué du signe du provisoire : voir 1 Corinthiens 13,8-12. Nous sommes encore sous le régime de la foi par audition. Ne demandons pas à voir ; pas encore. À l’heure de la guérison, la vue et l’ouïe se réconcilieront, et nous entendrons le Christ nous dire : « Le Fils de l’Homme, tu le vois, c’est lui qui te parle » (versets 36-37).

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