La saison des couleurs et des douceurs

Autunno (28)

Belle saison que l’automne! La saison des couleurs et des douceurs. Les feuilles des arbres s’habillent de mille nuances de couleurs; les températures fraîchissent en douceur !… Les saisons nous permettent de mieux comprendre notre vie physique et spirituelle. Il y a un temps pour tout, un temps pour chaque chose : un temps pour planter et un temps pour moissonner. Chaque saison a son charme et beauté. Mais peut-on dire que l’automne de la vie est aussi une “belle saison”? ou même la plus belle des saisons ?

Etapes d’une vie

Toute fleur se fane, toute jeunesse est vaincue
Par la vieillesse; ainsi chaque étape d’une vie
Toute sagesse acquise comme toute vertu,
S’épanouit en son temps et ne dure qu’un moment
A chaque appel de la vie,
Le cœur doit savoir dire adieu et tout recommencer
Pour constituer des liens nouveaux, différents,
S’y engager avec bravoure et sans regret.
Chaque début recèle une magie cachée
Qui vient nous protéger, nous aide à vivre après.
Les espaces successifs doivent se franchir gaiement
Ne pas être chéris comme autant de patries,
L’esprit du monde ne nous enferme ni ne nous lie,
A chaque étape il nous libère, nous faits plus grands.
Dès que nous pénétrons une sphère de l’existence,
Que nous y sommes chez nous, nous risquons l’apathie ;
Seul l’homme qui ne craint ni départ ni distance
Echappe à l’habitude qui l’engourdit
Peut être que la mort, à son heure arrivée,
Nous mènera, pleins d’allant, vers des lieux incertains ;
En nous l’appel de la vie résonnera sans fin…
Alors, mon cœur, prends congé et sois sauvé !

ELOGE DE LA VIEILLESSE, de Hermann Hesse (1877-1962), prix Nobel de littérature en 1946.


Vieillir pour guérir de la vie !
Par Alain HOUZIAUX

Je le dis tout net, la vieillesse a des avantages considérables sur l’adolescence, la jeunesse et l’âge mûr. Ainsi, à mon avis, lorsque l’on a trente-cinq ans, le plus dur est derrière soi. Et à plus forte raison lorsque l’on en a soixante ou quatre-vingt.

On peut éprouver des souffrances physiques considérables à 30 ans, et aussi et surtout des souffrances psychologiques et relationnelles intenses, d’abord avec ses parents, puis à l’intérieur du couple, puis avec les enfants-adolescents, et aussi avec les collègues, les concurrents, les supérieurs hiérarchiques. Contrairement à ce que l’on pense, quand on est jeune, on n’a pas « tout pour soi ». On peut être très malade, très malheureux et se sentir très exclu. Et lorsqu’on est jeune, on a un inconvénient supplémentaire: on n’a pas le droit d’être malheureux et surtout pas le droit de se plaindre.

En revanche, lorsqu’on est vieux, on a le droit non seulement d’être plaint mais aussi d’être à plaindre. On n’a plus besoin de « porter beau ». On n’a plus besoin de « faire semblant » ni de jouer un rôle. Alors que les jeunes ont presque le devoir d’être ambitieux et de réussir, les vieux peuvent enfin, être sans prétentions et sans ambition. On a enfin le droit d’être ce que l’on est. La vieillesse autorise une certaine liberté.

Cicéron disait: Seuls les sots se lamentent de vieillir. Victor-Hugo, toujours jeune et vieillard heureux, disait: L’avantage de la vieillesse, c’est d’avoir, outre son âge, tous les âges. C’est vrai que l’on peut trouver un certain plaisir, en étant vieux, à retrouver la situation de dépendance qui était celle de l’enfance. Il y a dans la vieillesse une forme de régression qui peut être vécue avec une certaine jouissance.

Mon père, à qui j’avais demandé « Vieillir, est-ce difficile ? », m’avait répondu « Non, on devient indifférent ». De fait, cette perte d’énergie et de désir n’a pas que des inconvénients. Certains l’appellent la sagesse.

Et pourtant, la vieillesse fait peur. Parfois synonyme de décrépitude, elle provoque angoisse et crainte. En effet, vieillir, c’est supporter le poids des ans et apprendre à vivre avec. Maïs alors, cette vie diminuée, étriquée vaut-elle encore la peine d’être vécue ? Et comment supporter ce dégoût de la vieillesse dans une société qui fait l’éloge de l’éternelle jeunesse ? Comment dépasser ce sentiment d’ennui et d’inutilité qu’expriment souvent les personnes âgées ?

Oui, comment accepter de vieillir ? Je répondrais : en s’y prenant très tôt. (…) Il faut vivre en sachant que l’on vieillit et en l’assumant pleinement dans sa tête et dans son genre de vie.

Je sais bien que ce que je dis là s’oppose à toute l’idéologie actuelle. On dit « il faut rester jeune le plus longtemps possible, il faut se sentir jeune le plus longtemps possible, il faut prendre du Viagra, retarder le vieillissement, apprendre les mille et une façons de préserver son capital jeunesse, porter des jeans après cinquante ans passés ».

Eh bien non ! Au lieu de prolonger sa jeunesse après sa jeunesse en restant rivé à ce qui est déjà du passé et dépassé, il vaut mieux se tourner vers l’avenir et se dire : Aujourd’hui c’est le premier jour de la vie qui me reste ! Cette formule n’a rien de morose, bien au contraire. Aujourd’hui, je commence la vie qu’il m’est donné de vivre. Et je peux et je veux la vivre vraiment.

Dès aujourd’hui, je commence ma vie et je vais enfin décider de la vivre vraiment, en rattrapant le temps perdu et en profitant pleinement du temps à venir. Je vais, enfin, choisir la vie et ce qui fait vivre (Deutéronome 31,19) : les goûts simples, les vrais plaisirs et les petits bonheurs. Et j’ai encore largement assez de temps et de force pour cela.

Se sentir inutile

Chez les personnes âgées, le sentiment d’inutilité est sans doute plus important et plus intense que l’impression d’ennui. En tout cas, il est plus fréquemment exprimé.

A ce sujet, je voudrais dire ceci aux personnes âgées : si vous vous sentez inutiles, n’ayez crainte, les lys des champs le sont aussi, ainsi que les oiseaux du ciel, et bien des nocifs coûtent plus cher à la société que vous.

La vie est un cahier dont chaque jour tourne la feuille. Le matin, vous écrirez au bas de la page encore blanche ce petit mot : Amen. Et au-dessus de cette signature, laissez s’écrire les lignes de votre journée avec leurs pleins et leurs déliés, leurs plaintes et leurs sourires. Et votre consentement préalable ôtera à ce jour son poison d’amertume et d’inutilité.

Mourir guéri

A mon avis, vieillir ce n’est pas se préparer à mourir. C’est d’abord profiter de la vie qu’il vous reste à vivre et ce d’autant plus intensément que l’on sait que l’on va mourir. Comme le dit Gide : « c’est une constante pensée de la mort qui donne du prix au plus petit instant de la vie ».

Ce qui importe, à mon avis, c’est de… ‘mourir guéri’ !

« Mourir guéri », l’expression peut surprendre. Mais elle est parlante par sa forme paradoxale. Guéri de quoi ? Je répondrai « guéri de la vie », de ses souffrances et de ses blessures. Mourir guéri, c’est mourir réconcilié avec la vie et avec sa vie.

Mourir guéri, c’est mourir en ne gardant de la vie que le parfum de bonté de quelques visages rencontrés. C’est mourir en ayant, bien longtemps avant sa mort, remisé à jamais le bâton des rancunes, et vidé ses poches des cailloux, des armes et des querelles qui les encombraient, pour pouvoir aller ainsi vers une mort claire et limpide.

Dans la Bible (Proverbes 16,31), la vieillesse n’est pas considérée comme une punition pour ce qui a été vécu pendant la vie, comme s’il fallait tôt ou tard « payer » les fautes et les excès que l’on a commis pendant sa vie. Bien an contraire, elle est considérée comme une récompense, comme si, à la fin de sa vie, on « rattrapait », par le bonheur d’une pacification et d’une sérénité, tous les malheurs et les souffrances de la jeunesse et de l’âge mûr.

Sans doute faudrait-il concevoir la vieillesse non comme la phase terminale d’une maladie, celle des souffrances de la vie, mais plutôt comme une forme de convalescence, afin de mourir guéri des épreuves que l’on a dû endurer pendant son existence.

Mourir guéri, c’est mourir « consolé » de sa vie et d’avoir vécu sa vie. Cette « consolation », l’Évangile de Luc (Luc 2,25-28) l’évoque à propos du vieillard Siméon. Celui-ci découvre qu’il ne mourra pas sans avoir connu la « consolation », c’est-à-dire avant d’avoir trouvé le Consolateur (le Messie).

Oui, mourir guéri, c’est mourir en ayant fait la paix non seulement avec les autres et les misères qu’ils vous ont faites, mais aussi avec son passé, ses erreurs et ses propres fautes. C’est mourir en ayant fait la paix avec tout ce que l’on a fait d’inutile, avec tout le temps que l’on a perdu à des querelles de pacotilles, à des ambitions bien vaines et à des combats bien futiles.

Mourir guéri, c’est mourir en paix avec les autres et avec ce que l’on a été. Et c’est peut-être cela l’ultime forme de la sagesse, ou l’ultime forme de la foi en la grâce.

Mourir guéri, c’est découvrir ceci: tu as le droit d’avoir eu la vie que tu as eue, même si tu la trouves peu reluisante. Et tu as ce droit par grâce.

La vie est un cadeau. Tu as eu le droit de vivre de tout son long le fleuve de la vie, même si tu ne sais pas pourquoi il t’a été donné de vivre.

 Alain HOUZIAUX
Pasteur de l’Eglise réformée de l’Etoile (Paris)
http://bien.vieillir.perso.neuf.fr/mourir-gueri-et-en-paix.htm